Un siècle et demi avant le FLQ, un Patriote a mené une insurrection armée pour l'indépendance du Québec. Il s'appelait Robert Nelson... et c'était un maudit Anglais.

Nelson était issu d'une famille loyaliste de la haute société américaine. Son père, probablement riche en tabarnak, avait fui les States lors de la guerre de Sécession pour trouver refuge avec sa famille au Bas-Canada. Il avait payé de belles études à Montréal et à Harvard à ses fils, Wolfred et Robert, ce dernier choisissant la médecine.

Vers la fin de la guerre de 1812 (la préférée de Harper), Robert a été engagé par l'armée en tant que chirurgien, où il s'est mis à «guérir» des blessés de guerre en amputant les membres gangrenés sans aucune autre forme d'anesthésie qu'une bonne shot de fort et possiblement une lanière de cuir pour mordre dedans, tant qu'à faire dans les clichés. Ensuite, le vaillant fils de loyaliste s'est occupé de nombreuses communautés mohawks, bénévolement paraît-il. Auprès d'eux, il a constaté que l'empire britannique n'avait que peu d'égards envers les populations des Premières Nations.

L'une des personnes les mieux placées pour expliquer la démarche du docteur Nelson est peut-être Ogden, le chanteur d'Alaclair Ensemble. Né à Québec de parents originaires de Sarajevo, l'artiste se reconnaît dans l'histoire de ce Patriote anglophone. «Je n'ai pas de sang québécois et mon identité est multiculturelle, mais je suis souverainiste, dit-il. Pour moi, l'indépendance n'a rien à voir avec une quelconque identité ethnolinguistique. Je me suis senti représenté par ce fils de loyaliste anglophone qui est devenu chef patriote.» Ogden a d'ailleurs un nouveau projet, Les filles du roé, au sein duquel il rappe sous le pseudonyme de Robert Nelson.

Le chanteur estime que le docteur avait des raisons philosophiques pour se joindre au mouvement patriote et devenir un fervent indépendantiste. «Il était très insatisfait du traitement civil des Amérindiens, dit-il. Ce passage chez eux a joué un grand rôle dans la formation de son idéal politique.»

Sauter dans le ring

Encouragé par son frère Wolfred, Robert s'est ainsi lancé en politique en 1827 et a été élu sous la bannière du Parti patriote, dirigé par Louis-Joseph Papineau himself. Il faut ici rappeler que pour les standards de l'époque, les Patriotes étaient plutôt radicaux dans leurs demandes, un peu comme si l'ASSÉ formait l'opposition officielle à l'Assemblée nationale. Ils demandaient un gouvernement responsable, un État  républicain, la fin du lien avec la monarchie... Disons que la période de questions au Parlement ne devait pas toujours être élégante.

À travers tout ça, Robert Nelson se situait lui-même à la gauche du parti: il réclamait notamment la fin du régime seigneurial, ce que Papineau refusait. On sentait déjà que l'anglo était plus radical que son chef. «Il représente ce qu'on pourrait décrire aujourd'hui comme la gauche du Parti patriote», explique Christian Dessureault, historien et professeur à l'Université de Montréal.

Nelson a fini par quitter le Parlement et est retourné pratiquer la médecine pendant un moment. Mais arriva ce qui devait arriver: la rébellion des Patriotes de 1837, celle qui permet maintenant aux jeunes indépendantistes de brandir annuellement un drapeau orné d'un vieux bonhomme armé d'un mousquet et d'une pipe.

C'est là que la guerre a éclaté pour de bon entre Nelson et la Couronne. Le combat était plutôt inégal, en ce sens où la toute nouvelle reine, Victoria, régnait alors telle Athéna sur la moitié de l'univers connu. Le médecin anglais était, disons, loin dans sa liste de priorités. N'empêche que Nelson allait réussir à se faire remarquer.

L'événement ayant allumé la poudrière Robert Nelson a été son emprisonnement injuste après la bataille de Saint-Denis, que les Patriotes (dont faisait partie Wolfred) avaient perdue. Coupable par association, il a été foutu en taule où il a, en gros, sauté une coche. «Son arrestation a été la goutte qui a fait déborder le vase, décrit Ogden. Après son emprisonnement, il est parti en mission.» Juste avant d'être libéré pour cause d'être innocent, la légende veut en effet qu'il ait écrit sur le mur de sa cellule: «The English government will remember Robert Nelson

La suite allait démontrer qu'il savait tenir parole.

Peu après sa libération, Robert s'est enfui aux États-Unis aux côtés de quelques centaines de partisans aussi radicaux que lui pour planifier une invasion. «Leur processus révolutionnaire est né dans l'action, rappelle Christian Dessureault. Plus le gouvernement prenait des mesures répressives, plus les Patriotes avaient tendance à devenir radicaux.»

Pendant que Nelson et sa gang conspiraient, Papineau et les siens, eux aussi en exil, refusaient d'envisager une autre rébellion sans avoir l'appui des États-Unis.

C'est alors que Nelson, las d'attendre après un chef plus modéré, a fait un Jean-Martin Aussant de lui-même et a tout bonnement décidé d'aller de l'avant avec son projet d'insurrection, sans attendre Papineau. Or, en ces temps folkloriques, on ne décidait pas de l'avenir d'une nation en organisant des référendums. On ramassait ses fusils et on tirait sur les troupes britanniques. Et c'est ce qu'a fait Nelson.

Alors que Papineau se terrait dans sa cabane, le docteur a rassemblé quelques centaines de guerriers et s'est mis en marche vers la frontière du Bas-Canada. L'histoire ne dit pas s'il a fait un discours patriotique devant ses troupes en faisant des allers-retours sur un cheval blanc, mais ce qu'on sait, c'est qu'il est parvenu à franchir la ligne entre les deux pays et qu'il a commencé à distribuer des copies de sa déclaration d'indépendance dans les villages environnants.

Le texte de cette constitution provisoire était très progressiste: il prévoyait un État bilingue dans lequel autochtones, francophones, anglophones, métis et immigrants avaient des droits égaux. Bon, les femmes n'avaient pas le droit de vote, la peine de mort était encore prévue et Nelson était «nommé» président de la République, mais autres temps, autres moeurs: rappelons qu'à l'époque, l'esclavage existait encore aux USA.

«Il faut faire attention de ne pas analyser ces positions selon les valeurs d'aujourd'hui, nuance d'ailleurs le professeur Dessureault. Nelson n'était pas un socialiste, loin de là. Mais selon les normes du Bas-Canada, il figurait parmi les gens progressistes.»

Autre point important à souligner : n'en déplaise à ceux qui aimeraient aujourd'hui que la loi 101 s'applique de l'embryon à l'enterrement, les Patriotes de l'époque ne voyaient rien de mal à être dirigé par un anglophone. Leur combat était pour la nation, et cette nation n'était pas blanche, catholique et francophone. Elle s'exprimait plutôt au sein d'une république multiculturelle, laïque et bilingue. Grosse, grosse différence, que plusieurs (ok, les membres du Mouvement Québec français) ont encore de la misère à accepter aujourd'hui. Précisons tout de même que la défense du français était importante pour Nelson et ses amis. «Dans les faits, établir deux langues officielles était un grand progrès pour le français, clarifie Christian Dessureault. La langue restait un aspect très important pour les Patriotes.»

Quoi qu'il en soit, l'invasion du Bas-Canada par les Patriotes de Nelson a fonctionné comme on peut l'imaginer: très mal. Environ trois minutes et quart après la proclamation d'indépendance, les Britanniques sont arrivés avec leurs canons pour dire ce que la reine d'Angleterre pensait de leur nouveau pays.

Bref, les Patriotes de Robert Nelson en ont mangé une sacrament.

Let's do that again

Nelson et ses survivants ont dû battre en retraite vers les États-Unis où ils ont été arrêtés, sous prétexte qu'ils avaient violé une loi sur la neutralité américaine. Heureusement, la population était de leur bord. Le jury chargé de les juger a décidé de les acquitter, parce qu'ils avaient eux-mêmes botté le derrière des Britanniques soixante ans plus tôt et que ça leur faisait plaisir de voir ces Patriotes se rebeller à leur tour.

Aussitôt libres, Nelson et ses fidèles ont repris leurs activités révolutionnaires en fondant les Frères chasseurs, une société secrète chargée d'organiser une nouvelle rébellion. Pour éviter d'être repérés, les Frères chasseurs ont donc mis sur pied un système élaboré de codes allant de la poignée de mains spéciale aux rencontres mystérieuses au milieu de la nuit. Plus on fait de cachettes, meilleures sont les chances de réussite.

Ainsi, au début de l'automne 1838,  l'organisation secrète lance un nouveau raid. Avec le même pas d'succès qu'à l'autre tentative.

Car à ce moment, étant pas mal déterminés à rester sur le territoire bas-canadien, les troupes britanniques n'allaient pas se laisser impressionner par Nelson et ses quelques soldats mal équipés, surtout vu le résultat de leur premier affrontement (ç'eût été humiliant). Les habits rouge ont donc fait ce que tout bon empire doit faire en cas de rébellion: tuer le plus d'ennemis possible et balancer leurs chefs au bout d'une corde. Encore une fois, Nelson a dû s'enfuir la queue entre les jambes, étant même un instant capturé par ses propres soldats qui le soupçonnaient d'avoir abandonné la cause. Quand ça va mal...

La fin de vie de Robert Nelson n'a rien de très glorieuse. Il a traîné dans l'Ouest américain un moment, faisant fortune. Mais après avoir perdu tout son argent aux mains d'un fraudeur, il s'est installé sur le côte Est pour finir ses jours. La légende raconte qu'il n'est à peu près jamais retourné au Bas-Canada, sauf une ou deux fois pour faire des opérations importantes (sans anesthésie, on n'insistera jamais assez là-dessus). Il est mort en 1873, laissant comme héritage le souvenir éternel d'un Anglais prêt à mourir pour défendre l'indépendance de ce qui allait devenir la province du Québec. Encore aujourd'hui, les souverainistes vouent un culte immodéré à ce meneur hors normes qui a failli fonder leur pays une fois pour toutes.

Ben non, c'est pas vrai. Mais ils pourraient bien.