J'ai habité le Japon, il y a une bonne douzaine d'années. Quand ceux qui y vont en voyage me demandent ce qu'il faut absolument voir, je leur réponds inévitablement les bains publics. C'est d'ailleurs ce que j'ai dit à mon collègue Philippe Mercure, avant son départ pour Tokyo.

Les bains publics sont un incroyable symbole de la culture japonaise. À la campagne, comme en ville, il n'y a jamais d'étrangers dans les bains. Les visiter, c'est faire une incursion unique et inusitée dans l'intimité des Japonais, ce qui est très difficile à réaliser autrement.

Il existe deux types de bains publics au Japon: ceux des villes et ceux de la campagne. Bien différents, tous deux ont leur charme. Certaines régions du Japon sont reconnues pour leurs sources et leurs bains. Hakone, à environ une heure de Tokyo, est devenu une station balnéaire très courue, facile d'accès et possédant un large éventail d'hébergement, dans tous les prix.

Je connais surtout la région montagneuse de Nagano, merveilleuse en hiver. Il y a plein de petits onsen de village. Des endroits que seuls les Japonais du coin connaissent. Des endroits formidables. Peut-être plus encore pour les femmes, qui se retrouvent entre elles. Puisqu'on sépare les hommes et les femmes à l'arrivée. Et les Japonaises, débarrassées de leurs époux, se retrouvent dans un grand calme. Toutes nues, dans les bains, sous la neige qui tombe. Il règne une grande paix du côté féminin, que je ne soupçonne pas du côté des messieurs. Une grande sérénité, qui n'a rien à voir avec le Japon moderne et frénétique.

Dans les villes, l'expérience est complètement différente. Rien de comparable. Les bains, qui s'appellent plutôt sentô, sont souvent vieux. Et ils sont fréquentés surtout par des gens âgés, qui s'y rendent pour se laver dans les douches communes, d'abord, puis pour relaxer entre copains, accessoirement. Une étrangère toute nue au milieu de vieilles Japonaises peut facilement provoquer toute une commotion. D'autant qu'il faut oublier le charme bucolique des bains à l'extérieur. On se retrouve la plupart du temps dans une boîte de sardines, avec en arrière-plan, une peinture délavée du mont Fuji. Alors, pourquoi y aller? Eh bien! il y règne aussi quelque chose d'unique. Du côté des dames, c'est une bonhomie. Le plaisir de retrouver sa voisine, dans le bain. De pouvoir raconter ses histoires sans que monsieur y mette son grain de sel, lui qui est certainement en train de boire de la bière de l'autre côté. Bon débarras, semblent-elles se dire, tout sourire.

Certains sentô sont carrément un peu glauques. Décor d'hôpital, odeur d'eau de Javel qui flotte dans l'air. Les aires communes sont meublées de fauteuils qui massent, pour quelques pièces. On peut passer la nuit dans certains sentô, dont celui de Narita (dans le temps) ce qui est bien pratique si on a un vol très tôt. Ou très tard.

Les bains publics japonais existent depuis très longtemps. Bien avant que le concept de bains scandinaves ne traverse les frontières et qu'on voie partout des bassins taillés dans la pierre au Québec. Peut-être que le concept a perdu un peu de son charme maintenant qu'on le connaît mieux ici. Mais il reste, à mon avis, le meilleur moyen de s'immiscer dans la culture japonaise.

On peut facilement trouver des commentaires et des adresses en faisant une petite recherche avant le départ. Pour voyageurs avertis.

...mais une visite pleine de rebondissements

Philippe Mercure


Pour voyageurs avertis, dit Stéphanie Bérubé. J'acquiesce. Parce que si les Japonais fréquentent les onsen pour relaxer, il peut en être autrement des touristes qui, sur la recommandation d'une collègue, par exemple, s'y aventurent sans trop savoir ce qui les attend...Disons-le tout de suite: pour le visiteur non initié, l'onsen semble conçu pour vous faire commettre le plus d'impairs possible.

Ma propre visite débute de façon absolument catastrophique. Après avoir longuement cherché le petit établissement du quartier Ginza, à Tokyo, qu'aucune enseigne n'indique, me voici finalement devant une porte.

Je la pousse. Devant, une autre porte. Je la pousse aussi. Erreur. Trois vieilles dames japonaises, complètement nues, se retournent aussitôt. Difficile de dire qui, d'elles ou moi, est le plus en état de choc.

Je referme la porte précipitamment, le coeur battant, en songeant sérieusement à la fuite. La culture japonaise est remplie de ces petites règles tout en subtilité qu'il est si facile de transgresser sans le savoir. Mais cette fois, la bourde est énorme, grossière, sans équivoque.

Personne, pourtant, n'intervient pour m'expulser de l'endroit. Je pousse plus loin. Je suis un corridor, monte trois marches, pour finalement découvrir l'accueil. Disons que comme disposition des lieux, on a déjà vu plus intuitif.

En échange de quelques centaines de yens (quelques dollars), un vieux monsieur me tend une miniserviette, un savon et la clé d'un casier. Je passe chez les hommes.

Les choses s'y déroulent un peu mieux. Ici, le mimétisme s'avère la stratégie à adopter. Je retire mes vêtements, les place dans le casier et passe dans la salle où se trouve le bain.

La vingtaine d'hommes qui s'y trouvent - tous vieux, nus et Japonais - font converger leurs regards vers moi. Si ça papote du côté des dames, ici, le silence et l'air sérieux sont de rigueur.

Autour du bain se trouve une série de robinets. Devant les robinets, des hommes sont accroupis sur de petits tabourets de plastique, occupés à se savonner frénétiquement. Certains se rasent, d'autres se gargarisent ou se brossent les dents.

Je comprends vite que pour accéder au bain, il faut passer l'inspection de tous ces regards scrupuleux. Me demandant bien comment je vais me sécher par la suite, je fais comme tout le monde, mouille ma petite serviette et entreprend de m'astiquer consciencieusement.

L'immersion dans l'onsen s'avère plus complexe que prévu. C'est que l'eau est tellement chaude qu'elle dépasse nettement le seuil de la douleur. Petit à petit, je finis par m'y plonger. Les sourires que je lance aux environs restent sans écho. Aucune hostilité, mais aucune cordialité non plus: on évite carrément mon regard.

En réémergeant, j'attrape mon image dans un miroir: je passe encore moins inaperçu qu'avant. Parce que si les Japonais restent jaunes après leur séjour dans l'eau bouillante, le gaijin - un mot qui veut pourtant dire Blanc - est rouge vif.

Mes inquiétudes quant au séchage s'estompent en voyant faire les autres. Ici, on ne se sèche pas au moyen d'une serviette, mais d'un éventail. Je m'exécute et me rhabille. Dernier mystère à résoudre: la caisse de citrons qui traîne sur les casiers. J'attends. Un client finit par entrer, se déshabille et attrape un citron qu'il place dans son casier avec ses vêtements. Le citron contre l'odeur de chaussettes: astucieux.

Une fois dehors, les bienfaits me gagnent. L'eau bouillante semble avoir ramolli les muscles; l'eau glacée dont je me suis aspergé en sortant m'a fouetté le sang. Relaxant, l'onsen? Je dois répondre: oui.