Nous sommes en route vers les villages de chasseurs de têtes philippins. Dans mon sac, j'ai des boîtes d'allumettes et des crayons de bois. Au magasin général, on m'a conseillé d'apporter ces cadeaux pour les amadouer.

«Si ça ne fonctionne pas?

— Cours le plus vite possible, dans une pente, en ôtant tes vêtements.

— Hum...»

C'est pas pour les ours, ça? En tout cas.

Au pied de la montagne, Francis, le guide de randonnée (il attend toujours vos missives parfumées, Mesdames) pointe en direction du sentier.

«C'est par ici.»

Devant nous, donc, un chemin étroit et boueux – et tellement à pic que je serais tenté de l'appeler un mur − se faufile entre une petite maison et un berger allemand qui, vraisemblablement, n'apprécie pas la présence d'étrangers. Enfin, c'est ce que l'on pourrait penser à la vue du gros toutou: il grogne, il montre les dents et il a de la broue au bord des babines.

Encore une fois, ça part bien, et votre dévoué trekkeur du dimanche est ravi! Vous savez comme j'aime les problèmes... La loi de Murphy, qu'ils disent? Parlez-m'en! Je prends un bateau, et le vent se lève. Je hèle un taxi, et le chauffeur, qui vient de voler la voiture, est saoul. Dans l'autobus, j'ai toujours le siège défoncé et, plus le trajet est long, plus j'ai de chances que le passager assis à côté de moi n'utilise pas de dentifrice, de déodorant ou ait mangé du chou.

«Alors, tu viens, monsieur Blanche?»

Maître de mes émotions (à défaut d'être celui du chien), je prends une grande inspiration, et je me répète les mots magiques, dans mon cerveau: «Relaxe, Bruno. Les chiens jappent parce qu'ils ont peur.»

Depuis ma tentative d'escapade, dans les années 80, j'éprouve un sérieux malaise avec les chiens, particulièrement ceux qui ne parlent pas ma langue. J'essaye de me convaincre du contraire, mais je sais qu'au fond, c'est peine perdue. À l'époque, j'ai vécu une expérience traumatisante, avec une meute de bâtards enragés guatémaltèques, qui m'avaient encerclé, au lever du soleil, au lac Panajachel. Ce qui devait être un moment de grâce s'était assez rapidement transformé en film de Stephen King.

Et je n'oublie pas ces choses-là facilement! Faut dire que ça ne date pas d'hier...

À l'âge de 6 ans, j'ai lâché la main de ma mère, sans avertissement, et j'ai traversé le boulevard Langelier en pleine heure de pointe parce qu'un gros chien m'avait jappé après sur le trottoir. Ma mère a rectifié les faits, récemment: il ne s'agissait pas d'un gros chien.

«Un caniche?

— Oui, un caniche!

— Dis-moi au moins que c'était un caniche géant, maman!

— Non, Bruno. Un petit caniche. Avec un pompon.

— C'est peut-être à cause du pompon...»

Avant de partir, il y a quatre ans, j'avais même songé à me procurer une petite bouteille de poivre de Cayenne, au cas où je tomberais sur du canin malin non identifié.

Je n'ai jamais mis mon plan diabolique à exécution mais, pendant qu'on y est, pour tous ceux qui auraient envie de se balader avec du poivre sous pression dans la pochette, j'ai une histoire très éducative à vous raconter.

Couchez les petits.

Un soir, à Antananarivo, capitale de Madagascar, une ville peu recommandable après la tombée du jour, notre ami Big Pete s'est fait attaquer. Pas par un chien. Par des bandits. Ils ont taillé sa poche de pantalon avec un rasoir et piqué son portefeuille vide (nous venions d'en boire le contenu). Big Pete n'a pas eu le temps de réagir. Ils avaient filé. Frustré, notre gros copain s'est alors souvenu qu'il avait du poivre de Cayenne dans son sac. Il ne l'avait jamais utilisé. Sur la bouteille, il est écrit qu'on doit en pulvériser un petit coup, une fois de temps en temps, pour éviter que le truc se bouche. Alors ce soir-là, en faisant bien attention, Big Pete a pesé sur la pinouche. Mais pas assez fort. Ça a fait pschiiit! et le liquide a coulé sur sa main. Il est rentré à l'hôtel, s'est rincé les doigts et s'est couché.

Et comme le font 99% des hommes, il s'est instinctivement tâté les parties intimes avant de s'endormir.

Mauvaise idée.

La peau du scrotum est très sensible au poivre de Cayenne. Même en infime quantité.

Alors, ça s'est mis à chauffer. Un peu, beaucoup, énormément!

Le lendemain matin, au petit-déjeuner, je lui ai trouvé l'air fatigué.

«T'as pas bien dormi, Pete?

— Non. J'ai passé la moitié de la nuit sur la pointe des pieds avec les couilles dans le lavabo, sous le robinet d'eau froide... T'as pas besoin d'une bouteille de poivre de Cayenne, par hasard?»

Un ami, un vrai, ce gros Pierre.

Et ce chien qui grogne toujours...

Allez, courage! Dans le prochain épisode, nous vaincrons nos phobies, et la foi déplacera les montagnes.