Au mois de janvier, alors que le Fjord du Saguenay se transforme en un immense tapis blanc, les pêcheurs de La Baie sortent fièrement leur attirail et installent leur cabane. Là, au creux des falaises imposantes, ils plongent leur ligne sous la glace. Notre journaliste a passé trois jours à taquiner l'éperlan et boire des six pack de Blue Ribbon en leur compagnie. Voici le récit de son voyage, son histoire de pêche.

Première journée

Je n'avais jamais été à La Baie auparavant. Ni à la pêche. Quand j'étais jeune, j'avais bien dû attraper quelques grenouilles avec mon père à Saint-Hubert, et deux ménés dans le ruisseau avec mon oncle Jean-Denis, mais depuis, plus rien. Pourtant, quand on m'a proposé d'aller à la pêche blanche au Saguenay pour un reportage, j'ai tout de suite accepté. Je me voyais déjà en train d'attraper un poisson long de même et raconter mon histoire de pêche le lundi matin aux filles du bureau. Yeah right.



La route pour m'y rendre n'a pas été de tout repos. J'ai affronté le fameux parc des Laurentides, ses chauffeurs complètement tarés et ses monstres à 18 roues qui roulent à contre-sens. J'ai ensuite emprunté la 173, avant d'aller rejoindre le boulevard de la Grande Baie qui ceinture le Fjord.

En me rapprochant du bord de l'eau, j'ai aperçu pour la première fois ces centaines et ces centaines de cabanes dépareillées qui ne me semblaient pas plus grandes que des maisons de Monopoly. Ce village au beau milieu d'un village, beau comme dans les petites boules de Noël que tu brasses avec de la neige dedans. Ça valait bien les six heures de route que je venais de me taper.

Avant de descendre sur la glace avec ma petite Honda, j'ai décidé de faire un arrêt au Dépanneur Accomodation des 21. Premièrement, parce que j'avais faim, et deuxièmement, parce que je voulais rencontrer des gens de la place. C'est là que j'ai fait la connaissance de Rémi Aubin, le propriétaire de ce célèbre établissement de matériel de pêche et grand calife de la pêche blanche au Saguenay.

Quand je suis rentrée dans son commerce, Rémi courait de tous bords, tous côtés au milieu des cannes, des moulinets et des appâts jaunes fluo. En achetant un sac de fromage Boivin, j'en ai profité pour lui poser quelques questions sur l'histoire de la pêche sur glace dans le coin.

D'après Rémi, les premiers pêcheurs sont atterris sur le Fjord au début des années 1970. «Dans ce temps-là, mettons que c'était très rustique, m'a-t-il expliqué, en passant du fil dans une canne à pêche. Les cabanes étaient faites en carton, pis on les brûlait à la fin de la saison.» Bon an mal an, l'activité a pris du galon et un petit village a commencé à se former sur la baie. Dix ans plus tard, on dénombrait une cinquantaine de petites maisons. Aujourd'hui, on en compte plus d'un millier, et les touristes affluent des quatre coins du Québec, des States et même de l'Europe pour y tremper leur hameçon. «C'est devenu comme un camping d'hiver, m'a-t-il dit au-dessus du comptoir. Les gens viennent pour faire du sport, pour faire la fête...» Bien qu'elle vive encore dans l'ombre de Ste-Anne-de-la-Pérade et qu'elle ne soit pas aussi médiatisée, la pêche blanche à La Baie entraîne des retombées économiques de sept millions pour la région du Saguenay. «Ça marche terrible!» m'a confirmé Rémi.

À ce moment, une femme d'une cinquantaine d'années a fait son entrée dans le magasin. Dans ses mains, elle tenait une chaudière. J'ai tendu le cou et aperçu une affaire gluante, encore vivante, collée au fond. Sans attendre une seconde de plus, Rémi s'est dirigé vers le back-store, a sorti la bête du sceau avec ses gants, l'a étendue sur une table, mesurée, pesée.

«C'est quoi? lui ai-je demandé.

-     Une raie.

-     Pis ça, c'est ses yeux? lui ai-je dit en pointant deux fentes dégueulasses qui s'ouvraient et se fermaient encore.

-     Je pense que ouais.

-     Qu'est-ce que vous faites avec ça ici?

-     Je viens l'enregistrer pour le concours de la plus grosse prise.

-     Et qu'est-ce que vous pouvez gagner?

-     Quatre tires d'hiver neufs!»

Mon sac de fromage était vide et les clients s'alignaient devant le comptoir. Avant de reprendre la route vers le village de pêche, Rémi m'a proposé d'aller rejoindre le président de l'Association des pêcheurs du coin, Richard Lavoie, pour un tour du site en ski-doo.

Je l'ai rejoint en haut de la route cahoteuse qui descend sur la glace, puis il m'a fait grimper sur sa motoneige. Avec sa chemise à carreaux, ses mains de colosse et sa barbe blanche, Richard ressemblait étrangement au Père Noël.

Plus son Ski-Doo avançait sur le Fjord, plus je commençais à avoir peur. J'avais beau être collée contre son dos immense, je ne parvenais pas à oublier que sous les 30 pouces de glace, se trouvait 300 pieds d'eau. 25 fois la partie profonde d'une piscine. Et si ça cédait sous notre poids? Si y avait juste une petite craque qui s'ouvrait?

De chaque côté de la motoneige, les cabanes défilaient : des moitiés de vieilles roulottes, des murs de plywood recouverts de personnages de Disney, des maisonnées ultra high-tech avec des X-box et des coupoles Bell Express Vu. Bref, des chefs-d'oeuvre d'architecture vernaculaires. Pendant quelques secondes, je me serais cru en plein coeur du camping Sainte-Madeleine.

«Combien ça coûte une cabane?

-     Ça peut jouer entre 2 000$ et 20 000$, m'a répondu Richard.

-     20 000 piastres! Pis combien pour louer un terrain?

-     55$ pour l'année.»

Au début de la saison, les pêcheurs font la file pendant des heures pour être les premiers à choisir l'emplacement de leur baraque sur la glace : ils veulent s'assurer d'avoir le meilleur spot de la pourvoirie, celui où il y a le plus de poissons. Pour trouver l'emplacement miracle, ils parcourent la glace armée de GPS et de Sonar. Et lorsque vient le temps de réserver leur terrain, certains n'hésitent pas à montrer les poings. Chaque année, on recense des histoires de batailles.

Une fois la visite terminée, j'ai choisi la première cabane que j'ai vue et j'y suis entrée. À La Baie, tout le monde rentre dans les cabanes de tout le monde et c'est ben correct de même.

À l'intérieur, Diane et Réjeanne pêchaient à la chaleur de la fournaise, bien calées dans leur chaise berçante, canette de Coke à la main. J'ai tiré une chaise pour jaser. En fumant cigarette sur cigarette, les deux femmes dans la cinquantaine m'ont racontée qu'elles passaient tous leurs hivers à la pêche sur glace depuis cinq ans: 56 jours par saison très exactement. «Pis de quoi vous parlez quand vous venez? Vous devez pu avoir grand chose à vous dire?» leur ai-je demandé. «On se parle pas vraiment, mais on jase avec le monde, a répondu Diane. C'est le fun, ça nous détend, pis ça fait que l'hiver passe plus vite.»

J'ai eu beau pousser plus loin, leur argumentaire s'arrêtait là . Pour elles, la pêche sur glace était d'abord une façon de faire du «sôoocial». La preuve? Elles ne mangeaient même pas de poisson.

Party avec les Tremblay

Il était deux heures de l'après-midi. Le soleil plombait sur le capot des pick-ups.

Devant les maisonnettes coiffées de guirlande de cupidons et de coeurs découpés dans du carton rose, la famille Tremblay-Perron célébrait la Saint-Valentin. Les hommes ¾ Eric, Damien et les autres ¾  en profitaient pour boire une bière, bien accotés sur leur camion. Sylvie, Manon et les filles sirotaient leur verre de blanc, confortables dans leur suit en polar au motif d'armée et leurs bottes de poil à deux cents piastres. Je me suis avancée vers elles.

«C'tu chaud, ces bottes-là?

- R'garde ça, a dit Sylvie en sortant son pied nu de sa botte.

- Hiii, c'est vrai!, lui ai-je répondu en caressant ses orteils tièdes.

- On va commencer la tournée des cabanes, m'a lancé Manon. On va s'arrêter à chaque maison pour boire un shooter. Ça te tentes-tu de v'nir avec nous-autres?

- Ben sûr.»

Sur la table trônaient une trentaine de shooters appelés «Cap-Trinité»: du gros gin coupé avec du 7up et de la grenadine. Sur une musique de Red Hot Chili Peppers, j'ai calé mon premier verre d'une traite, histoire de prouver à ces Saguenéens que j'étais (moi aussi) une fille de party. Et j'en ai bu un autre. Puis un autre.

Notre tournée des grands ducs ne faisait pourtant que commencer : on a poursuivi avec des Uppercup, des Tia Maria, des Tequila-lait-fraises, des jell-o-shot et du fort servis dans des mini-cornets avec le fond percé. À la sixième maison, j'ai demandé :

«Y reste combien de cabanes encore?

-     10.

-     Shit.»

Après les Powerpuss, les affaires pas buvables au melon, les drinks avec de la guimauve et autres substances aussi sucrées qu'un Mr Freeze à la Smirnoff Ice, la meute a finalement abouti chez Sylvie. Là, on m'a fait faire des «vagins» : des shooters couleur rouge sang, garnis d'une cerise au marasquin et servis dans un verre en forme de sein (ou de pénis pour la petite journaliste). Hmmm. Miam.

Aussitôt que j'eu terminé mon shooter, un des oncles m'aggripe le visage et me donne un gros bec sucré. Sur la bouche. J'ai souri. J'en étais à mon vingtième shooter et je ne me souvenais plus d'avoir été aussi paquetée de toute ma vie. Avant 17h.

Denis a démarré son pick-up et ses speakers ont commencé à cracher une musique de CCR. Bras-dessus, bras-dessous avec Eric, Sylvie, Manon, Jocelyne, Cathy et les autres, j'ai dansé autour du Ford F-150 sur Proud Mary. And were rolling, rolling on the river.

Un rideau bleu est tombé sur La Baie. Les cabanes se sont illuminées, la neige aussi. Au loin, on entendait toujours le vrombissement des skidoos. C'était beau comme dans une chanson de Kaïn. On s'est réfugié dans la cabane de Sylvie. Entassés comme des éperlans dans une chaudière, on a tapé du pied en chantant des chansons à répondre.

Cathy et Damien étaient malades. Moi, j'étais juste sur le bord.



Les poissons

Près des côtes, à 12 pieds de profondeur, les pêcheurs du Fjord recherchent l'éperlan, un poisson d'eau douce couleur «argent Honda Civic 2001», pas plus long qu'un hot-dog, qu'ils attirent avec des morceaux de coeur de boeuf. Son corps est mince, sa tête allongée et son goût rappelle celui des amandes.

Au large, une masse d'eau salée remplit les profondeurs du Saguenay, ce qui permet aux poissons marins de s'aventurer dans le Fjord. Les pêcheurs placent leur appât composé d'éperlan à 300 pieds de profondeur pour attraper du sébaste : un poisson de fond rouge-orange, hideux, qu'on reconnaît par ses épines et la taille de ses yeux, gros comme des deux piastres. C'est que lorsqu'il remonte à la surface, le sébaste subit une forte diminution de pression et ses yeux exorbitent. Un Jean-Luc Mongrain des mers.

Les plus chanceux attrapent aussi du turbot, du flétan ou de la morue. Quant aux moins veinards, il arrive qu'ils tombent sur des raies, des anguilles ou toute autre espèce vivant dans les profondeurs de la rivière Saguenay. En 2006, une femme a d'ailleurs remonté un requin du Groenland : une prise de 500 livres, d'une longueur de 9 pieds, qui lui a pris une heure et demie à sortir des eaux glacées.

Deuxième journée

C'était dimanche matin. Il faisait environ - 1 000°C sur le Fjord et d'intenses bourrasques de vent balayaient la glace à tout moment. On se serait crû à Igaluit. Les yeux dans la graisse de bine, l'estomac encore tourmenté par les shooters tequila-lait aux fraises, j'ai loué une cabane pour pêcher l'éperlan à 60$.

À l'accueil,  le responsable de la location m'a tendu une canne comme celles de la section pour enfants du catalogue de Distribution aux Consommateurs. «Tu mets ton apât su' le crochet (prononcer crochait), tu jettes ta ligne dans le trou, pis t'attends», m'a-t-il expliqué en me tendand un Ziploc rempli de morceaux de coeur de boeuf.

La dernière fois que j'avais vu du coeur de boeuf, c'était dans mon cours de bio secondaire 3, et j'avais dû sortir de la classe parce que l'odeur et la texture me donnaient la nausée. J'ai attrapé le sac qu'il me tendait comme si j'avais fait ça mille fois et je me suis dirigée vers la cabane numéro 13. À l'intérieur, le décor était plus que minimaliste : des murs blancs-gris, quatre trous de 20 pouces de diamètre, autant de chaises en bois avec des barreaux verts forêt et une petite table pour déposer la bière... et les apâts. Rien à voir avec les baraques de riches que j'avais vues la veille.

J'ai enfin lancé ma ligne à l'eau. Ah, la belle sensation! Et j'ai attendu. Après une minute, je croyais déjà que ça mordait. Fausse alarme, c'était seulement mon hameçon qui avait touché le fond. J'ai attendu encore. Cinq. Dix. Vingt minutes. Toujours rien. J'ai débouché une première cannette de Blue Ribbon, même si j'étais encore sous l'effet de celles que j'avais bues la veille. Trente minutes. Une heure. Toujours rien. Quand le responsable est passé dans la cabane pour voir si tout était beau, je lui ai demandé pourquoi est-ce que ça ne marchait pas. Il m'a répondu que l'éperlan mordait «le matin ben tôt ou le soir, ben tard.» Ah bon.

J'ai attendu comme ça jusqu'à la fin de la journée. Sans rien attraper. Pendant toutes ces heures passées au-dessus de ma canne à pêche, les fesses coincées sur ma petite chaise en bois, j'ai refait le monde au moins 20 fois, j'ai pensé à ma vie, à mes parents, ma consommation d'alcool.

Quand je suis sortie de la cabane, j'ai aperçu un garçon sur son quatre roues. Intrigué, il s'est arrêté devant moi. Après quelques minutes, il m'a proposé d'aller faire un tour sur son engin. Pour me remonter le moral.

Le shack

Le garçon en question s'appellait François. Âgé d'à peine 20 ans, il avait les cheveux blonds et les yeux bleus. Il était mignon comme tout. Après avoir dérapé 1459 fois sur la glace, il a stationné son véhicule dans le quartier des jeunes, devant le taudit du village de pêche. Parmi les petites cabanes de La Baie, celle-ci détonnait largement : quatre planches de plywood cheap, pas de peinture, avec un top. That's it. Dans la fumée, j'ai identifié une quinzaine de jeunes. Des gars, pour la plupart, qui fumaient des bats, buvaient de la grosse bière, se claquaient du speed ou un peu de mesc'. Dans un coin, un d'entre eux continuait de pêcher et gardait ses yeux rouges fixés sur sa ligne.

Sur le Fjord, il y a trois types de clientèles : les vieux loups de mer qui retirent du chômage pendant l'hiver et qui pêchent 15 heures par jour, les familles qui passent la fin de semaine avec leur X-box comme si c'était un camping, et pis les jeunes, qui fêtent leur après-bal. Tous les soirs. Comme François et ses amis.

Une fois bien pétés, ils se sont dirigés à l'extérieur pour faire des courses de quatre roues et de Ski-Doo. De loin, je les regardais s'exciter comme une quinquagénaire qui observe une gang d'ados le jour de la Saint-Jean. Je me disais que pour eux, c'était sûrement ça la pêche sur glace : une raison de plus pour s'en mettre plein la gueule. Pour tuer le temps, quitte à manquer de se tuer.

J'ai demandé à François de me raccompagner. Il m'a fait embarqué sur son quatre roues.

«Tu me donnes-tu ton numéro de téléphone?

-     T'as juste à taper nom dans Facebook.

-     Face quoi?

-     Ah pis fuck. Tiens, le v'là

Je n'avais pas l'énergie pour trouver des excuses. Je lui ai donc donné. Facile de même.

Ce soir-là, en rentrant à l'hôtel, j'avais complètement débuzé. J'ai regardé mon cell. Il m'avait déjà appelée. Deux fois.

Troisième journée

C'était ma dernière journée sur le Fjord et je sentais la fin approcher. Après deux jours seulement, j'avais déjà l'impression d'être un peu chez moi ici, à La Baie. Quand l'envie m'en prenait, je m'invitais dans une cabane. Je mangeais un bout de tourtière et puis j'allais prendre une canette de Blue Ribbon chez les voisins d'à côté. Je m'étais attachée à tout ce beau monde. Sylvie, Manon, Eric, François. J'étais même un peu triste de devoir partir, un peu comme quand j'étais jeune et que je quittais le septième jour du camp d'été.

Bref, si je voulais revenir avec un poisson long de même pour impressionner les filles du bureau, c'était now or never comme dirait Elvis. Le vague à l'âme, je me suis donc rendue chez Germain, l'un des vrais de vrais de vrais pêcheur de La Baie, en me disant qu'il allait peut-être m'aider à pogner plus que des crapets.

«Pis, aimes-tu ça la pêche sur glace? m'a-t-il demandé à peine assise.

- Non. Le monde est gentil, mais j'comprends pas trop c'est quoi le trip.  T'attends toute la journée, pis tu pognes rien. Tu restes assis, tu bouges pas, pis tu bois. C'est pas un sport ça!

- Assieds-toi là, m'a-t-il en me pointant une chaise. Tu repartiras pas d'icitte, tant que t'auras rien pêché.»

L'homme d'une quarantaine d'années a placé sa belle canne à pêche entre mes mains. «Ça, c'est un sonar, m'a-t-il dit en pointant un petit écran illuminé, perché sur une chaudière en plastique. Tu peux voir les poissons quand ils sont proches de ton hameçon. Ça te permet de savoir quand tirer ou donner du lousse sur ton fil pour le suivre.» Il a placé un leurre ¾ un espèce de mini-poisson en plastique jaune et orange fluo ¾, sur mon hameçon et a lancé ma ligne à l'eau. «Le sébaste, y est pas attiré par l'odeur du poisson, m'a-t-il expliqué. Ce qu'il aime, c'est quand tu l'agaces. Pis quand tu pêches, il faut surtout pas que tu lâches la ligne. C'est ce qui fait la différence entre un pêcheur qui pogne, pis un qui pogne pas.»

Mon téléphone a sonné. C'était François. Je n'ai pas répondu. J'avais décidé d'essayer avec lui la même stratégie qu'avec le sébaste.

Pendant une heure, j'ai taquiné le poisson, j'ai donné du fil, remonté, descendu. J'ai eu beau être la pire agace, rien à faire. J'en ai donc profité pour faire un peu de sôoocial.

Pendant la saison de la pêche sur glace, Germain et sa femme Sylvie m'ont raconté qu'ils vivaient littéralement sur la baie. Chaque jour, ils passent entre 12 et 16 heures à pêcher. Et puis chaque nuit, ils dorment dans leur cabane, bien au chaud, sur leur lit pliant. «La première fois, j'avais peur, m'a avoué Sylvie. Y avaient des grands vents, on entendait des gros craquements de glace. Mais aujourd'hui, ça va. Je suis habituée!» Puis une fois par semaine, le couple retourne à la maison chercher le courrier, faire le lavage et l'épicerie.

«Ça mord!», ai-je soudainement crié. «Pique, pis remonte!» m'a répondu Sylvie. J'ai remonté mes 300 pieds de fil, comme si ma vie en dépendait. À 200, le bras commençait à m'élancer. «Faut pas que t'arrêtes, sinon tu le perds!» m'a prévenu Germain. 150, 100, 50. Plus je tournais le moulinet, plus je comprenais pourquoi la pêche sur glace était considérée comme un sport. À 5 pieds, j'ai senti la prise frétiller au bout de ma ligne. Germain s'est empressé de venir me donner un coup de main en tirant un bon coup pour faire sortir le poisson une fois pour toute.

«C'est... une... anguille, a-t-il constaté, les yeux remplis de déception.

-     Wow! Ça se manges-tu?

-     Non.

-     Han.»

De toute manière, ça m'importait peu. J'avais réussi à pêcher quelque chose, et pour moi, c'était tout ce qui comptait.

Cet après-midi-là, en remontant ma prise, j'avais compris tout ce qu'il y avait à comprendre de la pêche sur glace. Le vrai plaisir de ce passe-temps, ce n'était pas la Blue Ribbon à 11 piastres, les discussions philosphiques autour de la canne, les tours de quatre roues avec les ti-culs de 20 ans. Tour le plaisir résidait dans ce moment magique, entre l'instant où le poisson mord à l'hameçon et celui où il sort de la glace. Ce moment plein de mystère, où l'on se demande ce que la mer va bien vouloir nous offrir. Ce moment où tous les muscles de notre corps se contractent, où les secondes se suspendent jusqu'à ce que l'on voit quelque chose surgir.

Ce moment-là, c'est de la vraie dope. C'est ce qui fait en sorte que les pêcheurs installent fièrement leur cabane sur le Fjord se couvre d'un immense tapis blanc. Qu'ils plongent leur ligne au début de la saison et qu'ils ne la remontent qu'à la fin de l'hiver.