J'ai allumé la télé. Il y avait la BBC. Dans les titres qui défilaient, il y en a un a qui a retenu mon attention.

Aux Philippines, dans les villes, la vie ordinaire gravite autour du centre commercial. À Manille, se trouve d'ailleurs le plus grand centre commercial de l'Asie, le «Mall of Asia». Une MERVEILLE. On s'y sent comme au paradis. Toutes les marques, toutes les griffes, et même des fruits. Si un jour je meurs, je veux mourir ici.

Le peuple philippin, de foi catholique en grande majorité, est très pratiquant. La nouvelle place de l'église? Dans le Mall. Après les marchands du temple, ce sont les temples au marché. Faut bien être de son temps!

Et avouez que c'est toujours pratique, de pouvoir prier entre le Burger King et le Dollarama.

«Vous voulez un cierge avec ça?»

* * *

Big Pete est parti. Je suis seul et c'est soudainement un peu triste. Mais il y a une activité que je répète dans chaque pays que je visite lorsque je m'ennuie: je sors voir un film au cinéma. Ça a l'air beige, mais je vous assure que ça ne se déroule nulle part de la même façon.

Aux Philippines?

Quand les lumières s'éteignent dans la salle, le party pogne. Les jeunes Filipinos et Filipinettes y vont en couple pour faire du necking. Comme chez nous, en 1950. Difficile de croire au conservatisme de la société philippine, quand partout d'immenses panneaux publicitaires affichent des images de stars en sous-vêtements, et qu'il est impossible de compter en ville le nombre de salons de «massage», de bars de karaoké où le micro dans lequel on chante n'est pas nécessairement branché au mur, et de bars à gogo, où les serveuses se louent à l'heure ou à la journée...

Alors, pour me désennuyer, je suis allé voir le nouveau film avec Jackie Chan et Jet Li. Mes deux idoles! N'y manquait que Steven Seagal.

J'avais envie d'un film d'action pendant lequel je pourrais mettre mon cerveau à « off ». Dans le genre, The Forbidden Kingdom est un bijou. Après cinq minutes, tu connais toute l'histoire, et tu sais comment le film finira.

Et tu peux même t'en aller.

Parce que le film commence effectivement après cinq minutes. Il n'y a pas de bandes-annonces! Une première surprise, dans ce pays américanisé qui carbure au fast-food et à la publicité à outrance.

Je m'attendais donc à un entracte désagréable, comme en Turquie, où l'on en profite pour diffuser des pubs et des trailers, et vendre du pop-corn. Rien de ça, ici. Qu'un changement de bobine raté, avec une image floue et une baisse dramatique du son.

Et après le film? Deuxième surprise. Personne ne bouge. Tout le monde reste sagement assis, en silence, et regarde défiler le générique.

«Quel extraordinaire public de cinéphiles, me suis-je dit. Peut-être qu'il y a des bloopers à la toute fin, comme c'est souvent le cas dans les films avec Jackie Chan?»

HA!

Une demi-heure de bandes-annonces! Voilà ce qu'il y a après le film.

Le temps que tout le monde se rhabille.

* * *

À l'aéroport de Zamboanga, dans l'île de Mindanao, ma première escale en route pour l'archipel de Sulu, une grande enseigne vous accueille dans «la ville latine de l'Asie».

On y parle en effet un mélange de visayan et de chavacano, termes utilisés pour les créoles à base d'espagnol.

Les toilettes des hommes sont identifiées par «hombre», et celles des femmes, par «mujer». Et c'est franchement étonnant, en pleine mer des Célèbes...

Le lendemain, je me suis fait réveiller par le bruit des hélicoptères de l'armée. J'ai allumé la télé. Il y avait la BBC. Dans les titres qui défilaient, il y en a un a qui a retenu mon attention: «DEUX BOMBES EXPLOSENT À CINQ HEURES DU MATIN DANS UNE ÉGLISE À ZAMBOANGA .»

Ma petite voix m'a posé une question.

«Sept mille îles aux Philippines... Pourquoi as-tu choisi celle-là, Bruno???»

Je suis descendu à la réception.

«Est-ce sécuritaire de sortir de l'hôtel?»

Le mec au comptoir a pouffé de rire.

«Deux bombes à 5 h du matin dans un parking vide d'église? Ha! Ne le répétez à personne, Monsieur, mais ça n'est pas l'oeuvre de terroristes. C'est le gouvernement qui plante des bombes parce qu'il a besoin de justifier ses dépenses militaires!

– Ah bon...»

Ça m'a rassuré. À Zamboanga, même la police peut vous faire exploser.

– Mais si vous n'avez pas à quitter l'hôtel, Monsieur, il vaut peut-être mieux demeurer à l'intérieur.

– C'est parce que je dois aller prendre un avion pour Tawi-Tawi.

– Tawi-Tawi? Vous êtes fou? C'est beaucoup trop dangereux!»

Plus qu'ici? Ouf. «Hasta la vista, baby