Le dalaï-Lama, Maslow et Marcel Leboeuf ont tous essayé de nous persuader que leur propre petite théorie du bonheur était la plus salvatrice. Alors que certains ont parcouru le monde en gougounes pour propager un message de paix, d'autres ont vendu des bains moussants Sapino. Aujourd'hui, Facebook convertit plus de disciples par jour que n'importe quelle religion. Les médias sociaux seraient-ils notre nouvelle planche de salut, permettant de nous mener directement vers le bonheur éternel?

Le concept du bonheur a été inventé dans la Grèce antique par Épicure et une gang de gars en toges qui calaient des viniers de 4 litres, en écoutant des solos de harpe donnés par des sosies de Lucie Laurier. Quelques siècles plus tard, ces philosophes ont cédé leur place à des geeks en sarrau dans les universités, mais ils arrivent au même constat que les anciens: «Ce qui rend l'humain heureux, ce sont les interactions sociales qu'il crée et qu'il entretient, explique l'auteur du livre Connected et professeur à Harvard, le Dr. Nicholas Christakis. Les facteurs comme l'argent, la santé, l'éducation ou le QI d'un individu ont peu ou pas d'influence sur son bonheur.» C'est plate, Gregory Charles était bien parti.

En 2002, une recherche de l'Université de l'Illinois a d'ailleurs démontré que les étudiants qui étaient le plus heureux et qui démontraient le moins de signes de dépression partageaient les mêmes caractéristiques que Bouscotte dans ses bonnes années: des liens interpersonnels forts et le désir d'investir du temps avec leurs amis et leur famille. «L'être humain est un être social, qui a comme besoin fondamental de communiquer avec l'autre, soutient la psychologue Marie-Anne Sergerie. Et les outils comme les médias sociaux permettent d'y répondre.»

Facebook, nouveau Canadian Tire du bonheur?

Lorsqu'on lui pose la question, le Dr. Christakis est assez catégorique. Selon lui, les émotions authentiques ne se transmettent pas virtuellement. «On peut transmettre des idées sur Facebook, mais pas le bonheur. Le bonheur, ça se transmet seulement en personne, dit-il. Toutefois, les personnes qui ont des relations interpersonnelles fortes dans la vraie vie risquent d'avoir plus de facilité à bâtir des relations en ligne.» L'auteur du best-seller affirme que la technologie doit s'inscrire en soutien aux relations d'amitié déjà existantes. «Les interactions en ligne supportent les relations face à face, et non le contraire», dit-il.

Ancien publicitaire, Pierre Côté a fondé il y a quelques années l'Indice relatif de bonheur (IRB), un observatoire social indépendant, qui prend régulièrement le pouls du bonheur au Québec. L'IRB est un outil qualitatif et quantitatif ayant comme objectif d'évaluer l'impression et la perception que les gens ont de leur propre état. Selon ses études, les membres Facebook affichent un IRB légèrement plus élevé que les non-membres, même si la différence est trop faible pour conclure qu'ils se considèrent comme plus heureux que ces derniers. «Lorsqu'on fouille un peu par contre, on découvre que 50% des membres de Facebook trouvent que leur niveau de bonheur s'est amélioré au cours de la dernière année. Du côté des non-membres, c'est seulement 40%», dit-il. Mais les statistiques ne permettent pas de savoir si c'était avant ou après la création de la Fan page des bijoux Caroline Néron.

En s'y attardant de plus près, il a aussi remarqué que les usagers Facebook avaient une vie sociale plus active que les non-membres et qu'ils entretenaient des liens plus étroits avec leur famille. «Plus de 80% d'entre eux disent communiquer avec leurs parents sur une base hebdomadaire, ce qui correspond à une proportion substantiellement plus élevée que les non-membres», dit Pierre Côté.

Un Biodôme pour humains

En plus de nous permettre de garder contact avec des gens avec qui on aurait autrement des liens faibles (la gang du cours d'escrime au cégep Édouard-Montpetit, je vous salue), Facebook offre la possibilité de montrer sa «collection» d'amis. On les identifie, puis on les pine fièrement sur notre mur, comme quand on était kid, avec notre collection de papillons simili exotiques.

Bien que certains membres de Facebook disposent de plusieurs centaines de spécimens, les recherches du Dr. Christakis ont démontré que la plupart des usagers possèdent environ 110 amis sur le célèbre site, soit 4719 amis de moins que le très célèbre humoriste Stéphane Fallu. Mais quelle est la nature de ces relations? «En moyenne, les gens ont seulement 6,6 amis véritables», dit-il. Et selon Pierre Côté, le nombre d'amis proches a un impact direct sur l'IRB: les gens qui ont quatre amis proches ou plus ont un IRB supérieur de 10 points à ceux qui n'ont qu'un seul ami proche. Or, d'après lui, il existe un lien clair entre le nombre d'amis sur Facebook et le niveau de bonheur. «Si un individu a beaucoup d'amis virtuels, cela dénote une vie sociale active dans le monde réel», dit-il.

Je m'aime donc je suis sur Facebook

Facebook ne permet pas seulement d'alimenter sa vie sociale mais permet aussi de nourrir son estime personnelle. D'après Pierre Côté, les Facebookeux ont une estime personnelle supérieure aux non-Facebookeux. «Plus de 61% des membres se considèrent comme de belles personnes sur le plan physique et 69% comme des personnes  avec du charme», dit-il. Paraît que la prolifération du nombre de photos prises dans le miroir des toilettes du Carlos & Pepe's par des hipsters en sweat pants du collège Dawson n'est pas étrangère à cette statistique. Mais ces chiffres chutent rapidement chez les non-membres: seulement 50% se considèrent comme de belles personnes et 66%, comme des personnes avec du charme.

«Dans ma face, y a mes deux mains, mais derrière, y a un sourire», chantait avec justesse Dany Bédar. Aujourd'hui, les photos de profil en disent long sur les états d'âme d'un individu. Le Dr. Christakis s'est d'ailleurs posé la question suivante: le fait de sourire sur sa photo a-t-il oui ou non un impact sur son niveau de bonheur? Le résultat de ses recherches est renversant: les individus qui sourient occupent une place névralgique au sein de leur réseau et ont davantage d'amis que ceux qui ne sourient pas. «Le fait de sourire est associé au fait d'avoir un ami de plus, c'est significatif si on considère que les gens ont en moyenne 6 amis proches».

Après 2000 ans de cours de catéchèse à se faire dire que le bonheur est dans l'altruisme, le pardon et l'amour de son prochain, est-ce que le bonheur ne serait tout simplement pas dans la connexion avec l'autre, un besoin social que Facebook facilite? Bien que le bonheur ne soit pas contagieux sur ce réseau social, la communauté qui la compose partage un trait commun, la sociabilité, un élément essentiel pour trouver le bonheur. Mais pour être certain qu'on met toutes les chances de notre côté pour être heureux, on va quand même s'acheter un bain moussant Sapino, juste au cas.