Le premier coup de machette a tranché la peau et les muscles, mais n'a pas tué le buffle. La bête a figé. Un trou béant s'est ouvert dans son cou. Aucun sang n'a coulé. Comme si le temps s'était arrêté.

Ses pattes sont devenues molles et le buffle a secoué la tête, sous le choc. Puis, il a vu rouge et il a foncé sur son bourreau. Sa patte de derrière attachée à un arbre l'a tout juste empêché de rater sa cible. L'homme à la machette s'est jeté sur le côté. Deux braves sont intervenus pour essayer de calmer l'animal. Peine perdue, le buffle savait trop bien ce qui l'attendait. Et il se débattait avec l'énergie du désespoir, mon cher Roger. Et un coup de corne et un coup de sabot. Olé! La corrida!

Et la foule hurlait de rire.

J'étais où?

À une cérémonie funéraire.

Un mardi matin à Tana Toraja, dans l'île de Sulawesi.

* * *

À Tana Toraja, on pourrait croire que les gens passent leur vie à célébrer la mort. Ils ont de ces rituels si complexes, que c'en est troublant.

Pendant des semaines, des mois ou même des années après un décès, ils conservent le corps du défunt à la maison, le temps de ramasser assez de sous pour pouvoir payer les frais de la grande cérémonie. Celle-ci dure plusieurs jours et attire parfois des milliers de personnes.

J'ai assisté à la fête d'une famille modeste. J'ai calculé qu'il y avait au moins 50 porcs et une bonne douzaine de buffles, qui allaient tous subir le même sort dans la journée: mourir la gorge tranchée.

C'est une célébration d'une violence inouïe, excessivement sanglante et bruyante (les pleurs des cochons sont à la limite du supportable). Mais selon les Torajas, ces sacrifices sont nobles et nécessaires.

Pour l'animal, ce serait la plus belle façon de mourir. Parce qu'il ne sera pas mort en vain. La viande sera dépecée et offerte aux invités, pour les remercier d'avoir rendu hommage au défunt. Puis, les âmes des animaux aideront le mort à se rendre au paradis. Plus il y a d'animaux sacrifiés, plus ça ira vite.

Parce que les âmes des animaux agissent comme:

a) des tapis roulants;

b) des cerfs-volants;

c) un gros ballon;

Faites votre choix.

Moi, j'aime bien l'idée d'une montgolfière gonflée d'âmes. Et ça ne finit pas ainsi.

Après la tuerie, on danse et après le party, le cercueil est accroché au flanc d'une montagne. Et une poupée de bois représentant le défunt, qui fait à peu près un mètre, est placée en veille sur un petit balcon aménagé dans le roc.

Le cercueil sera donc suspendu jusqu'à ce qu'il... tombe. Et c'est tabou de le ramasser ou même de le toucher. Alors, il y a certains endroits, au pied des falaises, où vous marchez littéralement sur des ossements. Des cercueils éclatés jonchent le sol et l'ambiance est assez glauque, merci. Ajoutez à cela des dizaines de poupées qui vous observent avec leurs gros yeux de bois et on se croirait dans un film d'horreur! Chucky contre les squelettes de la grotte du Diable! À chaque tournant, on s'attend à voir surgir un fantôme, les jumelles de The Shining ou un gros gars avec un masque de gardien de but et une scie mécanique...

Conseil: visitez au moins un site d'enterrement la nuit. C'est tripant à mort.

Et si c'est un bébé qui meurt, les Torajas creusent un trou dans un tronc d'arbre, y déposent le corps du petit, puis recouvrent le trou de cordes tressées. En cicatrisant, l'arbre se referme sur le cadavre... Alors, il y a certains endroits où vous marchez dans une forêt d'arbres remplis de bébés morts.

Glauque?

Mets-en!

Mais c'est vraiment fascinant. Et la région est superbe. Et les rizières en terrasses sont spectaculaires. Et les maisons traditionnelles sont charmantes. Et les habitants sont gentils. Et c'est facile d'accès. Et les hôtels sont nombreux. Et...

Allez-y donc.

Prochaine destination: Bali. Sortez vos Ray-Ban, et votre Speedo!