C'est le mononcle au jour de l'An, l'improvisateur vedette au cégep, l'esthéticienne portugaise à côté de chez nous. C'est Lise Dion, Laurent Paquin, Guylaine Guay, Antoine Bertrand, Ginette Reno. C'était Manda Parent et John Candy. Ce sont aussi plusieurs des Belles-Soeurs de Tremblay, peut-être votre belle-soeur à vous. Paul Buissonneault. Sonia Vachon, Philippe Laprise et le chauffeur d'autobus chantant sur l'Avenue du Parc. Dans un modèle «plus» réduit, c'est Sylvain Larocque, Jean-François Mercier et Jean-Michel Anctil - que l'on mélange avec l'autre, là, Mario Jean. Ils sont gros et comiques. Elles sont rondes et bidonnantes. On ne sait pas trop si l'un vient d'emblée avec l'autre, mais on les croise souvent ensemble, le surpoids et la drôlerie, comme les gais viennent souvent avec du goût et les Jackie avec un maquillage permanent.

Il n'y a pourtant rien de moins drôle, ex aequo avec la tache de vin dans le visage, qu'un problème de poids. Ce n'est donc pas la bedaine, la blague. Du moins, depuis la sixième année primaire que je n'ai pas côtoyé celui qui rit du gros parce qu'il est gros. On rit d'ordinaire avec le gros parce qu'il est drôle.

Sachez d'abord que les hypothèses que je propose ici sont loin d'être scientifiquement vérifiées. Il aurait fallu, pour cela, que je dissèque une grosse funny, que j'isole le gène d'obésité responsable de la mauvaise gestion de sa prise alimentaire, que j'analyse la partie droite de son cerveau pour savoir si sa constitution cérébrale peut justifier son sens du punch et que je fasse l'exercice comparatif sur au moins un millier de gros et grosses, le tout avec mes seules études en communications et un retard jamais rattrapé en motricité fine.

Bref, les spéculations basées sur des observations gratuites, c'est davantage mon affaire.

Réfléchissons-y donc. On ne mesure pas les aptitudes humoristiques de quelqu'un par ce qu'il dit ou fait, mais par l'effet qu'il exerce sur son prochain. Un drôle tout seul chez lui, sans public pour le proclamer drôle, c'est juste un gars vif d'esprit avec une rate en santé. C'est donc dire que pour que quelqu'un se targue d'être comique, il doit se faire approuver par d'autres. Or, l'homme étant un loup pour l'homme et n'accordant pas son rire à n'importe qui, il ne se méfie cependant jamais du gros à première vue, sachant que le gros a au moins un défaut que lui n'a pas : il est gros. L'homme-loup relâche donc naturellement son ventre à lui, prend tranquillement ses aises et laisse le gros utiliser l'espace de divertissement en se disant que, de toute façon, jamais sa blonde ne repartira avec pareil clown. Ce qui, dans les faits, n'est pas si sûr.

Mon esthéticienne portugaise a gagné ma confiance - et, la seconde d'après, mon rire - par sa corpulence. Sans blague, « Elle doit tellement en avoir, elle, de la broussaille à enlever! », que je me suis dit. Bon. Toujours est-il qu'elle s'est avérée l'esthéticienne la plus drôle au monde, mais aurais-je été aussi encline à rire si elle avait eu l'allure de Twiggy?

On peut aussi supposer qu'avec la poussée des bourrelets naissent les moyens de les défendre. Naît le réflexe d'aiguiser son sens de l'humour pour se protéger des assauts de l'extérieur ou, plus exactement, de la basse mesquinerie du petit voisin pas d'imagination qui ne sait se moquer que de ce qu'il voit. Et qui, à part Richard Desjardins, n'est le voisin de personne? Personne. Nous ne sommes donc jamais à l'abri de devenir le bas mesquin de quelqu'un d'autre.

S'il y en a un qui doit s'armer convenablement pour affronter l'insulte gratuite, c'est bien le gros. Condamné à rire de lui-même avant que les autres ne le fassent, forcé de visiter souvent l'espace de son coeur où il fait bon rire, convaincu à tort que sa culotte de cheval fera toujours ombrage à son sens de la répartie. Pas étonnant que cette habitude (volontaire ou non) de soulever le ridicule du monde autour de soi se transforme rapidement en deuxième nature, voire en indéniable talent.

Peut-être aussi que, chez l'humain, la richesse de la personnalité est directement proportionnelle à son tour de taille. Mais c'est de loin, surtout quand je m'amuse à repérer mes côtes flottantes imprimées dans mon matelas le matin, mon hypothèse la plus faible.

Au fond, il en revient peut-être à dire que la vraie mère de l'humour, c'est l'imperfection. Et l'imperfection assumée, autant que possible. C'est celle-là qui charme. L'autre, la non-assumée qui vient avec les mains suantes et un filet de voix, est nettement plus embarrassante que drôle. Il faudrait toutefois investiguer davantage pour savoir si, dans l'échelle de gravité de l'imperfection, l'embonpoint arrive réellement premier. Parce que La Poune alliait savamment humour et physionomie imparfaite, mais, ma foi, le surpoids n'était pas sa force, et toute diète l'aurait certainement fait disparaître avant son temps.

Ou c'est peut-être simplement une question d'équilibre universel qui fait que la nature octroie systématiquement à ceux qui portent le défaut le plus apparent du monde la qualité la plus payante de toute l'histoire de l'humanité.

On les envie presque.