Sur le King Highway (l'autoroute du roi), je partage un taxi avec un couple de Coréens chrétiens et un curé irlandais pompette. Les paysages sont magnifiques, peut-être les plus beaux de Jordanie (et même du Proche-Orient), et mes compagnons de voyage, qui se découvrent un soudain goût commun pour la chorale, entament un joyeux Frère Jacques, en canon.

«Frè-re djack-kal, Frè-re djack-kal...»

Le curé gesticule comme un chef d'orchestre, et le couple de Coréens chante avec un plaisir manifeste, les yeux brillants, en se serrant tendrement la main, comme deux amoureux qui se retrouvent, enfin. Le conducteur du taxi me fait une grimace réjouie dans son rétroviseur.

«Dormezz-vouss, dormezz-vousss...»

À ce moment précis, un camion qui transporte de l'uranium 235 nous fonce dessus, BANG! Et nous mourons tous sur le coup dans une spectaculaire explosion nucléaire.

* * *

Entre la ville d'Aqaba, en Jordanie, et celle de Nuweiba, en Égypte, un grand ferry bleu et blanc, le Princess, exécute de lents allers-retours. «Un service rapide et efficace», qu'on vous annonce dans le Lonely Planet. Ah oui? Le traversier est toujours en retard, l'attente au port est pénible et, pendant la traversée, on n'est pas autorisé à sortir sur le pont (moi, dans un bateau, j'étouffe!); mais c'est le moyen le plus économique d'entrer en Égypte, à partir du Moyen-Orient – à moins que vous ne passiez par Israël.

Or, au port, avant le départ de la Jordanie, vous passez au comptoir des douanes et on vous appose le tampon de sortie. Au revoir, Jordanie!

J'adore ces moments-là, quand, au sortir d'un pays et avant de rentrer dans un autre, vous êtes officiellement... nulle part. Mais ici, il y a une «twist» supplémentaire : à bord du bateau, un responsable s'empare de votre passeport.

«Vous viendrez le récupérer au bureau de l'immigration égyptienne, où on vous donnera un visa.»

Wow! Au milieu de la petite baie d'Aqaba – aussi appelée baie de Eilat (par les Israéliens) –, il y a donc un moment où vous vous trouvez devant l'Égypte, avec, à votre droite, Israël, à gauche, l'Arabie Saoudite et, derrière vous, la Jordanie.

Et vous n'existez pas.

* * *

Au Sinaï, vous êtes en Égypte... mais pas encore en Afrique. La pointe rocheuse, qui est séparée du continent par le canal de Suez, est probablement, à ce temps-ci de l'année, un des endroits les plus hostiles de la planète. À Nuweiba, un bédouin me pointe une montagne.

«Là-bas, ça fait 60 ans qu'il n'a pas plu.»

Rough, le Sinaï? D'ici, ce n'est que du roc, où rien ne pousse, qui devient sable et qui glisse dans la mer. Devant, des chameaux en liberté écument la plage, comme des bandes de chiens sauvages, à la recherche d'une pousse rare dans un jardin laissé sans surveillance ou d'un fond de sac de chips au ketchup. Le bédouin les chasse avec un grand bâton. Les animaux n'insistent pas, et ils décampent chez le voisin.

«Mais à l'intérieur des terres, il y a des sources d'eau et des oasis», spécifie le bédouin, qui essaye de me vendre un tour en 4x4.

Moi, ce qui m'intéresse surtout, c'est le mont Sinaï, l'emplacement où Moïse a reçu les 10 commandements.

Un mont qui se grimpe facilement en quelques heures, grâce à de belles marches taillées sur mesure pour les pèlerins avec, tout en haut, un buffet qui peut accueillir jusqu'à 500 personnes, où l'on vous offre, avant de partir, un biscuit avec un message dedans, comme dans les restaurants chinois.

«Voici votre commandement, jeune homme», me fait le frère-waiter, avec un clin d'oeil compatissant.

Fébrile, je vais à l'écart, et j'ouvre mon biscuit.

Et là, j'entends la grosse voix de Dieu qui dit : «Des fois, il faut que tu laisses la télécommande à ta blonde.»

Fiou. Fallait bien que je vienne en Égypte pour me faire dire ça.