Yves Michaud n'aime pas beaucoup les banques. Ex-député à l'Assemblée nationale, le fondateur du Mouvement d'éducation et de défense des actionnaires essaie, du mieux qu'il peut, de redresser le milieu financier. Une sorte de chiropraticien pour les crosseurs, qui, on l'espère, leur fera mal.

Selon vous, y a-t-il plus de bandits à cravate aujourd'hui, au Québec, ou plus de bons enquêteurs pour les attraper?

Il y a beaucoup plus de bandits aujourd'hui qu'il y a une cinquantaine d'années. En ces temps-là, les banquiers de ma génération étaient des personnes respectables,  comme les notaires, les curés et les médecins. Quand on voulait emprunter de l'argent à une banque, il fallait prouver qu'on valait le double de ce que l'on voulait obtenir. Aujourd'hui, ce n'est plus comme ça : le néo-libéralisme triomphant a fait éclater toutes les frontières de la décence et fait en sorte que les banquiers ne sont maintenant attirés que par le profit.

Ça se manifeste comment, cette indécence?

Les banquiers - enfin, certains d'entre eux - ont inventé des produits financiers absolument délirants, qui ne sont d'aucune sagesse. Plus un produit est difficile à vendre, plus la commission qu'il permet de toucher est élevée. Le monde financier est devenu sordide, comme la caverne d'Ali Baba et les quarante voleurs. C'est devenu le lieu privilégié de la fraude, de l'évasion fiscale et de la mauvaise foi, où les plus véreux ont ce pouvoir d'exploiter les honnêtes gens.

Il y a un mot pour ça: la cupidité.

Oui, j'aime bien ce mot. C'est exactement ça. On n'a qu'à voir les salaires délirants, éléphantesques, pharaoniques et himalayens des banquiers et des chefs d'entreprise qui se font voter des primes de départ -  et même des primes de licenciement - absolument scandaleuses.

C'est ce qui vous a fait réagir, non?

J'ai été le premier au Canada à obtenir en cour le droit de faire des propositions aux banques de la part des petits actionnaires.

Pourquoi?

Tout ça est arrivé un peu par hasard. À l'époque, je devais m'occuper du portefeuille de ma femme. Ayant été député à l'Assemblée nationale, j'en savais un petit peu sur l'univers de la finance, mais pas beaucoup, sinon, je n'aurais jamais osé approcher ce milieu assez pestilentiel. C'est pas du très joli monde, vous savez! Les banquiers et les financiers me font désespérer de plus en plus de la nature humaine.

Vous avez été député; est-ce que les banquiers exercent une certaine forme de contrôle sur les gouvernements?

Cela a toujours existé. Évidemment, il y a eu les unionistes de Maurice Duplessis... mais aussi les libéraux, qui ont toujours été très près de l'argent. René Lévesque, lui,  était hostile à ce milieu et avait entrepris de nettoyer les écuries d'Augias. Malheureusement, il a quitté la vie politique trop tôt et est mort trop jeune pour terminer le travail.

Pourquoi l'État ne fait-il rien? Qu'est-ce qu'il gagne à perpétuer cette situation?

Ceux qui font les lois sont aussi ceux qui profitent du système. Le Canada, par exemple, a permis à son ancien premier ministre, Paul Martin, d'établir sa compagnie (la Canada Steamship Line) aux Barbades, de rapatrier les profits au Canada et de ne payer que 5 % en impôts. C'est légal, les paradis fiscaux; les États votent des lois pour permettre l'évasion fiscale. Pourtant, dans une démocratie exemplaire, chacun devrait rendre à César ce qui appartient à César et payer ses impôts pour le bien commun.

Et l'Autorité des marchés financiers (AMF) ne fait rien pour combattre ça?

Vous savez, dans certains coins reculés du Québec, on tient encore des assemblées de cuisine, où une vingtaine de personnes se réunissent pour manger des sandwichs et boire du café. Pendant ces réunions, il y a souvent un type qui se présente comme « conseiller financer » et qui propose des rendements irréalistes aux autres participants. Pour les convaincre, il s'arrange pour avoir un membre de l'assemblée de son bord qui vante ses produits financiers. J'ai dit à l'AMF qu'ils devraient porter une attention particulière à ce genre de rencontres. C'est là que les fraudeurs se cachent.

Pourquoi n'agit-elle pas, alors?

Ce n'est pas qu'ils font un mauvais travail... mais ils ne sont pas assez d'employés! Même s'ils ont augmenté leur budget pour les inspections, ce n'est pas assez. C'est pour cette raison qu'une personne qui veut acheter des produits financiers doit agir comme un porc-épic qui veut faire l'amour ; c'est-à-dire faire très attention. Poser des questions, aussi. Aujourd'hui, les gens prennent plus de temps pour magasiner un matelas que pour se trouver des produits financiers... C'est inimaginable.

Donc, les Québécois ne s'occupent pas assez de leurs finances?

Pas du tout et je pense qu'il y a quelque chose de culturel, là-dedans. Le milieu de la finance a longtemps été abandonné aux Anglais et notre culture catholique nous a appris qu'il valait mieux laisser ça aux autres, que ce n'était pas noble comme préoccupation. Pourtant, au Québec, comme il n'y a pas vraiment de police pour contrôler les banquiers et les entrepreneurs malhonnêtes qui agissent avec la complicité de l'État, Il faut apprendre à surveiller notre argent.

Je devrais donc m'occuper de mes RÉER?

Un jour, j'ai fait le grand ménage dans mes affaires et je n'ai pas aimé ce que j'ai découvert. Vous devriez le faire aussi.