Oui, il y a eu l'histoire du furet, du chat dans les toilettes et de la couille. Mais les Bougon, c'est plus que ça. Incursion dans les coulisses d'une des émissions les plus marquantes de l'histoire de la télé québécoise.

Rue Hadley, Ville-Émard. Une équipe de tournage s'installe dans un club vidéo désaffecté. Un énorme VUS noir, aux vitres teintées, s'arrête devant le local. À son bord, deux armoires à glace. Le plus chauve fait baisser une fenêtre et, en montrant du doigt le matériel, lance au producteur délégué :

- C'tu à toi, ça, l'grand?

- Oui, c'est pour un tournage.

- Vous avez pas le droit d'être là. C't'à mon chum, c'te bâtisse-là.

- Justement, ça fait des jours qu'on l'cherche pour lui demander la permission d'utiliser son local. On est allés à l'hôtel de ville, à la police même, mais on n'a rien trouvé sur lui.

- C't'étrange. La police le connaît bien pourtant...

- Je vais te laisser mon numéro. Peux-tu lui dire de m'appeler pour qu'on règle ça?

Une heure plus tard, le «chum» en question appelle. Le producteur et lui s'entendent sur un prix pour la location des lieux. Il va envoyer un de ses gars chercher le chèque, dit-il, mais il va devoir l'appeler quand il va être sur place. Simple question de sécurité.

Situé à un jet de pierre du fameux appartement de la famille Bougon, ce local deviendra pendant les trois prochaines années le quartier général de la production à Ville-Émard. Un quartier pas facile du tout, où le bruit des enfants qui jouent dans les ruelles tard le soir se mêle parfois à celui des coups de feu.

L'équipe découvrira par la suite que ce qui semblait être un simple club vidéo déserté était autrefois un front pour que les Rock Machines puissent passer de la dope. Et que Joey, le vrai locataire du logement des Bougon, était payé 500 $ par mois pour surveiller chaque nuit la «marchandise» sur des caméras de sécurité, à partir de chez lui...

Bienvenue dans l'univers des Bougon.

Diffusé entre 2004 et 2006, Les Bougon ont marqué la télévision québécoise en repoussant à tout jamais les limites du  politiquement acceptable Ce qu'il en reste aujourd'hui? De très bons souvenirs, quelques coffrets DVD et une expression consacrée: «bougon». En effet, depuis la diffusion de la série, le mot ne renvoie plus seulement à quelqu'un qui bougonne, mais à une personne qui déjoue le système pour le tourner à son avantage. Un petit magouilleur, quoi.

Quand on a décidé de faire un numéro sur les escrocs, ça allait de soi pour nous d'écrire un article sur le sujet. C'est en allant prendre un café avec François Avard, créateur des Bougon (et rédacteur en chef invité pour ce numéro), qu'on a eu l'idée de parler des coulisses de l'émission.

Au-delà des petites crosses et des histoires de furet dans le cul, Les Bougon avait pour but de dénoncer les injustices sociales. Et, quand on s'attaque à aussi gros, dans bien des cas, la réalité dépasse souvent la fiction.

Une histoire de salade de macaronis

En 1997, François Avard habitait dans le quartier Centre-Sud à Montréal. Il vivait dans un petit appartement sur Ontario, pas très joli, pas très propre non plus, où il bossait sur des contrats d'écriture pas très payants. Un jour, alors qu'il marchait pour se rendre à un meeting des AA, il est tombé sur une affiche qui invitait les passants à une manif pour plus de justice sociale. «Ça tombait bien, j'avais un peu de temps libre et j'y suis allé, raconte-t-il. Je me suis présenté dans un local du Centre-Sud. Y avait du monde! Là, on nous a fait embarquer dans des autobus. On n'avait aucune idée d'où on s'en allait manifester...»

Il connaîtrait bientôt la réponse: au Reine Elizabeth.

C'est lorsque les autobus se sont arrêtés que les organisateurs ont finalement révélé leur mission aux manifestants: entrer dans le restaurant de l'hôtel, s'emparer des plats de salade de macaronis dans le buffet, les déposer sur le trottoir et les partager avec les autres. Mais attention, avait dit un des organisateurs: ceux qui prenaient part au commando-bouffe risquaient d'avoir de gros ennuis. Fallait être préparé au pire.

C'était la première vraie manifestation à laquelle Avard participait. Il n'en avait rien à foutre des avertissements; il n'avait rien à perdre. C'est pourquoi il a décidé de tenter sa chance au côté d'une vingtaine de participants. Une fois à l'intérieur, tout est allé très vite. Ils se sont emparés des plats, les ont déposés sur le trottoir, puis se sont fait embarquer par la police.

Tous les manifestants y sont passés : les hommes, les femmes, les vieux, même les enfants. Ils sont restés 16 heures en prison. Juste avant leur sortie, les policiers leur ont demandé de signer une déclaration qui stipulait qu'ils ne participeraient plus à une manifestation de ce genre-là. «Je l'ai fait, avoue Avard. Avec cette opération, les policiers en ont peut-être découragé une couple de recommencer, mais je pense qu'ils visaient surtout à garder les pauvres dans le trou. Le système ne souhaite pas les voir traîner dans les beaux quartiers ni manifester dans les rues pour améliorer leur sort. Et c'est ce que j'ai compris avec cette aventure.»

Après les événements du Reine Elizabeth, Avard, par pure provocation, a eu l'idée de créer une oeuvre qui ferait suer les riches et les bien-pensants. Une oeuvre qui mettrait en vedette des pauvres, mais pas n'importe lesquels: des pauvres avec le gros bout du bâton, qui profiteraient du système mis en place par les mieux nantis. Des pauvres qui ne seraient pas présentés comme des victimes, mais comme des héros.

La rage dans une cage

Dans les années qui ont suivi, l'idée a décanté. Ce n'est qu'au début des années 2000 que François Avard a véritablement commencé à plancher sur l'écriture du projet, qui allait finalement prendre la forme d'une émission télé. «Dans le temps, j'avais un avantage par rapport à aujourd'hui: j'étais tout le temps en colère contre tout. C'est cette rage intérieure qui a été le moteur de mon écriture, dit-il. Pour écrire une série comme Les Bougon, fallait être en tabarnac contre le système!»

Fallait aussi être inspiré. Si l'auteur a puisé plusieurs de ses idées dans son quartier, le Centre-Sud, il s'est surtout basé sur sa propre famille pour créer l'univers de la série. Les Bougon, c'est une caricature des Avard. Son père avait la même verve que Paul Bougon, le personnage de Rémi Girard. «Y a des scènes où c'est lui mot pour mot», indique l'auteur. Tout comme dans l'émission, son grand-père malade vivait à la maison et sa soeur a été adoptée, à l'image de Mao.

«Les autres personnages, c'est un peu moi, constate Avard. Junior, c'est mon côté cabochon sensible qui veut de l'amour. Mononque, c'est mon côté loser et Dolorès, mon côté qui veut du cul et qui se câlisse de tout.» Finalement, les personnages de Beaudoin et de Chabot portent les noms de famille de ses deux meilleurs amis. Et l'idée du nom «Bougon»? Ça vient d'un sketch qu'il avait écrit pour un festival d'humour, en 1990. Il mettait en scène une famille de bougonneux, qui chialaient pour tout et pour rien.

Pitcher l'impossible?

S'il y a une chose qu'on se demande quand on pense aux Bougon, c'est comment Avard a fait pour convaincre un producteur et un diffuseur de s'intéresser à un show sur les assistés sociaux. Pourtant, ç'a été bien plus simple qu'on pourrait le croire.

Dans un premier temps, il a présenté le projet (qui s'appelait alors C'est juste ça la vie) à un producteur «pas cave, qui y a vu quelque chose de nouveau». Celui-ci a d'abord approché TQS. «Le mouton noir, on se disait que ça allait être leur genre d'émission... mais non. Ils trouvaient ça trop subversif», se souvient l'auteur.

Après coup, Les Bougon sont restés sur les tablettes de la bibliothèque de François Avard pendant presque trois ans. Jusqu'au jour où il a fait la rencontre de Fabienne Larouche, par l'entremise de Louis Morissette, qu'il avait connu sur 3 X Rien: ce dernier fréquentait la belle Véro, qui tenait le premier rôle dans Music Hall, produit par Aetios... la compagnie de production de Fabienne Larouche. «Je lui ai envoyé mon document de présentation en me disant que ça m'étonnerait ben gros que ça l'intéresse...», raconte Avard.

Le lendemain, il recevait un appel de Fabienne: elle avait réussi à avoir une aide au développement de Radio-Canada pour l'écriture des trois premiers scénarios!

Trois semaines plus tard, l'émission partait en production. «C'est là que j'ai découvert l'efficacité de Fabienne Larouche. Quand elle veut quelque chose, elle s'organise pour l'avoir!»

Dire que la productrice avait été «charmée» par le projet est un euphémisme. «Quand j'ai lu les trois premiers épisodes, j'étais pu capable d'arrêter de rire. Même mon chum se demandait ce que j'avais, se souvient Fabienne Larouche. Y avait des bouts tellement vulgaires, tellement injurieux, mais tellement romantiques à la fois! Mais surtout, l'écriture de François rejoignait mes valeurs, ma vision de la social-démocratie et ma préoccupation de donner aux moins nantis. Je croyais au projet. La seule chose, c'est que je voyais mal comment j'allais vendre ça...»

Le lendemain, Fabienne Larouche a contacté la direction de la programmation de Radio-Canada en leur disant quatre mots : «Vous devez lire ça.» Louise Lantagne, nouvellement en poste, s'est exécutée. «Je m'en souviens très bien, , commente l'actuelle directrice de la programmation. J'ai rarement réagi de façon aussi physique à un texte. Un moment je riais et l'autre, j'avais les larmes aux yeux. L'écriture d'Avard était extraordinaire et très maîtrisée. C'est à cause de cette force que je me suis dit qu'on devait embarquer dans le projet : ça méritait qu'on prenne le risque, même si c'était périlleux et risqué.»

Battre le fer pendant qu'il est chaud

C'était en novembre 2002. La diffusion de la première émission était programmée pour janvier 2004. Il fallait donc agir rapidement.

François Avard a appelé son vieux chum Jean-François Mercier, qu'il avait connu alors qu'il enseignait à l'École nationale de l'humour. «Il avait un ton mordant et j'étais certain qu'il tripperait sur le projet, explique l'auteur. Je l'ai approché avec le premier scénario. Il aimait ça, mais il était persuadé que le projet ne verrait jamais le jour. Il se disait qu'il y avait beaucoup trop de liberté dans le ton et qu'on ne verrait jamais ça à la télévision.» Malgré certaines réticences, Mercier a accepté de coécrire la série. «Finalement, je lui ai fait confiance, parce que j'avais beaucoup d'admiration pour lui», reconnaît l'humoriste.

Ensemble, ils ont pondu une cinquantaine d'épisodes. «On écrivait chacun un scénario de notre côté, on se le montrait, pis on réécrivait. Aujourd'hui, c'est difficile de savoir qui a écrit quel passage, poursuit-il. Si François était la mère naturelle des Bougon; moi, je suis devenu le père adoptif.»

Pendant qu'ils planchaient sur leur scénario, Fabienne Larouche a mis les pions en place pour la production. Il fallait battre le fer pendant qu'il était chaud. «Quand une oeuvre est prête, elle est prête», dit-elle. Sans perdre une minute de plus, elle a alors fait appel au réalisateur Alain Desrochers, qu'elle avait connu pendant la production de Music Hall. Selon elle, il était talentueux et efficace.

À la première lecture, Desrochers - qui a réalisé une seule saison -  avoue qu'il avait aussi quelques réticences avec le projet. «Ça m'intéressait, mais y'avait des bouts très absurdes. Moi, je voulais qu'on croit que la famille Bougon existe pour vrai.  Que le public s'attache à eux et qu'il puisse se reconnaître en eux.»

Et, pour ça, il fallait trouver un casting de qualité A1.

Qui veut jouer un assisté social?

François Avard avait déjà quelques noms en tête. Pour le rôle du père, par exemple, il voulait Rémi Girard. «Rémi ne passe pas d'auditions, explique Alain Desrochers. Je suis donc allé souper avec lui pour le convaincre: après plusieurs bouteilles de vin, il trippait vraiment sur le projet.»

En ce qui concerne le rôle de la mère, il avait d'abord été offert à Véronique Le Flaguais, qui a finalement décliné l'offre. «Quand elle a lu le scénario, elle nous a dit: "C'est pas moi qu'il vous faut, c'est Louison Danis", explique Fabienne. Et effectivement, quand on l'a vue en audition, on a tout de suite su que c'était elle.»

Le cas de Junior est sans aucun doute le plus intéressant. Lors de la création du personnage, Avard avait en tête un petit maigre, vif d'esprit: Louis-José Houde, en fait. «C'est moi qui suis arrivée avec l'idée d'Antoine Bertrand, dit Fabienne. Il avait travaillé sur Virginie et il ressortait vraiment du lot. J'ai dit à François: faut que tu le voies en audition.»  Et, comme prévu, Antoine a été une grande révélation pour le créateur: «J'ai vu toute la drôlerie qu'il portait, mais aussi toute la vulnérabilité et l'agressivité dont il pouvait faire preuve. Dès ce moment-là, le personnage de Junior est devenu gros. Je me disais que ça pouvait être porteur de comédie.»

Finalement, c'est le rôle de Mao qui leur a donné le plus de fil à retordre. À l'origine, il s'agissait d'un garçon. Mais comme aucun jeune asiatique n'avait la tête de l'emploi, l'agente de casting a proposé d'y aller avec une fille, Rosalee Jacques, en se disant que tout le monde n'y verrait que du feu.

Mais pas tout à fait...

Pendant la deuxième saison, Rosalee - qui vieillissait - avait de moins en moins l'air d'un petit garçon et de plus en plus l'air d'une femme. C'est ce qui a donné l'idée à Avard de révéler que Mao n'était pas garçon: un rebondissement qui en a secoué plus d'un et qui s'est même retrouvé en une du Journal de Montréal le lendemain de sa diffusion.

Un quartier rock'n'roll

Le tournage des Bougon a débuté au mois de juin 2003. Toutes les scènes ont été filmées sur place, en 35 mm; c'était la volonté de Fabienne Larouche. «Il fallait que la série soit la plus réaliste possible, dit la productrice. On venait de voir La Petite Vie à la télé... Fallait surtout pas tourner ça comme un téléroman!»

Alain Desrochers abondait dans le même sens. Il a donc privilégié une approche documentaire: «Je voulais filmer ça comme du cinéma direct, dans la tradition de l'ONF. J'y suis donc allé avec beaucoup de caméra à l'épaule et des changements de plans très rapides. Fallait que ce soit le plus rough possible!»

Au moment de commencer le tournage, l'équipe de production n'avait toujours pas trouvé la fameuse résidence des Bougon. Après des semaines de recherches et beaucoup de porte-à-porte, les recherchistes ont finalement repéré la demeure parfaite, sur la rue Hadley, dans Ville-Émard.

L'appartement était habité par une jeune famille qui vivait de l'aide sociale. La mère, Véronique, avait à peine 28 ans. Elle avait trois enfants et était enceinte d'un quatrième. Le père, Joey, avait quelques dents en moins. Disons qu'il ne l'avait pas eu facile. «On était totalement dans l'univers des Bougon», souligne le producteur délégué de la série, Louis Bolduc.

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, peu de modifications ont été apportées au décor de l'appartement. «Le plus gros de la job, ç'a été de faire un énorme ménage. La cour était dégueulasse. Il y avait des excréments de chiens partout. À l'intérieur, on a laissé la décoration telle quelle, mais on a vidé toutes les armoires pour faire notre propre bordel.»

Autre révélation : l'appartement en question se trouvait au rez-de-chaussée et non pas au deuxième étage, comme dans le scénario. Une réalité qui a amené certaines complications. «On tournait les scènes intérieures dans cet appartement, et les scènes extérieures de l'autre côté de la rue. Ça été toute une gymnastique logistique», se souvient le producteur délégué en levant les sourcils.

Pendant le tournage, bon nombre de curieux venaient faire leur tour sur le plateau. Beaucoup d'enfants, entre autres, avec qui la production a tissé des liens. «À un moment donné, il y en avait tellement que le directeur de production a eu l'idée de leur faire un horaire pour ne pas qu'ils viennent tous en même temps: pendant l'heure de visite, chaque enfant du quartier avait droit à une liqueur.»

La production a aussi tissé des liens avec les parents. Plusieurs d'entre eux ont même été embauchés sur le plateau. «Pour s'assurer qu'il n'y ait pas de vol de matériel, le directeur de production avait aussi eu la brillante idée de confier la sécurité à des gens du coin, dit Louis Bolduc. Ville-Émard, c'est comme un village. Si quelqu'un avait volé quelque chose, ça se serait su très rapidement.» D'ailleurs, certains employés ont tellement aimé leur expérience qu'ils ont même décidé de continuer leur carrière en cinéma.

En tout et pour tout, le tournage de la première saison des Bougon a été une expérience mémorable, aux dires de ceux qui ont planché sur le projet. «Les acteurs étaient contents d'arriver le matin pour se mettre le texte en bouche, et c'est assez rare», se souvient Alain Desrochers.

Dès les premières séances de montage, le gut feeling de Desrochers lui disait qu'il tenait quelque chose de gros. C'est lors de la première représentation médiatique que tout s'est confirmé.

Journalistes, à vos armes

À un mois de la première diffusion, Radio-Canada avait convié tous les journalistes télé au visionnement de quatre épisodes. Les comédiens et l'équipe de production étaient également sur place pour voir leurs réactions.

En général, la première médiatique est le moment idéal pour le diffuseur de prendre le pouls du public. «D'habitude, t'entends des applaudissements, tu sens quelque chose...», indique Avard. Mais pas cette fois-là. «Hormis les applaudissement de l'équipe, on entendait une mouche voler. Les deux tables de journalistes étaient pétrifiées.»

Le chroniqueur Érick Rémy faisait partie du lot.

Après quelques minutes, il s'est finalement levé pour briser le silence radio: «Réalisez-vous que ça va être diffusé à Radio-Canada?!» s'est-il indigné.

Rémi Girard, se sentant interpellé, s'est alors emparé du micro. Il s'est alors lancé dans une longue tirade digne, lors de laquelle il s'est porté à la défense de l'émission. «Il a pété sa coche», aux dires de Jean-François Mercier.

Les gens présents dans la salle ce jour-là se souviendront longtemps du discours qu'il a livré. Erick Rémy le premier.

«Il avait réagi sous le coup de l'émotion, se rappelle-t-il. En tant que journaliste, c'était normal que je soulève la question. Les Bougon, c'était très irrévérencieux et je craignais que les groupes attaqués dans l'émission - comme les minorités visibles et les assistés sociaux - se révoltent. Mais bon, ça ne m'a pas empêché de suivre l'émission par la suite.»

N'empêche. Le doute s'était installé.

Dans la tête d'Avard, entre autres : «À quelques semaines de la première diffusion, on sentait que c'était pas tout le monde qui allait aimer. On commençait à se dire que Les Bougon allait peut-être toffer deux ou trois épisodes, gros max...»

Le monsieur des pauvres était pas content

Dans les semaines qui ont suivi, la machine à rumeurs s'est emportée: Radio-Canada préparait un show qui risquait de déranger. La façon avec laquelle on y dépeignait les pauvres allait assurément choquer.

Jean-Yves Desgagnés, le porte-parole du Front commun des personnes assistées sociales du Québec, avait eu vent de ce qui se tramait dans les couloirs de la grande tour. Il avait d'ailleurs demandé un visionnement privé avant la première diffusion, en compagnie d'une dizaine d'autres membres d'organismes sociaux.

Pour les rassurer, Fabienne Larouche avait rassemblé tout ce beau monde dans les bureaux de sa maison de production, quelques jours avant Noël. C'est Jean-François Mercier et Louis Bolduc qui les avaient accueillis pour l'occasion.

«Ça s'est super mal passé, se rappelle le coauteur de la série. Ça riait pas, mais pas pantoute. Ils m'ont vraiment fait sentir que c'était la pire marde qui avait jamais été créée.»

Tant bien que mal, Mercier a tenté de défendre la série, mais en vain. Les représentants étaient furieux: «Ils disaient qu'on ne savait pas de quoi on parlait. Que la pauvreté, ça se vivait pas comme ça, dit-il. Ce qu'ils ne savaient pas, c'est que moi aussi, j'arrivais de loin!»

Trop tard, le mal était fait.

Le 7 janvier, la journée de diffusion du premier épisode, Le Journal de Montréal titrait en une : «Les assistés sociaux craignent les Bougon». La journaliste Michelle Coudé-Lord écrivait même : «Les assistés sociaux du Québec sont sur un pied d'alerte, à quelques heures du début de la série décapante portant sur la famille Bougon. Il ne serait pas surprenant que le service des plaintes de Radio-Canada soit débordé demain matin.»

«Quebecor avait essayé de nous faire une jambette, mais ça n'a pas marché, souligne Avard. Au contraire, ça nous a aidé en tabarouette!»

À sa première diffusion, Les Bougon atteignait 1,7 million de cotes d'écoute. Quelques semaines plus tard, ce chiffre grimpait à 2,5 millions.

The rest is history.

***

En avril, ça fera quatre ans que les Bougon ont quitté notre petit écran. En ces temps fertiles en escroqueries, on ne peut qu'être nostalgiques de Paul, Rita, Dolorès, Junior, Mao, Mononque, Pépère et les autres. On se demande comment ils auraient vieilli et quelles fantaisies ils auraient inventées pour régler leur compte aux Vincent Lacroix, Earl Jones et Bernard Madoff de ce monde. On se demande ce qu'ils auraient à dire sur les enveloppes brunes, le yacht de Tony Accurso et la face de crosseur à Fara.

Après tout, c'est sûrement pas les personnages de L'Auberge du chien noir qui vont se pencher là-dessus.