Depuis toujours, le vélo-tourisme semble associé à une certaine forme de simplicité volontaire. Dans les Cantons-de-l'Est, voilà cependant qu'on arrive à marier la bécane à la dolce vita, et ce, sans le moindre soupçon de culpabilité!

Se vautrer sous les douillettes le matin. Pédaler et découvrir la nature bucolique le jour. Relaxer au jardin ou à la piscine. Faire des bulles dans le spa. Boire des bulles en flûte à l'apéro. Sombrer dans la gourmandise le soir. Prendre l'allongé avec un nuage de soleil couchant puis s'endormir en rêvant d'un lendemain pareil. C'est le programme du forfait vélo le plus luxueux offert au Québec.

Dans l'esprit de plusieurs, vacanciers ou hôteliers, le tourisme à vélo ne convient qu'aux amateurs de camping ou de gîtes du passant à la rigueur. Bref, à une clientèle d'esthètes granivores à l'affût du forfait le plus abordable. Pour ces derniers, les régions se pourfendent afin d'offrir le meilleur «rapport qualité-prix». Certains conçoivent aussi le Québécois comme un voyageur sans ressources, à qui l'on ose difficilement offrir ce qu'on croit réservé à la clientèle anglophone et étrangère. Toutefois, il y a deux ans, la Sépaq confirmait que son séjour de luxe offert à l'auberge de montagne des Chic-Choc était acheté 9 fois sur 10 par des Québécois francophones. Exactement l'inverse de ce qu'on avait prévu. Il y a donc des nôtres prêts à payer le prix pour vivre une expérience unique. Dans le cas du forfait cyclisme des auberges du lac Massawippi, ils devront environ débourser de 2000 $ à 4000 $, au total, pour quatre jours de vélo et de vie de pacha.

Lac Massawippi

L'Auberge Ripplecove & Spa d'Ayer's Cliff ainsi que le Manoir Hovey de North Hatley offrent conjointement ce nouveau forfait qui a remporté un succès immédiat dès le début de la saison puisque, malgré son prix relevé, il coûte à peine plus cher que les forfaits standards qui comportent moins d'avantages. Les deux établissements cinq étoiles, propriété de la famille Stafford, sont situés aux confins du magnifique lac Massawippi et jouissent d'une auréole de prestige. Ils croulent l'un et l'autre sous les honneurs mais Jeffrey Stafford, propriétaire du Ripplecove, affiche avec une fierté toute particulière la mention quatre diamants que le CAA attribue à la paire d'auberges tant pour l'hébergement que pour la restauration.

Ces refuges douillets proposent l'ambiance feutrée et champêtre des anciens lodges anglais typiques des Cantons-de-l'Est. Construite en 1945, l'Auberge Ripplecove a d'abord accueilli l'élite canadienne et américaine des amateurs de pêche, de loisirs nautiques ou de ski, dans des installations qu'on aimait rustiques et pittoresques. Elle en a gardé un charme singulier qui s'exprime à travers son superbe mobilier ancien, ses gravures d'époque qui couvrent les murs et les effluves de feux de bois qui imprègnent les corridors.

Même chose pour le Manoir Hovey, érigé en 1950 dans un style indéfinissable imposé par la topographie du terrain. Avec ses colonnades où les plantes grimpantes s'enlacent et ses chaises de jardin au milieu des espaces fleuris, il semble parent des monuments de villégiature du XIXe siècle.

Discrètement, les temps modernes ont quand même réussi à s'infiltrer dans les murs de ces chapelles de doux plaisirs qui sont passées au confort moelleux des intérieurs climatisés, bains à remous, spas extérieurs, centres de massothérapie, écrans plats et Internet sans fil. Les caves à vin regorgent de grands crus classés, et les tables d'hôte constituent un pur ravissement renouvelé soir après soir.

Qui croirait qu'au nombre des amateurs de vacances gourmandes et passives qui composent la clientèle traditionnelle de ces institutions, puissent s'ajouter quelques jouisseurs en quête de dépenses physiques utiles à amoindrir le remord éprouvé devant la table gastronomique qui se dresse quotidiennement devant eux?

Circuits vélo

Les circuits vélo des Cantons-de-l'Est s'étendent sur 500 km de pistes diverses et les options sont nombreuses pour les cyclotouristes, ne serait-ce que la nouvelle véloroute des Cantons (Route verte) qui s'étire sur 225 km de part en part de la région. Toutefois, pour ceux et celles qui choisissent le forfait cyclisme des auberges du lac Massawippi, deux propositions se démarquent : la piste Tomifobia et les Grandes Fourches.

La piste cyclable Tomifobia n'a pas encore fait la manchette, pourtant, elle s'inscrit en tête de lice des secrets à découvrir à mon point de vue. Reliant Ayer's Cliff à la frontière américaine, 20 km plus loin, elle occupe l'emprise ferroviaire qui courait autrefois de Boston à Montréal. Elle ne présente donc aucune pente, si ce n'est un faible faux plat. Cette piste de poussière de pierre nous fait plonger dans un environnement naturel étonnant dès que l'on s'éloigne d'Ayer's Cliff.

Des concentrations extraordinaires de fougères frappent d'abord l'oeil par leur densité et leur hauteur. Si bien que les chevreuils arrivent à s'y enfouir complètement. Plus loin, de très beaux marais sont couverts de nénuphars en fleurs et de pièces de bois mort sur lesquelles les tortues peintes se chauffent au soleil. Dans un étang, deux couples de bernaches promènent fièrement leur progéniture. La forêt succède aux prairies dans ce corridor qu'il a parfois fallu tailler dans le rocher, à même le granit massif qu'on exploite industriellement dans le secteur de Beebe et Rock Island.

La rivière Tomifobia tient constamment compagnie aux cyclistes. Son eau brune et trouble dans ses louvoiements devient limpide et fraîche lorsque la rivière frisonne sur un fond rocailleux. Juste au sortir du minuscule hameau qui porte son nom, un sentier discret permet de descendre sur les rochers d'un de ses rares rapides et de cacher les vélos pour aller s'y étendre ou dîner. Sur tout le parcours, avant d'arriver à Beebee et Rock Island en fin de course, on ne voit pas d'âme qui vive. Quelques maisons achèvent de s'effondrer, vestiges des communautés anglophones désertées. C'est le visage méconnu des Cantons-de-l'Est, un arrière pays ignoré et fascinant.

Quant au réseau Les Grandes Fourches, beaucoup plus connu des cyclistes, il épouse le cours de la très belle rivière Massawippi à partir de North Hatley, dans un décor extrêmement verdoyant et des plus agréables même sous la pluie. Après avoir longé l'ancienne mine Capleton, qui nous fournira un abri précieux durant l'orage, nous nous rendons au très british campus de l'Université Bishop, à Lennoxville, et beaucoup plus loin encore puisqu'il ne constitue qu'un des axes de la Route verte qui traverse Sherbrooke et se poursuit jusque vers la région de l'Amiante. Toujours à partir de North Hatley, on peut également choisir le circuit plus escarpé de l'Axe du sommet qui se poursuit vers Magog en multipliant les opportunités.

À visiter

Sur la Tomifobia : Bleu Lavande, à Fitch Bay (Stanstead). Le plus important producteur de lavande au Canada, un monde d'odeurs et de couleurs tout à fait inusité. On peut s'y rendre à vélo à partir de la piste Tomifobia. www.bleulavande.ca.

Sur Les Grandes Fourches : Les mines Capleton. Un complexe minier historique parmi les plus importants du continent et un site naturel à découvrir : www.minescapelton.com, 1 888 346-9545

Apportez vos passeports pour traverser au Vermont éventuellement.

Info vélo Cantons de l'Est : www.cantonsdelest.com/velo, 1 866 963-2020. Demandez la carte Les Cantons-de-l'Est à vélo.

Le forfait cyclisme des Auberge Ripplecove et Manoir Hovey s'étend sur quatre jours, deux à chaque endroit. Il comprend l'hébergement en diverses catégories, les petits-déjeuners, les soupers gastronomiques, les pique-niques préparés chaque jour dans un sac à dos fourni, les vélos, le transfert des voitures et le service.

Les prix par personne en occupation double vont de 669 $ pour une chambre économique à 1241 $ pour une suite. (Certaines publicités présentent un tarif de basse saison à partir de 455 $, mais il s'agit d'une erreur.)

Information et réservations :

Manoir Hovey : www.manoirhovey.com ou 1 800 661-2421

Auberge Ripplecove : www.ripplecove.com ou 1 800 668-4296