Ils n'utilisent pas l'électricité, cultivent les champs avec des chevaux, étudient jusqu'à l'âge de 14 ans, ne paient pas d'assurance sociale, ne cotisent pas au fonds de retraite et ils ne votent pas. Pourtant, ils ont beaucoup d'argent, ne connaissent ni chômage ni divorces et ils comptent sur l'entraide familiale pour surmonter les épreuves... Portrait d'une société à part, qui n'est pas à la veille de disparaître, en pleine campagne de Lancaster, en Pennsylvanie.

Dans un bâtiment adjacent à la grande maison et à la ferme familiale, Suzy Riehl accueille les touristes avec le sourire. Ceux-ci viennent contempler et même acheter les magnifiques courtepointes fabriquées à la main qu'elle vend maintenant partout à travers le monde. Pour réaliser ces «oeuvres d'art», Suzy embauche les femmes de sa communauté qui, dans leur maison l'après-midi, rassemblent les morceaux de tissus multicolores sur des machines à coudre à pédale. Car il n'y a pas d'électricité à la maison. Et pas d'électricité veut aussi dire pas de télévision, pas de radio, pas de téléphone, pas d'ordinateur...

Sur la ferme de Suzy Riehl, dans la campagne de Lancaster, en Pennsylvanie, on ne voit ni automobile, ni tracteur, ni machinerie agricole, mais seulement des chevaux tirant des voitures avec des roues de fer... et ce jour-là, aussi anachronique que cela puisse paraître : un autobus bondé de touristes.

Suzy Riehl est une femme amish avant-gardiste. Elle est la première dame de la communauté à avoir permis aux touristes, qu'on appelle sans distinction «les Anglais» de mettre les pieds dans les bâtiments de ferme de sa propriété. Mais tout «Anglais» qui vient sur son domaine devra être rusé s'il veut prendre quelques clichés, car les gens refusent d'être photographiés. Pas évident lorsqu'on est journaliste! Ici, les photos de famille, photos d'anniversaire, photos de mariage n'existent pas. Même les poupées qu'on offre aux enfants n'ont pas de visage.

Un décor de cinéma reconstituant un morceau du XIXe siècle, vous croyez? Non, plutôt une scène de la vie quotidienne dans la campagne de Lancaster, en Pennsylvanie.

L'entrée de cette ville américaine de 56 000 habitants, avec son Wonderland, ses minigolfs et ses supermarchés évoquant la consommation à outrance, est pourtant à des éternités de ce que nous verrons ce jour-là dans la campagne environnante. À l'est de l'agglomération urbaine est établie une communauté chrétienne anabaptiste de 30 000 amish, qui vivent en étroite relation avec la nature et qui ont su résister à l'appel du modernisme et de la consommation. Et on se demande bien comment...

Dans les stationnements des centres commerciaux de Lancaster, il n'est pas rare de voir à l'occasion des amish en voitures à chevaux. Car s'ils sont autosuffisants, ils achètent quand même certains produits dans les magasins, tels les couches jetables pour bébés et les chaussures Reebok pour les jeunes.

Chez les amish, tous sont égaux devant Dieu. Leurs vêtements, semblables et de couleur foncée, traduisent cette absence de hiérarchie sociale. Les femmes ne se maquillent pas, ne portent pas de bijoux et gardent toute leur vie leurs cheveux attachés en un chignon qu'elles couvrent d'un petit bonnet blanc. Vous vous rappelez le film Witness, avec Harrison Ford, lorsque la femme amish défait son chignon devant «l'Anglais»? Sûrement la scène la plus osée du film! Elles portent un long tablier noir sur leur grande robe et l'hiver, elles couvrent leurs épaules d'un châle noir. Elles cousent elles-mêmes leurs vêtements et ceux des membres de la famille. Des vêtements qui n'ont ni bouton, ni ceinture, ni fermeture éclair. Les garçons s'habillent comme leurs pères : pantalons noirs avec bretelles et chemise blanche. Chapeau de paille les jours de semaine et chapeau noir le dimanche. Si vous croisez un homme avec une barbe, sachez qu'il est marié. Car l'homme de la communauté cesse de se couper la barbe le jour de son mariage.

La famille comme pivot

Sur notre route, nous croiserons à quelques reprises des jeunes femmes au milieu de la vingtaine, entourées de plusieurs enfants. «Les familles ont en général de six à huit enfants et certaines en ont jusqu'à 12, explique Peggy, une Américaine qui nous sert de guide et compte plusieurs amish parmi ses amis. Évidemment la contraception n'existe pas et les femmes accouchent à la maison.»

La famille est le pivot central de la société amish, où la vie communautaire a préséance sur la vie individuelle. Dans la communauté, personne ne paie d'assurance sociale ni de cotisation de retraite. Les amish ont recours à un système d'entraide et de solidarité qui fait en sorte que les aînés sont pris en charge par la famille et qu'en cas de maladie, d'incendie, ou de quelconque tragédie (voulue par la main de Dieu), ils peuvent compter sur l'aide de leurs proches.

En circulant dans la campagne de Lancaster, on constate que la pauvreté n'est pas le lot de la communauté amish. Cette région est pourvue d'immenses fermes dotées de grands champs où on cultive le tabac, le soja et le maïs. Les maisons sont propres et vastes. Et il est amusant de voir toutes ces cordes à linge remplies de vêtements qui flottent au vent (pas de séchoir évidemment).

Les amish vivent au rythme de la nature. S'ils n'utilisent pas l'électricité, c'est parce que tous les fils (fils électriques, fils de téléphone) représentent la liaison avec l'extérieur. Dans les maisons, ils utilisent des lampes au propane pour s'éclairer, ainsi que des réfrigérateurs et cuisinières au propane. Sur la ferme, ils se servent des chevaux et de l'air comprimé pour faire fonctionner les outils. Et dans la campagne de Lancaster, nous ne verrons jamais un amish au volant d'une voiture, qui est synonyme d'une trop grande liberté. Ils se déplacent dans des buggys, tous noirs, qui, encore une fois, sont le symbole de leur égalité.

Le travail, valeur primordiale

Le travail est une valeur primordiale dans cette société antimatérialiste. Les hommes vaquent aux travaux de la ferme alors que les femmes s'occupent de la maisonnée : repas, lavage, jardinage, couture, soin des enfants... «D'ailleurs, le chômage n'existe pas dans la communauté», mentionne notre guide Peggy. De plus en plus de petites entreprises voient le jour chez les amish : les hommes fabriquent des meubles, les femmes font de l'artisanat, des conserves et des pâtisseries qu'elles vendent dans les boutiques destinées aux touristes. Ils ont compris que le tourisme rapportait gros.

Mais s'ils font des affaires, ils doivent bien être obligés d'utiliser le téléphone et l'ordinateur? «Effectivement, dit Peggy. Ils se servent du cellulaire (qui n'a pas de fil) et ils engagent les «Anglais» pour l'utilisation du télécopieur et de l'ordinateur.»

Les écoles amish n'ont qu'une seule pièce et une seule institutrice. Elles sont administrées par une commission scolaire formée de parents amish et elles accueillent environ 35 élèves. Ceux-ci fréquentent l'école dès l'âge de cinq ans et terminent leur instruction à la huitième année. L'enseignement est dispensé en anglais, alors qu'à la maison, les jeunes parlent un dialecte allemand. À 14 ans, les garçons commencent à travailler sur la ferme et les filles, à la maison. Les amish s'opposent à l'éducation supérieure. Ils ne votent pas et ne font pas de service militaire, car ils sont pacifistes.

Les amish refusent le baptême des enfants car ils croient que l'appartenance à la communauté doit résulter d'un choix réfléchi à l'âge adulte. Mais avant d'être baptisés, les jeunes adultes vivent une période appelée rumspringa qui commence dès l'âge de 16 ans. C'est un moment de liberté, où les jeunes sont suspendus entre deux mondes : ils peuvent goûter à la liberté des «Anglais», s'acheter une voiture, une télévision, aller au cinéma, boire de la bière, porter des jeans...

«Seulement 10 % des jeunes vont quitter la communauté définitivement», nous assure Peggy. Le jeune déménage, mais il demeurera toujours le fils de la famille. Par contre, celui qui adhère à la communauté par le baptême et déroge aux règles par la suite sera banni de la famille à jamais.» On est amish ou on ne l'est pas...

Les amish se marient entre eux, dans la plus grande sobriété. Les conjoints doivent être baptisés. Les mariages ne sont pas arrangés.

Dans la vaste campagne de Lancaster, les clochers sont inexistants. «Les amish ne possèdent pas d'église ou d'édifice central pour le culte», dit Peggy. Tous les deux dimanches, le Church Wagon déménage les bancs dans une maison privée où sera célébré l'office religieux qui dure quatre heures.

La communauté amish disparaîtra-t-elle un jour sous l'influence de la société américaine? «Ce serait plutôt étonnant, commente Peggy, car la population amish double tous les 20 ans.»

Leur règle? Ne pas se conformer au monde qui les entoure. Renoncer à soi-même, renoncer à jouer un rôle dans le monde, supporter les épreuves avec patience et tout espérer de «l'autre monde».

Repères

Groupe Voyages Québec organise une visite de la communauté amish avec guide.

Information : 418 525-4585, www.gvq.qc.ca

> À voir

° The Amish Farm and House : une maison amish typique construite en 1805 qui nous aide à mieux comprendre le mode de vie amish. 2395 Route 30 East, Lancaster.

° Stoltzfus Farm Restaurant : pour découvrir la cuisine familiale des amish. Cross Keys, Village Center, Intercourse, 717 768-8156.

° Kitchen Kettle Village : l'endroit pour magasiner un souvenir typique. Route 340, Intercourse.

> À voir aux alentours

° Philadelphie : ville aux 3000 fresques murales, fondée par le quaker William Penn, en 1682. C'est là que fut signée la Déclaration d'indépendance en 1776. À voir : la cloche de la Liberté, le Musée d'art de Philadelphie, le vieux quartier et son avenue des Champs-Élysées, sa place de la Concorde, son musée Rodin... Et aussi Pine Street, qui est l'une des plus belles rues du centre-ville.

° Longwood Gardens, à environ 50 km de Philadelphie, sur la Route 1 : un prestigieux musée-jardin, créé par Pierre S. Dupont, président des sociétés Dupont et General Motors.

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Ce voyage a été réalisé en collaboration avec Groupe Voyages Québec.