Dans l'autobus qui mène de Damas à Beyrouth ce matin, il n'y a que des hommes. Syriens, pour la plupart et kurdes. Tous sont de futurs travailleurs étrangers, qui s'exilent pour plusieurs mois au Liban. La moyenne d'âge est de 25 ans.

«Oui, l'argent est bien meilleur au Liban», me confie Abdoul, un kurde du nord de la Syrie. «Et les femmes là-bas, ouuuuh, professional!!» qu'il me fait, en mimant des gros seins et une minijupe. Ses amis se bidonnent. Il le refait plusieurs fois. Ça devient gênant.

Enfin, l'autobus part.

Je suis le seul touriste à bord. J'ignorais que j'allais être le seul pour un sapré bout de temps...

À la frontière, à mon grand étonnement, le contrôle des bagages et des voyageurs est rapide et même plutôt sommaire... J'aurais cru avoir affaire à plus de zèle, étant donnée la situation tendue entre les deux pays. Quand on raconte dans les journaux que la frontière Syrie-Liban est une passoire, on ne ment pas. La preuve, un monsieur qui avait un peu de difficulté à se déplacer est demeuré à l'intérieur de l'autobus et a fait étamper son passeport par un autre passager!

Arrivé à Beyrouth, je consulte la carte. De l'arrêt d'autobus, à peu près trois kilomètres jusqu'au centre-ville. Il fait beau. Tiens, je vais marcher!

Pour traverser l'autoroute, je dois passer sous un viaduc. Premier check point (il y en aura 10!). Des barbelés sont dressés sur ce qui me semble des kilomètres. Et des soldats montent la garde avec le doigt sur la gâchette... Sac sur le dos, je m'avance vers eux, arborant mon plus beau sourire - celui des galas et des grandes occasions - et je lève la main droite en leur montrant ma paume ouverte, comme on fait dans les films, lorsqu'on va à la rencontre des Apaches ou des extraterrestres.

- Ugh! Je viens en paix! Je suis du Canada!

C'est drôle comme on devient con en présence de fusils.

Aussitôt, les canons se redressent et un militaire sort du rang pour s'approcher de Bibi l'intrus.

- Qu'est-ce que vous faites ici?

- Rien... Je vous le jure!

Il m'observe de la tête aux pieds. Il marque une pause. Je porte des sandales brunes avec des bas blancs. Ça l'agace vraisemblablement. Mais c'est pas ma faute, mes sandales sont neuves et me font souffrir atrocement. Je ne les ai pas payées cher et elles valent encore moins que ça.

- Ouvrez votre sac!

Son ton tranchant ne laisse aucune place à l'alternative. J'ouvre mon sac. Il tâte mes vêtements, vérifie le contenu de mon sac pharmacie, puis il saisit ma figurine de lutteur masque mexicain et la retourne dans tous les sens. Je rougis.

- Euh... C'est mon porte-bonheur! Vous savez, quand on...

Il esquisse un sourire.

- C'est bon. Désolé monsieur, on doit vérifier. Bienvenue à Beyrouth.

Fiou! Une chance qu'il n'a pas trouvé ma doudoune.

Au centre-ville, en ce doux samedi après-midi ensoleillé, on pourrait entendre une mouche voler. On se croirait dans le film The Day After. Il règne un silence fou. De belles grandes terrasses qui rappellent la rue Saint-Denis des longs jours d'été sont vides de clients. Et des serveurs assis bâillent d'ennui en se tournant les pouces. À mon passage, on se précipite.

- Venez manger! Je vous offre une consommation gratuite! Tout est à moitié prix!

À l'hôtel, la réception est déserte.

- Bonjour? Y'a quelqu'un?

Un jeune homme dort sur le divan. Je le secoue un peu. Il ouvre un oeil.

- Aaaah!

Il bondit comme s'il venait d'apercevoir le fantôme de quelqu'un de très laid - imaginez qui vous voulez. Je lui tapote l'épaule.

- C'est OK! Je ne suis pas méchant.

Il se frotte les yeux.

- Excusez-moi, mais mardi est la dernière fois qu'on a eu quelqu'un... Un Chinois.

Je lui raconte ma balade jusqu'à l'hôtel. Une question me démange.

- Où sont passés les gens de Beyrouth?

- Ah... Ils sont sur les toits. Plus personne ne va au resto ou à la terrasse sur la rue, ils ont trop peur des voitures piégées. Les «roof bars» font fortune!

Il m'offre une chambre splendide à un prix ridicule, avec vue sur la Méditerranée.

Mes amis, je sens qu'on va pas s'ennuyer.