Je me promène avec un sourire idiot et un regard beige derrière lequel j'essaie de disparaître. Si j'étais un chien, j'aurais les oreilles basses et la queue entre les pattes. Et si on m'approchait, comme Vacarme, je ferais un petit pipi par terre.

Dans les cabanes, des bébés couverts de plaies et de boutons purulents, des enfants qui toussent comme des charbonniers, des vieillards maigres à faire peur et des familles entières vivant sous le seuil de la misère.

L'Afrique? Non, les Philippines.

J'en ai vu, des pauvres. J'en ai croisé, des indigents. Mais à Bongao, j'ai eu un choc.

Et c'est mon «escorte» qui m'a amené là, croyant sans doute bien faire...

* * *

Lorsque je me retrouve dans des endroits glauques, je me répète que le chemin à parcourir est aussi important que la destination elle-même.

Pour répondre à vos interrogations, l'intérêt d'aller jusqu'à Bongao, à la limite des Philippines et de Sabah, en Malaisie, n'était vraiment que pour atteindre l'île de Sibutu, et ultimement, Sitangkai, la Venise des Philippines, dont je vous parlais précédemment, et où nous irons, dans quelques instants.

Ou pour aller à Simunol, une île habitée par des descendants d'Arabes et de... Japonais! Méchant mix, non? N'empêche, ils doivent être drôlement beaux. Et peut-être même qu'ils mangent du sushi de chameau (vous riez, mais on en mange du chameau cru, à Harar, une ville musulmane de l'est de l'Éthiopie, et c'est délicieux; et si on est chanceux, on n'a même pas de ver solitaire, le lendemain)!

Parce qu'il y a bien derrière Bongao une jolie colline boisée, le mont Bongao, qui abrite une grande communauté de singes, pas malins pour deux sous; on peut les approcher et leur donner des bananes. Mais, honnêtement, ça n'est vraiment que pour ceux qui n'ont jamais vu de collines, de singes ou de bananes.

Ou pour passer le temps, en attendant le traversier du lendemain.

Un conseil: allez plutôt à la pharmacie, pour faire le plein de désinfectant et de pansements.

Et allez visiter les pauvres.

* * *

La première chose à faire en débarquant à Bongao, c'est de prendre contact avec le bureau de tourisme local, m'a appris Patrick, un photojournaliste français venu avec son copain José, du Portugal, pour poursuivre un reportage sur les nomades de la mer (www.imagesdailleurs.com).

Ainsi, le responsable du tourisme pourra contacter les autorités policières afin de les avertir de votre présence dans l'île et choisir une «escorte» adaptée à votre itinéraire. L'idée qu'on me colle une «escorte» me déplaît royalement. Voyager avec un chaperon, ça m'agace. Et à quelqu'un qui surveille où je mets les pieds, je préfère la solitude et trébucher.

Mais Patrick réussit assez facilement à me convaincre de jouer le jeu.

«Bruno, t'as pas le choix.»

Il n'y a pas d'hôtel sur Sibutu et Sitangkai. Et ce sont les gens du bureau du tourisme qui s'arrangent pour nous trouver une chambre chez l'habitant. Et puis, en ce qui concerne l'anonymat, c'est foutu: nous sommes les trois seuls étrangers dans l'île, et la propriétaire de l'hôtel est la femme du gouverneur.

Patrick m'invite à me joindre à eux. José et lui doivent partir le lendemain. O.K.!

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Dans le hall, nous attendons nos «escortes». Surprise!

On pense à un pays comme les Philippines, qui est le théâtre de conflits armés, de coups d'État et d'attentats, comme à un territoire «viril». Non?

Ma logique de joueur de hockey de Fabreville tient dans l'équation suivante: terrorisme + islam + danger de se faire tirer dessus = machos. Est-ce que je m'égare? Peut-être. Mais il me semble que l'on associe plus naturellement l'agressivité au «gorille» qu'à la «femme en nous».

Tout ça pour dire que j'ai rarement vu autant de ladyboys qu'aux Philippines. Encore plus qu'en Thaïlande. Quel soulagement de découvrir un endroit supplémentaire sur Terre où les homosexuels peuvent s'affirmer. Bravo, Philippines!

Et quel plaisir de savoir que, pour assurer notre bien-être et notre sécurité pendant les cinq prochains jours, on nous a assigné trois travestis et deux soldats.