À gauche, la mer. À droite, la montagne. Devant, près de 500 kilomètres de route et une série de côtes, dont l'interminable «Madeleine». Et le long du parcours, quelques-uns des plus beaux paysages du Québec, sinon de la planète! André Désiront a pédalé sur la route 132, de Sainte-Flavie à Percé, en juin dernier.

Pendant la première semaine de juin, j'ai «fait» la Gaspésie à vélo. «Quelle Gaspésie?» pourrait-on demander. Car il y en a plusieurs. Rien n'est plus différent du sublime et sauvage tronçon de la 132 qui rase les falaises entre Tourelle et Gros-Morne, que celui qui longe la baie des Chaleurs, où la route s'éloigne trop souvent du rivage. La Haute-Gaspésie ne ressemble en rien à la baie des Chaleurs, qui n'a - visuellement parlant - aucun point commun avec la région de Percé. Les Chic-Chocs sont un autre monde, tout comme la vallée de la Matapédia, où les habitants vivaient de la forêt. Pour renouer avec «mes» Gaspésie favorites, j'ai pris le «Chaleur» de Via Rail jusqu'à Mont-Joli et j'ai pédalé pendant sept jours jusqu'à Percé, où j'ai repris le train pour rentrer à Montréal. Sept jours de pur bonheur!

Jour 1 : Sainte-Flavie - Matane (65 kilomètres)

Les frontières sont marquées par des bornes. Celle de la Gaspésie est bornée par les 40 silhouettes fantomatiques qui surgissent de la mer pour gravir en procession la pente douce de la grève, devant le Centre d'art Marcel Gagnon, à Sainte-Flavie. «Avant, les gens traversaient le village à 75 km/h. Aujourd'hui, ils aperçoivent les statues de la 132, et ils s'arrêtent pour les voir de plus près», remarque Marcel Gagnon, qui a façonné dans le béton armé «ces êtres qui sortent de l'eau à la recherche de la lumière». J'étais allé voir les statues dans le petit matin gris, avant d'enfourcher mon vélo. À Métis-sur-Mer, j'ai quitté la 132 pour m'engager dans le village où j'ai rêvé devant les maisons de pierre ou de bois qui ne dépareraient pas les hauteurs de Westmount. Jusque dans les années 30, une trentaine de riches familles anglophones de Montréal venaient y passer l'été à l'abri de la canicule et à portée de ligne des rivières à saumons. Aux Boules, le village suivant, les manoirs et les grands arbres qui les ombrageaient ont fait place à des maisons de bois plus modestes, dressées sur des terrains dénudés. J'étais revenu en terrain francophone!

Je me suis arrêté pour manger chez mes amis Luc et Francine, anciennement aubergistes à Kamouraska. Ils ont ouvert un gîte à Baie-des-Sables - Le Sablier - et l'ont superbement meublé d'antiquités de style victorien. «C'est pour rester dans l'esprit de la région et des résidences secondaires des anglos», m'explique Luc.

Une heure après être reparti de chez eux, je suis entré dans Matane en longeant le bord de mer festonné de petites maisons et de motels.

Jour 2 : Matane - Sainte-Anne-des-Monts (95 kilomètres)

La veille, j'avais essuyé quelques averses passagères, mais aujourd'hui le soleil m'accompagnera jusqu'à Gaspé. Seule ombre au tableau: beaucoup de camions me dépassent à toute allure. Ils se feront plus rares après Sainte-Anne-des-Monts, car les poids lourds qui desservent Gaspé et Percé passent par la baie des Chaleurs, pour éviter les routes sinueuses et les longues côtes du littoral nord de la péninsule. Mais pendant deux jours, chaque fois que la circulation était trop dense et que j'entendais le crescendo d'un moteur de camion lancé à plein régime, je me jetais sur le bas-côté. Hélas!, il était empoussiéré de gravillon et, trop souvent, criblé de trous et de craquelures. Mis à part quelques tronçons récemment asphaltés sur lesquels on a l'impression de flotter, les routes gaspésiennes, et surtout leurs accotements, sont en piètre état. Après Matane, les plats se font plus rares. Le parcours est une succession de raidillons et le paysage prend du relief. Juste avant Cap-Chat, les collines qui ceignent la baie des Capucins - une des plus belles de cette partie du littoral - sont maintenant hérissées d'éoliennes. Il faut dépasser le petit village et regarder vers l'ouest pour que le paysage retrouve son intégrité.

Jour 3 : Sainte-Anne-des-Monts- Mont-Louis (60 kilomètres)

C'est ici, juste après Tourelle, que le paysage devient sublime. Les Chic-Chocs, ces mastodontes qui forment l'épine dorsale de la péninsule, viennent s'accouder directement au bord de la mer, laissant tout juste assez de place au ruban étroit de la route pour contourner les caps, avant de déboucher dans l'échancrure d'une baie. Lovés au fond de chaque baie, les villages portent des noms qui chantent: Marsoui, Ruisseau-à-Rebours, Rivière-à-Claude et, plus loin, mais ce sera pour demain, L'Anse-Pleureuse, Gros-Morne, Manche-d'Épée La circulation est presque inexistante. Il n'y a plus que moi qui pédale le long des falaises, la mer qui fouette mollement les récifs et au loin, de temps à autre, la coque blanche d'un bateau de pêche qui reflète les rayons du soleil. À La Martre, où je ne croise âme qui vive, on a repeint le phare en rouge carmin. À Mont-Saint-Pierre, le Motel des Vagues est à vendre et les stationnements des autres établissements sont déserts. Aucun deltaplane ne s'élance de la montagne qui a donné son nom au village et le magasin général est fermé. Voici 30 ans, ce petit village campé au centre d'un des plus beaux paysages maritimes du Canada semblait promis à un bel avenir touristique. Les promesses ne se sont pas réalisées: trop loin des grands centres et la mer est trop froide! À Mont-Louis, le village suivant, il y a un peu plus d'activité. Deux bateaux déchargent leurs prises à l'usine du petit port de pêche et il y a du va-et-vient devant les fumoirs d'Atkins&Frères.

Jour 4 : Mont-Louis - Petite-Vallée (60 kilomètres)

«Vous allez grimper la Madeleine en vélo?» Cette question, on me l'a posée sur un ton d'incrédulité voici 20 ans, la première fois que j'ai bouclé le tour de la péninsule sur deux roues. Mais quand mon hôtesse du gîte me pose la même question, je crois déceler ce sous-entendu: «à votre âge?». La «Madeleine» quitte la mer à la sortie de Rivière-Madeleine pour se hisser sur le sommet du plateau, au terme d'une ascension de cinq kilomètres et demi. L'inclinaison dépasse les 12 degrés sur une bonne partie du parcours, mais la pente est brisée par deux longs paliers, si bien qu'on ne grimpe effectivement que sur quatre kilomètres. Après, descentes et montées se succèdent sur 12 kilomètres jusqu'à la plongée ultime dans le paysage de carte postale composé par Grande-Vallée avec son église posée sur un socle rocheux qui émerge de la mer. À la sortie de Grande-Vallée, je rencontre Charles Saint-Antoine, de Chertsey, dans Lanaudière. Avec ses deux chiens, Maya et Canelle, il fait le tour de la Gaspésie à pied. Il est parti d'Amqui, dans la Matapédia, six semaines plus tôt. Il compte atteindre Matane, où il prendra le traversier pour la Côte-Nord, dans une dizaine de jours.

Jour 5 : Petite-Vallée - Cap-des-Rosiers (85 kilomètres)

C'est aujourd'hui, la journée la plus difficile, avec son enchaînement de montées et de descentes. Les pentes ne sont pas aussi longues, ni aussi raides que «la Madeleine», mais elles se succèdent, presque sans répit, sur 80 kilomètres jusqu'au parc Forillon, à la pointe de la péninsule. La plus longue - elle fait quatre kilomètres - s'amorce à la sortie de Saint-Yvon. Elle est suivie par une descente vertigineuse jusqu'à la mer qui baigne une petite anse, puis on remonte sur un plateau accidenté. Quinze kilomètres dans le bois, loin de la mer jusqu'à l'Anse-à-Valleau, premier de ces petits hameaux de pêcheurs rattachés à la municipalité de Gaspé - la plus étendue du sud du Québec. Pointe-Jaune, Saint-Maurice-de-l'Échouerie, Petit-Cap, Rivière-au-Renard j'aborde chacun de ces villages en dévalant une descente, j'en ressors poussivement par une montée d'un kilomètre, en moyenne. Après Rivière-au-Renard, la route qui longe le parc Forillon en traversant l'Anse-au-Griffon et Cap-des-Rosiers est dans un état lamentable.

Jour 6 : Cap-des-Rosiers - Gaspé (50 kilomètres)

Ce matin, avant d'entreprendre la traversée du parc, j'ai pédalé jusqu'au Cap-Bon-Ami, où j'ai fait quelques pas sur les galets, le long des falaises qui déploient leurs robes safranées jusqu'au cap Gaspé. Puis, j'ai traversé le parc, où mes jambes fatiguées ont peiné dans les dernières côtes jusqu'à la descente vers la baie de Gaspé. À la sortie de Cap-aux-Os, j'ai été rattrapé par un cycliste qui m'a tenu compagnie (et aidé à réparer une crevaison) jusqu'à Gaspé où nous sommes arrivés un peu avant midi.

Jour 7 : Gaspé-Percé (83 kilomètres)

J'écris Gaspé-Percé, 83 kilomètres, mais c'est une vue de l'esprit. C'est la distance que j'aurais parcourue, si le temps s'était maintenu au beau comme les cinq jours précédents. Mais la pluie menaçait, lorsque j'ai emprunté le pont qui traverse la baie. Alors, au lieu de tourner à gauche et de rester sur la 132 qui longe la côte, j'ai coupé par la montée Sandy Beach, ce qui m'a économisé huit kilomètres. La pluie s'est mise à tomber alors que je dépassais Douglastown. J'ai donc pris un autre raccourci, la montée Bougainville, qui coupait à travers les collines, jusqu'à Barachois, sur le barachois de Percé (un barachois est une lagune coupée de la mer par une bande de sable). Comme il pleuvait dru, je me suis réfugié au Café couleurs, qui jouxte la galerie d'art de Gilles Côté. La pluie a cessé vers 14h. Trente minutes plus tard, j'attaquais les côtes de Percé. Au sommet du pic de l'Aurore, le rocher m'est apparu nimbé d'un nuage dont le soleil et le vent n'étaient pas venus à bout.

Les Jardins de Métis

Avec ses 3000 espèces de plantes indigènes ou exotiques, ce parc horticole maritime, divisé en 17 jardins (sans compter les 12 jardins contemporains aménagés chaque année pour le Festival international des jardins), est, avec le parc Forillon et l'île Bonaventure, l'attraction la plus visitée de la péninsule. Au centre, la villa Estevan, avec ses 37 pièces, donne un avant-goût des somptueuses demeures du village de Métis-sur-Mer, une dizaine de kilomètres plus loin.

D'Arbre en Arbre

Juste avant Cap-Chat, des gens de la région ont aménagé ce nième parcours québécois de câbles, de ponts suspendus et de tyroliennes entre la cime des arbres, à l'écart de la 132. Pour la vue du haut de la grande tyrolienne tendue entre les falaises du bord de mer et pour le phare et la maison du gardien!

Exploramer, à Sainte-Anne-des-Monts

Poissons, raies, homards, crabes, méduses, étoiles de mer, plantes marines la faune et la flore de l'estuaire et du golfe sont représentés dans les aquariums de ce musée, dont la mission est de «faire découvrir le Saint-Laurent et sa biodiversité». Trois fois par jour, jusqu'au 1er septembre, le JV Exploramer, emmène les touristes relever les casiers de pêche au large.

Le phare de Madeleine-Centre

Juché sur un cap, le phare a été transformé en musée. On y a reconstitué l'histoire du Grand Saut - une passe migratoire à saumons aménagée dans la roche, à l'endroit où la rivière Madeleine dévale une cascade de 25 mètres - et celle de la vie quotidienne des habitants de Madeleine, pendant la première moitié du XXe siècle. La maison du gardien est devenue un café internet.

Le Centre d'interprétation des pêches

Aujourd'hui rattaché à Gaspé, le gros village de Rivière-au-Renard est le plus grand port de pêche de l'est du Canada. Baptisé Bardeau et Bateau («Bardeau», parce qu'on propose aussi de visiter l'ancienne scierie à vapeur située à un kilomètre), le Centre d'interprétation est situé sur un des quais du port, près du parc à bateaux et des deux usines de transformation des produits de la mer. On visite les installations portuaires pendant qu'un guide explique les différents types de pêche côtière et semi-hauturière encore pratiqués dans le golfe.

Le parc Forillon

Il faut se promener le long des falaises du Cap-Bon-Ami, mais aussi visiter, de l'autre côté de la pointe de la péninsule, le site de la Grande-Grave, la maison Blanchette et le magasin Hyman&Sons, pour découvrir comment vivaient, au début du XXe siècle cette population de pêcheurs gaspésiens exploitée par les grands marchands de morue des îles anglo-normandes.

L'île Bonaventure

Les falaises de l'est de l'île abritent 60 000 couples de fous de Bassan, ce qui en fait la plus grande colonie du monde de ce type d'oiseaux marins. Et la plus accessible, puisqu'ils se laissent approcher jusqu'à portée de main! Pour y aller, le bateau longe le rocher Percé, puis les échoueries de phoques au pied des falaises de l'île. En débarquant, on visite la maison Le Bouthillier, où logeait les gérants des installations de pêche, jusqu'en 1927. L'excursion à l'île est le clou d'un voyage en Gaspésie!