19 h. Je partais le lendemain pour la Birmanie. J'avais un mauvais feeling. Un truc silencieux qui essayait de me dire quelque chose, je sais pas quoi, et par en dedans, en me tordant les boyaux. J'étais vraiment pas bien. Hanté. J'avais le front plissé du gars, dans le film d'horreur, qui rentre au chalet, un samedi soir apparemment comme les autres. Sauf que son chien ne jappe pas... Et il fait noir. Et rien ne bouge. Mais l'homme sait qu'il se passe quelque chose.

Parce qu'il ne se passe rien.

– Rex?

En plus, il me restait trop d'ouvrage. Le montage pour le reportage télé sur Singapour faisait 13 minutes, et je ne savais pas par où commencer à couper. L'avion décollait dans 12 heures, à sept heures du matin. Il fallait que je sois à l'aéroport à cinq. Ça signifiait prendre le taxi à quatre. Donc me lever à trois heures et demie, en plein milieu de la nuit, pour au moins prendre une douche.

Ouf... Comment on se réveille à trois heures et demie? C'est l'heure à laquelle je me couche!

Je ne suis plus un gars de nuit, comme à mes 25 ans, mais j'aime encore pouvoir profiter de la quiétude des ciels étoilés et la douceur des clairs de lune... J'adore les levers de soleil, of course, mais je trouve qu'ils font ça trop de bonne heure. Alors? Le soir du départ pour le Myanmar, que s'est-il passé?

J'ai terminé le montage du clip à trois heures, et je me suis alloué une minute à l'horizontale, pour me relaxer les reins, avant de sauter dans la douche ; mais, en posant la tête sur le matelas, swouchhhh! Je suis parti, comme une fusée, au pays des gnomes et des monstres et de la folie nécessaire... Je vous jure, rien n'aurait pu m'empêcher de sombrer! Ça a été à la limite de l'évanouissement, l'histoire d'un millième de seconde. S'il y avait eu un ti-coune de chez Guinness pour chronométrer ma performance, je suis persuadé que je serais, aujourd'hui, le «recordman mondial du speed-dodo»; et on m'appellerait la Comète brune, l'homme qui s'endort plus vite que son ombre! Ha! Imaginez le scénario de rêve... J'aurais été capable de faire le tour du monde avec une réputation comme celle-là... Partir en duo avec le gars des Foubracs et m'endormir sur scène au Congo pendant qu'il joue du pipeau avec des ballounes; et faire plein d'argent et rencontrer des vedettes et m'endormir dans des galas... Aaaah. Mais le destin en a décidé autrement!

Ce soir-là, il n'y avait pas de ti-coune de chez Guinness, pas de cadran, et pas de «wake-up call».

Qu'un phylactère au-dessus de ma tête, avec la lettre Z écrit dedans... Pas celle de Costa-Gavras: celle de Charlie Brown. J'ai crevé. Littéralement. Et pour la première fois de ma vie, Maman, j'ai raté l'avion.

– Stop! Tu vas te brûler...

– Voyons donc! J'aime ma job!

– C'est pas une raison, Bruno! Pas parce que t'aimes l'eau qu'il faut te noyer...

Depuis un bout de temps, la belle Marie-Christine B., ma collabo de toujours – et mon ange! – me conseillait de prendre un petit break. Elle le savait... Mais j'ai pas écouté parce que je suis un Bélier avec une grosse tête de cochon.

Quoique j'ai une bonne excuse: vous savez ce que ça signifie pour moi, «prendre un break»?

Ça signifie «pas de cash». Et pas de cash, ça veut dire «pas de voyage»! Et pas de voyage, c'est aussi «pas de chronique» ... Aïe! Je m'ennuierais trop de vous autres.

Et dans le même ordre d'idées, pour répondre à la question de Robert B., de Saint-Adolphe d'Howard (et clore le dossier): non, Monsieur B., personne ne paie mes déplacements. Ni mes hôtels, ni mes sorties, ni mes comptes de carte de crédit! Mon salaire finance la chronique, qui me procure un salaire. Suis-je pris dans un cercle vicieux?

Si, senor.

D'à peu près 30 000 kilomètres de circonférence.

On l'appelle l'équateur.

Alors, j'ai pris une semaine de congé forcé. Puis je me suis retrouvé en Birmanie. C'était troublant. Et lourd. De beauté. De mystère. De misère aussi.

Dans le train pour Moulamyin (au sud de Yangon, au Myanmar), l'après-midi, le monsieur super gentil assis à côté de moi m'a demandé s'il pouvait fermer le volet. Le soleil lui brûlait le visage. Dans son anglais maladroit, il s'est excusé.

– Désolé. Mais il y a trop de ciel...

Ha! Je l'aurais embrassé!

S'il n'avait pas été soldat.