Encore énervé par le bruit de la discothèque qui m'avait empêché de fermer l'oeil jusqu'aux petites heures (n'oubliez pas vos bouchons à Bangkok la bruyante!), je me suis réveillé le lundi matin de fort mauvaise humeur.

Écoeuré par mon problème de visa pour l'Iran (la prochaine fois qu'on me le refuse, je m'assois par terre devant le consul iranien et je boude; et s'il essaie de me relever debout, je me mets mou comme une guenille), troublé par les nombreux bogues de mon ordinateur portable (paraît que je serais tombé sur un citron, lucky me!) Et surtout, du fait que la veille, comme un pee-wee, j'avais laissé traîner mon appareil photo sur un comptoir de resto, et hop! il est devenu le cinquième de la série à disparaître... Aaargh!

Grognon, je suis allé aux toilettes, et je me suis regardé dans la glace, et j'y ai vu la face laide d'un «vieux chialeux», d'une vieille «chose hideuse» que je ne connaissais pas... Ou que je ne voulais pas reconnaître? Vous savez, une espèce de monstre avec le front plissé, l'oeil sombre et menaçant, et la grimace qu'on ferait probablement en trouvant un rat en décomposition dans ses sous-vêtements. Ouache! J'avais en plus la posture du type qui me ferait traverser la rue en l'apercevant sur le même trottoir que moi, le profil de Jack l'éventreur, et encore moins d'aura qu'un mime mort.

Était-ce vraiment moi, Bruno Blanchet, ce réjouissant personnage, qui fait rire les petits et les grands? J'ai eu un vertige... Et j'ai sombré dans un cauchemar dont j'ai eu peur, pendant un instant, de ne plus jamais revenir; comme de ces trips d'acide trop forte, où le plafond et le plancher vous parlent pendant quatre jours.

Mais comme toujours, dans ces moments-là, tellement tragiques, où je ne me reconnais plus, y'a ma p'tite voix qui m'a parlé. (En avez-vous une p'tite voix? Ou suis-je en train de devenir cinglé en plus...)

– Brune, ma grosse brune?

– Oui, petite voix.

– Tu sais que tu fais le métier dont tu as toujours rêvé?

– Je sais, petite voix, je sais... J'oublie (ma vie a basculé avec le film The Killing Fields).

– Ouais. Et t'oublies aussi ta copine Supak, peut-être? Ça fait neuf mois qu'elle t'attend, espèce de croulant! As-tu préparé quelque chose de spécial?

– Euh... Non, pas tout à fait...

– Lui as-tu ramené un cadeau d'Éthiopie?

– Non.

– D'Égypte?

– Non.

– D'ailleurs?

– Non.

– Alors?

Alors, j'ai réservé deux billets pour Singapour et un hôtel parfait, selon moi (Bruno El Cheapo): le Sha Villa. À 120 $ par nuit, bordel qu'il a de la gueule! Et à deux minutes d'Orchard ou de la rivière (chambre 301, the best).

Remarquez, on aurait pu aller à Singapour en «backpackers»: il est possible d'y trouver des lits, dans un dortoir, pour moins de 20 $. Ou pire. La dernière fois, j'ai créché dans Little India pour moins que rien... D'accord, ça sentait le diable beaucoup trop cuit au curry, et y'avait un trou grand comme mes fesses au milieu du lit, et des souris, et les chiottes communes les plus brunes d'Asie, mais on réussissait quand même à trouver le sommeil. Sauf que, aujourd'hui, n'écoutant que ma petite voix qui me reprochait d'être égoïste, j'ai dit à Supak:

– Tu vois cette carte de crédit, ma chérie?

– Oui, mon amour.

– On va la faire plier.

May aw (pas besoin)! Je ne veux qu'être avec toi, mon amour...

Ah, Supak! Mon soleil d'Orient... Ma précieuse! L'avoir su, nous serions allés au Vietnam! Dans un B&B à deux piasses... Sérieusement, depuis trois ans, à chaque fois que j'essaie de lui offrir quelque chose «d'inutile», c'est la chicane:

– Ne gaspille pas ton argent, stupid white man!

Alors, quand j'entends les bêtises qu'on raconte à propos des femmes de Thaïlande, je fume...

Et pourquoi Singapour?

Parce que Supak adore regarder, à chaque soir de semaine, une émission de télévision thaïe intitulée Rissaya (qui signifie jalousie); un show qui pourrait être l'équivalent, disons, de l'émission avec Roy Dupuis et Marina Orsini, dans le temps (je ne me souviens plus du nom de l'émission, désolé...).

Et cette dramatique thaïe, depuis un mois, se déroule à Singapour; et elle aime tant cette émission...

Et je suis si romantique!

Vous verrez!