Les Québécois retiendraient beaucoup plus des Anglais que de leurs soi-disant cousins français, selon notre belge collaborateur Pascal Henrard. Démonstration au crayon gras.

L'anglitude des Québécois est une attitude. Tout ça n'est pas une question de langue. C'est plutôt une question d'être, de culture, de perspective, d'état d'esprit, d'habitudes de consommation, d'humour, d'amour même. Et les états d'âme du bill 101 ne pourront rien y changer.

Les racines françaises des Québécois sont en effet bien loin, enterrées sous des couches de bacon, des louches de beans, des tonnes de gravy et des décennies de système parlementaire canadien assujetti à la couronne britannique. Que reste-t-il alors de la douce France, à part quelques noms de famille un peu surannés et la recette de la tourtière de nos ancêtres les Gaulois?

S'ils manient la langue de Justin Bieber avec moins d'aisance que celle d'Anne-Marie Losique, les Québécois n'en sont pas moins des Anglais dans l'âme et des Américains dans le coeur.

D'abord, ils mangent comme des anglos. Deux oeufs tournés au petit déjeuner. Du beurre de peanut sur des toasts abondamment tartinés de margarine. Du vinaigre dans les frites. Une pinte de bière. Un hot-dog moutarde relish dans un pain mou. Du poulet sauce brune avec de la salade de chou. Un chausson avec ça? À l'heure de passer à table, les recettes traditionnelles québécoises ressemblent bien plus à celles des faubourgs de Kitchener, Ontario, qu'à celles des bords de Seine.

(Je parle évidemment ici de folklore culinaire, parce que le Québécois moderne est aussi un adepte polyglotte des sushis, du poulet général Tao ou de l'osso bucco.)

Quand ils se bidonnent, les Québécois rient comme des anglos. Leurs comiques sont des stand up. Ils pratiquent un humour debout qui oscille entre l'anal et le sexuel. Peu de contrepèteries, quelques rares calembours, quasiment pas de mots d'esprit. Une phrase, une farce. Efficacité avant tout. Comme à Broadway, Piccadilly ou Just for Laughs.

À l'instar des Anglais, les Québécois attendent sagement en ligne. Que ce soit pour un show de whatever, le métro à l'heure de pointe ou la banque à l'heure des comptes, quand ils doivent patienter, les Québécois se mettent à la queue sans rechigner. Ils font preuve de savoir-vivre et ont appris les british bonnes manières qui font qu'on peut tous entrer dans un autobus sans se crier après ou se marcher sur les pieds comme à Paris.

Mais ironiquement, c'est dans le parler que les Québécois pure laine ressemblent le plus aux Anglais pure lamb. Le «tu» utilisé à tout vent est bien sûr la traduction trop littérale du you si convivial. En outre, du bon matin au party en passant par les bécosses, meetings, cédule, bitcher, flusher, name it, ils égrainent leurs conversations d'expressions et de mots calqués sur l'anglais. Le québécois, finalement, c'est du vocabulaire anglais dans une grammaire française.

Et avec les femmes? Le dragueur québécois n'a pas la langue bien pendue et le verbe passionné de ses cousins qui ont inventé le french kiss; il a plutôt la raideur malhabile des dandys britanniques à l'heure du thé. C'est plus fort que lui, il n'arrive pas à faire un compliment à une jolie fille sans avoir l'air de se prendre pour un participant d'Occupation douche. Et s'il l'aborde avec audace après quelques pintes de cette bière dont nous parlions plus tôt, il le fera avec des gros sabots, laissant la demoiselle éprise de romantisme sur sa faim.

Bref, tout le Québécois tend vers l'anglo. Pourtant, il s'en défend avec vigueur. S'il veut décliner à sa manière ce que l'Amérique a de meilleur, c'est en français exclusivement qu'il veut le faire. Et c'est tant mieux!