Pour certains, Starfrit, c'est les accessoires en plastique blanc «cheapettes» qu'on trouve dans tous les tiroirs de cuisine. Pour d'autres, ce sont les infopublicités d'une compagnie de poêles à frire «sûrement made in China». Starfrit, c'est pourtant une gamme de produits conçus par les Promotions Atlantiques, une entreprise familiale «made in Longueuil». Rencontre avec Jacques, Jacques Junior, Éric et Angélique Gatien, apôtres du design pratico-pratique.

La ressemblance est frappante. La poignée de main ferme, la stature, le faciès, le charme, le «bling» : Jacques Gatien est le Marlon Brando du Québec (plus à l'époque de The Godfather que de A Streetcar Named Desire, disons). Âgé de 71 ans, le président fondateur des Promotions Atlantiques trempe davantage dans l'eau de vaisselle que dans des affaires interlopes. En plus de la gamme de produits de cuisine Starfrit, on doit à son entreprise le design et la commercialisation de la brosse Oskar, du tapis Sauve-Pantalon, de la colle Krazy Glue, de la vadrouille Abeille et de bien d'autres gogosses au design certifié ISO 9002.

Malgré les apparences (et les produits manufacturés), les Corleone du «bien empaqueté, bien étiqueté et vendu à un prix défiant la compétition» aiment bien se salir et se mettre les deux mains dans la poutine (joke de cuisine, ici). «On passe beaucoup de temps à tester nos produits, affirme Gatien senior. Je me rappelle d'un prototype de Sauve-Pantalon qu'on avait congelé et qu'on avait frappé à coups de marteau pour tester en conditions hivernales. Il avait éclaté en mille morceaux!» Mais plutôt que de causer labos, sarraus et lunettes de protection, un portrait de famille s'impose.

De la mitrailleuse à la friteuse

Début des années 60. Jacques Gatien vient tout juste de terminer son service militaire et s'enrôle comme «démonstrateur» d'articles de cuisine dans les foires, les salons et les expos agricoles. Armé de sa bonhommie et de ses démonstrations très pragmatiques de nouveaux produits indiiiiiispensaaables à la maison, l'ex-soldat fait tinter sa caisse enregistreuse et charme rapidement le public. Tiens, tiens.

Flairant la bonne affaire, Gatien s'improvise importateur et distributeur de nouveaux produits de cuisine et ménagers qui ne sont pas encore sur les planchers des grandes surfaces, sous le fleuron des Promotions Atlantiques Inc. Son but est simple: commercialiser les inventions des créateurs québécois et internationaux. «Depuis 1965, les designers industriels et les inventeurs nous envoient leurs prototypes, des objets en carton ou des bouts de bois avec une lame par exemple, explique-t-il. Nous, on s'assure de les redesigner, de les rendre le plus attrayant, le plus durable et le plus marketing possible.»

Ok, mais comment reconnaît-on un prototype qui a du potentiel? «Il doit répondre à un besoin, explique le patriarche. Faciliter le quotidien, la vie de tous les jours si tu veux. Je vais te donner un exemple. J'étais en voyage en Asie, je parcourais un marché, puis j'ai croisé un vendeur qui agitait un contenant en plastique rempli d'eau sans se mouiller. Je lui ai demandé sa carte, juste au cas. Et puis, un jour, de retour chez moi, je me suis éclaboussé en sortant du céleri d'un bac d'eau dans mon frigidaire. J'ai contacté le monsieur et, depuis, on distribue son produit, sous le nom de Lock N Lock.»

Frites et fric

Depuis sa création, Promotions Atlantiques a commercialisé plus de 4000 « bébelles », dont un hachoir à frites. «C'était notre produit étoile, explique le père Gatien. Étoile, star, friteuse, frites... C'est comme ça qu'est né le fameux nom Starfrit». La gamme d'accessoires est donc mise sur pied en 1984. «En 2010, la marque fêtera son 25e anniversaire», souligne fièrement Éric, le responsable des opérations «slash» fils aîné «slash» sûrement le mouton noir des trois enfants (donc le Sonny Corleone de la bande).

C'est grâce à cette série d'innovations en plastique blanc, allant du Vacu-Vin (un «système de conservation pour bouteilles de vin déjà entamées») au combo salière et moulin à poivre («pour saler et moudre du poivre d'une seule main») que Jacques Gatien se fait connaître du public. Sans oublier ses infopublicités, qui misent sur sa grande amabilité et les performances de ses produits, plutôt que sur des décors léchés, des porte-parole célèbres ou des offres incroooOOOoooyaaables offertes pour un temps limité seulement. «Dans un article du Devoir, on l'a déjà baptisé le Magicien d'Oz...kar», ajoute Éric, avant de confier que les trois héritiers ont aussi collaboré à des publicités pour des flotteurs de piscine lorsqu'ils étaient plus jeunes. Imperméable aux compliments, le paternel demeure humble. «On a beau m'écrire les plus beaux textes du monde, je finis toujours par improviser. L'expérience, vous savez..!» Brando, j'vous dis, Brando!

Design pour emporter, famille sans assemblage requis

Contrairement à Ikea, qui privilégie un «style de vie» minimaliste, compact et ponctué de 'tites crisses de vis qui disparaissent quand vient le temps de monter la dernière pièce du meuble, les Gatien promeuvent un design beau, bon, pas cher. «C'est notre meilleur atout pour demeurer compétitif, explique Jacques Junior, directeur régional. En offrant des produits légers, aux coûts de production bas et faciles à empaqueter, on économise, et nos clients aussi.» Une philosophie qui réussit, puisque leurs produits sont maintenant distribués d'un océan à l'autre. «C'est sûr qu'on a quelques produits qui n'ont pas fonctionné ou qui sont devenus populaires seulement lorsque nos compétiteurs ont mis des imitations sur le marché, mais on a quand même une bonne moyenne au bâton, ajoute le coach Gatien senior. On a une moyenne de 300, j'dirais.» Bref, plus de coups sûrs que Gary Carter.

De 9 à 5, mais de 5 à 9 ?

On s'est fait raconter la petite histoire de la business, on a aussi parlé de design et même du fonctionnement de l'arrière-boutique avec ses tests de résistance et d'empaquetage efficace à gogo, mais la question qui nous brûle le bout des lèvres depuis le début de l'entretien demeure : est-ce que les Gatien se donnent des produits Starfrit en cadeaux d'échange à Noël ? «Bien sûr que non! s'exclame Angélique, responsable du service à la clientèle. À nos amis et connaissances, bien sûr, mais jamais entre nous.» Et pourtant, l'univers Starfrit n'est jamais très loin. «Ça a toujours été difficile pour nous de se distancer de la compagnie et même d'en prendre congé», confie ensuite Jacques senior. Les premières années, je déprimais après une semaine. Je voulais déjà revenir.» Puis, le patriarche clôt la réunion familiale : «On a une règle maintenant : interdiction de parler de job en vacances.» La conclusion parfaite à tout bon procès-verbal d'un meeting d'affaires, quoi.

-60 000 000$ de chiffre d'affaires annuel

-85 employés

-1 000 000 de poêles vendues l'année dernière

-600 000  ouvre-boîtes vendus l'année dernière

-1 300 000 de Lock & Lock vendus l'année dernière