Le mollet galbé, l'oeil vif et le partiel bien en place, ils repoussent chaque jour les limites établies du mot septuagénaire. À travers une activité physique quotidienne et la pratique de sport de haut niveau, des vieux donnent des palpitations cardiaques à la vie. Portrait de cinq sportifs qui ont encore quelques trucs dans leur vieux sac et qui clancheraient n'importe quel hips­ter, avec une main dans le dos et l'autre en train de piger dans le bol à paparmanes.

Gérard Agouès

Escrimeur

âge: 70

grandeur: 5'6"

poids: 158 lb

exploit: a remporté toutes les médailles par discipline lors des championnats canadiens de 1972.

Dans les yeux de Gérard, on peut voir des flam­mèches, comme celles que font deux fleurets qui se croisent. Originaire du sud de la France, il est déménagé au Québec à 19 ans, où il a développé son intérêt pour son sport de combat. Pour lui, faire de l'escrime, «c'est comme jouer aux échecs, mais à 100 km/h». Et plus que ça encore: l'escrime, c'est sa vie. À l'ensemble des sphères de son existence, il applique d'ailleurs les valeurs de son sport: la confiance en soi, la rigueur et le respect. Perché du haut de ses 70 ans, le regard aiguisé, Gérard manie le fleuret et le sabre huit heures par semaine en raison des cours qu'il donne à de jeunes étudiants du secondaire.

À ses élèves, il enseigne entre autres que l'adversaire n'est pas la personne devant nous, mais soi-même. Il leur apprend aussi que la victoire n'est pas nécessairement le meilleur coach. «Dans l'euphorie de la victoire, on oublie souvent pourquoi on a gagné. Dans la défaite, on se demande pourquoi on a perdu» Bien qu'il ait pris part aux plus grandes compétitions internationales d'escrime, Gérard a rencontré son adversaire le plus coriace il y a 10 ans: l'arthrose, qui l'a forcé à se faire remplacer les deux hanches. «Ça m'a pris deux ans pour me remettre sur pied, dit-il. J'ai été obligé de rebâtir toute ma musculature.»

Après s'être relevé, Gérard a repris la compétition des cir­cuits vétérans pour les 40 ans et plus. Son désir de recommencer était trop fort. «Mon premier adversaire a été un petit jeune de 48 ans, dit-il. Je l'ai battu et j'ai ga­gné la médaille d'or.»



Photo: Urbania

Gérard Agouès, escrimeur

Gilles Paquette

Balle molle

âge: 75

grandeur: 5'11"

poids: 180 lb

exploit: son premier marathon: il était tellement fier qu'il est arrivé au fil d'arrivée en pleurant.

Après une game de softball, quand les gars demandent à Gilles ce qu'il fait pour être aussi en forme à son âge, il leur répond toujours qu'il est «chanceux» et qu'il a une «bonne génétique». Ex-trompettiste dans l'armée canadienne et arrêt-court pour la ligue des baby-boomers de Saint-Hubert, il est le doyen de l'association. C'est un vrai gars d'équipe. «L'esprit de groupe, c'est ce qui me motive à jouer, dit-il.

Des fois, je pourrais manquer une joute, parce que mon bras est raide ou parce que j'ai un petit mal de dos, mais je le fais pas. Je veux pas laisser tomber les gars.» Cousin éloigné de Bruny Surin, Gilles court tellement vite qu'on ne voit même plus ses leggings rouges défiler sur le terrain. «Ça m'est arrivé plusieurs fois de courir à la place de gars de 50 ans qui étaient plus capables. Ça faisait drôle», confie-t-il. Même s'il est encore fort du haut de ses 75 ans, il sent aujourd'hui ses habiletés le quitter tranquillement et reconnaît qu'il n'a plus la même vitesse qu'avant. Et il n'est pas seul.

«Dans la ligue, certains excellents joueurs ont dû arrêter de venir parce qu'ils ne voyaient plus la balle le soir ou qu'ils n'entendaient plus rien», raconte-t-il. La mort a déjà même frappé au 3e but, happant un joueur sur le terrain. «Heureusement, y a pas eu de décès dernièrement dans la ligue!»



Photo: Urbania

Gilles Paquette, Balle molle

Émery Chevrier

Haltérophile

âge: 74

grandeur: 5'6"

poids: 175 lb

exploit: en 2001 et 2008, a remporté le prestigieux titre de grand master au championnat du monde d'athènes, un honneur remis au meilleur leveur de la compétition, pondéré en fonction de son âge, son poids corporel et ses résultats.

Émery Chevrier a commencé sa carrière d'haltérophile tardivement, à l'âge de 48 ans. C'est en allant reconduire son garçon de 15 ans au gym qu'il a eu la piqûre pour son sport. «Au lieu d'attendre mon fils pendant qu'il pratiquait, j'ai décidé d'en faire avec lui», explique-t-il. Pour Émery, l'haltérophilie, c'est combattre la force de la nature et sa petite soeur obèse, la gravité. Mine de rien, pousser de la fonte lui demande beaucoup de flexibilité, de coordination, de vitesse et de force. «Mon sport, c'est comme la vie: simple et complexe en même temps, dit-il. On travaille avec du métal. Si t'es pas habitué, tu peux te casser la colonne.» À l'automne, il a réussi une flexion arrière de 170 kilos. «Y a des jeunes de 20 ans qui sont même pas capables de faire ça!» lance-t-il fièrement.

Fort des six records du monde pinés sur son casier, Émery trouve encore l'énergie de se présenter en compétition. Au cours des 26 dernières années, il a d'ailleurs dépensé 150 000 dollars en frais de compétition et en billets d'avion pour participer à des championnats partout dans le monde. «L'argent que ma femme et moi on a mis là-dessus, on l'a pas mis ailleurs. C'est un choix de vie qu'on a fait», confesse-t-il. Le nouvel objectif que se fixe l'haltérophile n'a jamais été atteint par un gars de 75 ans: participer au Championnat du monde des maîtres en 2011, à Montréal. Pour y arriver, il va devoir s'entraîner 5 ou 6 fois par semaine. En même temps, il ne se fait pas d'illusions. «La vie, c'est une courbe qui redescend, dit-il. À mon âge, c'est certain que je ne suis pas capable de lever le même poids qu'il y a deux ans. Quand tu vieillis, c'est comme si tu devenais handicapé.»



Photo: Urbania

Émery Chevrier, Haltérophile

André Payer

Pétanque

âge: 73

grandeur: 5'8"

poids: 145 lb

exploit: a remporté le 1er prix de la fédération de pétanque du québec dans la catégorie intermédiaire en 2008-2009

À 73 ans, André Payer croit que si son médecin ne lui pres­crit jamais de pilules lors de son rendez-vous annuel, c'est parce qu'il a un mode de vie sain. Tous les matins, il nage 30 minutes. Ensuite, il fait du vélo stationnaire et du tapis roulant pendant 20 minutes. Vers 12h30, il se rend au terrain de pétanque du parc Lafontaine. Il sort ses boules et pratique seul pendant une heure. En après-midi, ses adversaires font leur apparition et des parties s'organisent. Ensemble, ils jouent jusqu'à 18h. «Je fais ça 7 jours par semaine», dit-il. Au début, les joueurs de pétanque ne voulaient pas s'exercer avec André Payer, parce qu'il n'était pas assez bon pour eux. «J'ai appris en regardant les meilleurs et en leur demandant des conseils. J'ai beaucoup pratiqué et à la fin de mon premier été, je les battais tous!», dit fièrement celui qui a été formé par son mentor sicilien de 89 ans. Sur le terrain, rien ne peut distraire André des boules. Pas même un peu de Ricard dans le café. Discipliné et très compétitif, il ne laisse rien interférer entre la gravelle et son mental. Avant chaque lancer, il se répète le mantra suivant: «Garde les yeux sur les boules et reste droit.» Sans vouloir trahir l'omertà de la pétanque du parc Lafontaine, il affirme que certains vieux consomment avant les joutes. L'an passé, il a même affronté une équipe qui avait fumé du pot dans leur roulotte. «On leur a donné une dégelée!»

Henri Hébert

Ping pong

âge: 77

grandeur:5'8"

poids: 188 lb

exploit: a remporté une 9e place en double et une 2e place en équipe homme aux championnats mondiaux des vétérans à calgary en 2005.

Ses samedis soir, le frère Henri Hébert les passe à aider les jeunes poqués, dans la caravane de Pops. «Je suis un religieux et j'ai comme mission d'aider les gens. J'ai toujours eu une activité sportive pour jouer avec les pauvres», dit l'homme de 77 ans qui a travaillé en mission en Uruguay et en Afrique de l'Est. Là-bas, il a redonné de l'espoir à plusieurs jeunes, en leur montrant les rudiments du ping pong. Au Québec depuis huit ans, il est aujourd'hui coach de tennis de table au collège Jean de la Mennais où il joue trois fois par semaine avec les jeunes. «Je remercie le bon Dieu chaque matin parce que je suis en santé. La fin de semaine, quand il n'y a pas de tour­noi de ping pong, je trouve le temps long.» Mais toute cette activité physique intense se paye à un cher prix. «Mes années à servir au tennis ont usé mes hanches. Je joue encore mais je ne suis pas supposé courir. Je continue parce que ça me garde en forme et que j'aime aider les jeunes.» Le frère Hébert a aussi été opéré aux cataractes récemment. Sa vision n'étant pas complètement rétablie, il éprouve des difficultés à voir la balle quand il joue au ping pong. «Mes étudiants connaissent le truc pour me battre maintenant», dit-il en riant. Le frère Hébert ne plie pas les genoux devant la vieillesse. Il le dit lui-même: le jour où il ne sera plus capable de marcher, il s'inscrira à la compétition de ping pong en chaise roulante.

Photo: Urbania

André Payer, Pétanque