À Sentani, en Papouasie, j'ai vu une super belle statue de policier grandeur nature, franchement réaliste, à l'entrée de l'aéroport, devant le poste de police. Et comme je venais de recevoir la confirmation que l'émission de télévision 3600 secondes d'extase revenait en ondes pour une saison supplémentaire et que j'étais en mode «trouver une blague à faire avec cela», j'ai placé ma caméra sur le trépied et j'ai tourné une séquence où je donne une tape sur les fesses du faux policier de bois.

Malheur.

Les policiers, qui jouaient aux cartes devant la station, m'ont vu tâté le postérieur du représentant de la loi.

Et ils se sont fâchés.

Avouez que le contraire eût été étonnant! À quoi pensais-je?

Maudites idées de clown...

J'ai bien entendu pesté, et je savais qu'on me criait après. Mais j'ai joué l'innocent, avec un grand I.

«Cours, Tite Dent!»

Un des policiers est sorti en trombe du poste et m'a vite rattrapé.

– Le chef veut te parler. Il est furieux.

– Excusez-moi, monsieur l'agent, mais je dois aller chercher mon bagage à l'hôtel parce que mon avion (pour Wamena, dans la vallée de Baliem) décolle dans une heure.

C'était vrai. J'avais réservé la veille. Mais ça n'a pas ébranlé le flic.

– J'ai dit, il faut que tu parles avec le chef!

– Oui, oui, je reviens tout de suite. C'est promis.

– Je t'attends.

Je suis rentré tout penaud à l'hôtel.

– Encore une gaffe, Bruno?

Oui. Et une pas pire compliquée, en plus. L'aéroport de Sentani est la porte d'entrée et de sortie de Papouasie. Il est pratiquement impossible de contourner le poste de police. Je vais devoir passer devant au moins trois autres fois, cette semaine.

Or, si je m'arrête maintenant au poste de police, alors qu'ils sont furieux, vont-ils m'extorquer de l'argent, m'emprisonner ou me battre? Dois-je vous rappeler que je suis dans un pays où les droits de l'homme ne sont pas en très bonne santé?

Hum.

Quelle est l'autre option?

Je me déguise pour passer le poste de police sans qu'ils me reconnaissent? Fausse bonne idée... En trois jours, j'ai vu deux faces blanches en ville. Pour laquelle je me fais passer? Le gars de six pieds quatre ou la vieille Anglaise?

Ah! Ce que je ne donnerais pas pour avoir mon costume de Coucou avec moi.

Je dois affronter la situation. Et qui sait, peut-être que je pourrais même en tirer une chronique. J'ai donc enfilé mes vêtements les plus propres, puis je me suis peigné les cheveux (une véritable épreuve) et, question de ne pas les choquer avec un détail inopportun, j'ai retiré ma boucle d'oreille. Puis, j'ai finalement pris mon courage à deux mains, mon sac à dos avec l'autre, et je me suis dirigé vers le poste de police.

Dix minutes de marche avec le coeur dans la gorge, à essayer de m'inventer une excuse... Trop peu! Faudra que je compte sur mes talents de voyageur, dans la Ligue internationale d'improvisation...

Comme prévu, je me suis fait accueillir par des policiers avec des faces de boeuf. Et le chef m'a aussitôt posé la question que je redoutais le plus :

– Pourquoi as-tu donné une claque sur la fesse de notre statue de police?

– Euh.

– C'est inacceptable!

Pense vite, Bruno! Comment gagner leur respect, après avoir insulté leur mascotte?

– Je suis vraiment désolé... Je m'excuse.

J'ouvre les mains et leur offre mes paumes, en signe de paix. Faces de boeuf. Je poursuis.

– C'est parce que... mon père est inspecteur. Dans la police. Mon père est... policier.

Ça a sorti tout seul! Mon père est effectivement inspecteur. Mais en plomberie.

Ils n'ont pas bronché. J'ai enchaîné.

– Et le matin, quand il enfile son costume de police, je lui donne une tape sur les fesses, comme ça, pour le faire... réagir.

Aucune réaction.

– Et je voulais lui faire une blague en vidéo... Et lui montrer que je donnais aussi des tapes sur les fesses des policiers, dans un autre pays...

Silence. Je suis au bout du délire. Faut que ça marche.

– Et je suis vraiment, vraiment désolé si je vous ai offusqués. Sincèrement. Je m'excuse.

Paumes et clin d'oeil. C'était ma dernière carte. Le chef promène les doigts sur le canon de son arme.

– Ton père est policier?

– Oui.

– C'est vrai?

– Oui. Mon père est policier.

Je sentais le nez m'allonger comme Pinocchio. Le chef a souri très grand.

– Quel hasard! Nous sommes une famille de policiers! Lui, c'est mon frère, lui, c'est mon oncle! Et y'a mon fils qui est en patrouille! Allez, viens t'asseoir avec nous!

– Merci. Mais je dois aller prendre mon avion.

– Il y en aura un autre dans une heure! Et un autre, et un autre! Allez, assieds-toi!

Le chef a posé une grosse bière sur la table.

– Et bois!

Voilà.

Comment virer une brosse avec des policiers papous.