Hier, je ne croyais ni aux oracles, ni à la providence, ni à tous ces supposés signes du destin qui provoquent la soudaine illumination et transforment à jamais votre vie. Depuis trois semaines, je me torturais l'esprit à essayer de prendre une décision importante, et voilà que je tombe sur un messager du ciel.

Il est 21 h. Au coin des rues Boulaboula et Queen Elizabeth II, à Addis Abeba, nous avions droit à une singulière vision: un vieil homme se tenait là, immobile, le dos rond, avec, à la main, une antenne de télévision. Je me suis arrêté et je lui ai lancé, à la blague: «Ovide, mon torrieux, es-tu en train d'écouter la game?» Il m'a tendu l'antenne. J'ai vu dans son regard qu'il ne captait peut-être pas grand-chose... En fait, il n'arrivait même pas à attirer l'attention, le vendeur d'antennes de télévision. J'ai ravalé mon gag à la con.

En ce vendredi soir chaud, la ville s'était mise sur son 36. Quoique, ici, sur «son 40» serait plus juste. La musique rythmée de Teddy Afro, toujours la même, toujours tonitruante, secouait les vitres des bars, et mille fois cette nuit il faudrait se taper la chanson du millénaire, le HIT de l'Afrique, qui débite quelque chose comme «Ah oui aye les hauts, poum poum» (bis). Les jeunes hommes tapageurs se pavanaient dans des pantalons yo trop grands, en beuglant le bonheur d'être ivres et potents. Et les femmes, furieusement sexy, exsudaient le parfum archifleuri «made in cheap chinois». Tout le monde s'était donné le mot: ce soir, on exagère.

Pourtant, au coin des rues Boulaboula et Queen Elizabeth II, sourd à l'agitation, un vieil homme se tenait là, immobile, le dos rond, avec, à la main, une antenne de télévision. D'ordinaire, j'aurais poursuivi mon chemin et n'en aurais gardé qu'un vague souvenir, une image floue; j'ignore pourquoi, mais tout à coup ça m'a bouleversé. Qu'un soir de réjouissances comme celui-ci, un vieil homme puisse être seul au coin d'une rue, en panne de communication, à essayer de vendre une putain d'antenne de télévision...

«Combien?

— Je ne la vends pas, monsieur. Je l'offre.

— Pardon?»

J'étais knock-out! En 10 mots, le pauvre homme venait de passer de dérangé à dérangeant; d'éteint à allumé; de désastre à astre. De superflu à grand.

Le savait-il seulement?

Je me suis quand même méfié, car «rien n'est gratuit»... Et si c'était un cadeau empoisonné? Un cadeau de Grec, comme le cheval de Troie (ou l'amour à trois)? J'ouvris l'oeil et observai l'homme de plus près. Hum... Cheveux crépus noirs, yeux noirs, cravate jaune. Il n'avait pas l'air grec. Quoique de nos jours, avec la mondialisation, la globalisation et le réchauffement de la planète, ces choses-là sont de plus en plus difficiles à affirmer de façon absolue, ou du moins, scientifiquement vérifiable. Tout ça pourrait-il être un piège?

Trois hypothèses:

1) Je saisis l'antenne, il appelle la police. «Au vol!»

2) J'accepte son cadeau et découvre dans un mois que le métal spécial est destiné à intercepter les ondes hertziennes d'une fréquence très précise, et je deviens un espion de la CIA...

3) Je m'empare de l'antenne et la foudre me frappe. Crac! Du coup, je lui aurai sauvé la vie. Et je serai mort d'une manière funky. Ce qui est loin de me déplaire!

Moi, quand je lis, «il est décédé paisiblement dans son sommeil, entouré de ses proches», je hurle. Quel ennui!

Dieu, faites que je meure déchiqueté par un ours polaire! Assommé par un requin-marteau! Dévoré par des cannibales! Quelque chose de spectaculaire, please... Mourir comme Robert Plant! En faisant la split, et en criant «squeeze my lemon, Baby», à 70 ans, devant 45 000 personnes... Ça doit bien faire rire les anges, non? Finalement, au coin des rues Boulaboula et Queen Elizabeth II, à Addis, le vieil homme qui se tenait là, immobile, avec, à la main, une antenne de télévision, a disparu. Les passants, indifférents, auraient pu écraser les orteils aux ongles longs et crasseux qui dépassaient de ses souliers sans semelle sans s'apercevoir de sa présence, sans souligner même son odeur pestilentielle, ignorants que ce soir leur avait été offerte une antenne pointée vers le ciel.

M'était-elle destinée? Qui sait... Toujours est-il que, maintenant, elle est mienne. Et croyez-moi, vous en saurez plus long dès cette semaine...