Avant de quitter la mer pour la montagne, je me suis baigné à la plage de Bongao, et j'ai sauvé un gamin de la noyade.

Il flottait sur le ventre, immobile, les bras en croix, à l'écart du groupe. J'ai plongé, je l'ai sorti de l'eau, je lui ai tapé dans le dos et il a vomi. Je l'ai enveloppé dans ma serviette d'hôtel. Il tremblait, effrayé. Puis il s'est mis à pleurer. J'ai cherché un responsable. Personne autour de nous n'avait plus de 10 ans. Et peronne n'avait été témoin de mon sauvetage.

Alors j'étais là, debout sur une plage, avec un enfant philippin d'à peu près 3 ans dans les bras. Et le petit, il hurlait. Et ses cris ont alerté les adultes, au bar de karaoké, près du stationnement.

Un homme a accouru et m'a arraché l'enfant des bras, avec l'air de croire que je m'apprêtais à le kidnapper.

«Mais, monsieur...»

Je n'ai eu pas le temps de finir ma phrase. Il est reparti en grognant, avec le petit. Et avec ma serviette d'hôtel!

Non mais... Comment j'explique ça à la madame de la réception, moi?

* * *

Je suis retourné à Manille, sans mes amis Patrick et José, qui devaient rentrer en France pour le boulot. De retour en mode solo, j'ai eu les blues. Je me suis enfermé dans ma chambre, et j'ai regardé la grande ville, de ma fenêtre. Mauvaise idée. Il n'y a rien comme le brouhaha d'une grande ville pour vous faire perdre le «focus». Et vous replonger dans le tourbillon des grandes questions existentielles... Pourquoi la vie? Pourquoi la mort? Pourquoi ai-je laissé un boulot à 100 000 $ par année, qui m'apportait la célébrité et la gloire?

Six piasses, qu'ils m'ont demandé à l'hôtel pour la serviette... Alors que j'aurais dû recevoir une médaille!

Je me suis réconforté en me disant que ma B.A. s'inscrira assurément dans mon karma, et que Dieu, un jour, rétablira l'équilibre.

– Et si Dieu n'existait pas?

Tant pis.

Je l'aurais fait pareil.

* * *

Le surlendemain, j'étais dans un avion pour Baguio, à la porte de la Cordillera, la chaîne de montagnes du nord de l'île de Luzon.

Mission: rencontrer des chasseurs de têtes. Vous avez bien lu: des hommes qui chassent des têtes.

Pour moi, l'insolite de ces trucs aussi extrêmes demeure le moment de leur genèse.

C'est comme le premier qui a mangé une crevette... À quoi pensait-il? «Miam, ça a l'air délicieux» ou «Je vais faire une blague au beau-frère et lui en mettre une dans la bouche pendant qu'il ronfle»?

Qu'importe, dans le cas des chasseurs de têtes d'humains, selon les précieuses informations du musée de Bontoc (un fascinant petit musée, je vous en reparle), la tradition sanglante serait «née du désir de pratiquer une activité excitante».

Pardon? Une activité excitante?

Ah! J'imagine la scène.

Autour d'un feu de camp, quatre villageois relaxent, après une longue et difficile journée aux champs.

«OK, on joue aux charades! Mon premier pousse dans les arbres, mon second...

– C'est plate, jouer aux charades.

– Connais-tu une activité plus excitante, Roger?

– On pourrait fourrer des moutons.

– Moi, j'aime mieux la mule du père Gadbois!

– Franchement, les gars! As-tu une meilleure idée, Steve?

– Des poules?

– On pourrait fourrer...

– Non!

– Hey! J'y pense! On pourrait aller au village voisin et couper la tête des habitants?

– Couper des têtes? Wow... Comment se fait-il qu'on n'y ait pas pensé avant?

– Mosus qu'on est poches...

– Et on pourrait se faire des poignées de tam-tam, avec les mâchoires?

– Yé!!!»

Parce que c'est exactement ce qu'ils faisaient, après avoir fait bouillir le crâne, pour détacher les chairs... Je vous jure, ils ont de ces idées dans le coin. À San Fernando de La Union, à une soixantaine de kilomètres d'ici, un médecin, Jessie Miranda, a tenté, au mois d'avril dernier, d'établir le record Guinness du plus grand nombre de circoncisions en une heure. Il a circoncis 66 jeunes, en 60 minutes, avec l'aide d'un laser. Son temps le plus rapide pour découper un prépuce? Cinq secondes!

Remarquable, n'est-ce pas? Par contre, l'article de journal ne mentionnait pas comment il a réussi à recruter ses courageux cobayes... Certains mystères demeureront à jamais irrésolus!