Quand on leur parle de Facebook, leur visage se crispe, leurs mains deviennent moites et leur paupière droite se met à trembler. Alors que la planète entière vit à l'heure du géant bleu, que les amitiés, les sorties et même les relations amoureuses se vivent numériquement, les antifacebook résistent quoi qu'il arrive et se moquent de passer pour des illuminés. Mais que se passe-t-il dans la tête de ces irréductibles Gaulois?

Il aime se défouler à Guitar Hero dans son salon avec des amis. Ses fans du sexe opposé le préfèrent pas rasé. Son anniversaire est le 20 octobre. Ça lui arrive de porter des perruques ridicules et il aurait déjà joué au trou-de-cul chez Hartley's quand il avait 14 ans, à l'époque où il était punk. Bienvenue sur la page Facebook du fan club de Nicolas Tittley, animateur et journaliste à Musique Plus. Qui n'a jamais ouvert de compte ou créé de profil de sa vie. «Je n'en ai pas et je ne vais jamais en avoir, dit-il. Des amis ont ouvert cette page pour me forcer à avoir un statut. Je ne sais même pas à quoi ressemble ce fan club ou même s'il est encore actif...» C'est qu 'aux yeux de l'encyclopédique chroniqueur musical, Facebook est un ramassis de narcissiques professionnels. «Ce site impose des codes. Il faut étaler sa vie et mettre constamment son profil à jour. Indiquer qu'on est dépressif au lever et complètement euphorique à midi, dit celui qui revendique le droit à être totalement débranché. Ces infos ne sont pas pertinentes et j'ai encore moins envie de les commenter en demandant comment s'est passée la transition entre le statut 1 et 2!»

Même si tous ses amis sont sur Facebook, Nicolas résiste, sous prétexte qu'il veut continuer à vivre pleinement certains instants. «Avant Facebook, par exemple, les concerts de musique étaient des moments de communion uniques entre le public et le groupe qui jouait sur scène, constate l'animateur. Maintenant, les gens assistent au show par le filtre de leur réseau. Leur expérience doit être validée par Facebook pour exister. Ils ne vivent plus le moment, mais une représentation du moment. C'est absurde.»

Fuck off

Comme Nicolas Tittley, la comédienne Jessica Barker ne veut rien savoir du réseau social et a décidé de taper fort contre Facebook. Dans son appart du Mile-End, entourée de sacs en plastique rempli de t-shirts estampillés Fuck Facebook, elle répand le message telle la bonne nouvelle. Il y a près de deux ans, sur un coup de tête, elle a démarré son entreprise avec une copine, Laurence Berkani. Les deux filles ont acheté du tissu, imaginé le logo et fait fabriquer leurs chandails.

Depuis, plus de 3000 t-shirts ont été vendus et les courriels positifs continuent d'affluer, comme celui de cette fille qui a perdu son chum à cause de Facebook et qui est heureuse de porter le t-shirt depuis. «Les gens sont contents, indique l'ex-vedette des Intrépides. On nous fait croire que notre vie sociale s'arrête si on n'en fait pas partie... mais c'est faux.» Jessica cite d'ailleurs l'exemple d'une amie qui pendait sa crémaillère et qui avait invité ses 500 amis Facebook. «Ça devait être le gros party avec énormément de monde, raconte-t-elle. Mon amie était très impatiente, mais finalement personne n'est venu. C'est ce qui arrive avec Facebook, on banalise les événements, car il y a trop de sollicitation.»

Malgré sa position antifacebook actuelle, Jessica est passée du côté bleu de la force. Son expérience aura duré deux semaines. «Ça a vraiment été n'importe quoi, reconnaît-elle. Le jour où j'ai créé mon profil, une cinquantaine de personnes que je ne connaissais pas m'ont demandé d'être leur amie.» Aussitôt après avoir ouvert son compte, elle l'a refermé, faute d'avoir envie de suivre la vie quotidienne des autres. Et maintenant quand ses amis s'étonnent de ne pas la trouver sur Facebook, elle s'empresse de répondre: «Ben non... JE NE SUIS PAS SUR FACEBOOK!»

Un outil de plogue

Même si elle se sent un peu seule et qu'elle craint de retomber à nouveau sous la pression, Jessica tient le coup, pendant que d'autres résistants tombent au combat. Comme Hans Heinrich, un musicien montréalais qui a longtemps tenu tête à Facebook avant de craquer, il y a quelques semaines. «La plupart des raisons pour lesquelles je ne voulais pas être sur ce réseau sont les mêmes qui font que j'y suis maintenant», explique-t-il.

Depuis des années, Hans a tout fait pour éviter d'apparaître sur Internet, car il ne voulait pas exister virtuellement. Il n'a donc jamais eu de profil et a interdit toute publication de photo ou de texte faisant référence à son nom. Il privilégie la vie réelle et estime que Facebook est totalement superficiel. «Tout le monde veut être une star et montrer que sa vie est mieux que celle des autres: qu'il possède plus d'amis, qu'il a les plus beaux enfants et qu'il va dans les meilleurs partys», affirme le musicien de 28 ans.

Ce sont ses projets professionnels qui l'ont poussé à revoir sa position. «Avec mon groupe, nous avons le projet de sortir un disque cet automne. Je vais me servir de Facebook comme outil de promotion. C'est un foutu bon moyen d'aller chercher un énorme bassin de gens», concède Hans qui a passé beaucoup de temps sur son profil depuis qu'il l'a ouvert. En moins de quatre jours, il avait déjà 150 amis. Il assure que son usage de Facebook restera professionnel - même si cela facilite les contacts avec les filles - et qu'il n'étalera pas sa vie sur son mur: «Je n'ai pas envie qu'on sache comment je me sens ou si je suis en couple ou pas, dit-il. J'ai mis quelques photos, mais rien de compromettant. Je ne veux pas me retrouver avec une image de mon ex que je n'arrive plus à enlever.»

Avoir droit à l'oubli numérique

La photo des dernières vacances où la blonde de Jean-Guy se bronze sur la plage topless ou encore celle du 5 à 7 qui dégénère avec les collègues: les images gênantes sur Facebook ne manquent pas et l'avocat suisse Sébastien Fanti connaît bien le problème. Depuis plusieurs années, il défend sa clientèle contre Facebook et autres sites Internet. «On n'a aucun contrôle sur la diffusion des informations. Une personne qui veut nuire peut sans aucun problème créer un faux profil et dire ce qu'elle veut comme injures», explique l'avocat. Son cabinet compte d'ailleurs neuf personnes qui passent la moitié de leur temps à représenter les intérêts des victimes du Net. «Nous avons des clients de partout dans le monde qui nous consultent pour qu'on retire leurs images sur différents sites ou pour obtenir réparation après que leur identité ait été usurpée, dit-il. Un de nos clients, par exemple, a été victime d'un véritable lynchage public et il s'est même fait agresser dans la rue. Tout cela via Facebook, alors qu'il n'a même pas d'ordinateur», explique l'avocat qui planche actuellement sur un livre sur le réseau social.

Pour Sébastien Fanti, les utilisateurs de Facebook ne font plus la différence entre la sphère privée et la sphère publique. Ils répandent des informations qui devraient rester dans un cadre restreint, voire intime. «Ils ne peuvent pas se rendre compte des conséquences tant qu'ils n'ont pas eu de problème. Et quand on essaie de contacter Facebook pour signaler un abus, personne ne répond. Il n'y a aucun moyen d'effacer les données», assure le Suisse qui revendique le droit à l'oubli numérique. Selon lui, il faut forcer Facebook à demander une autorisation préalable pour l'exploitation des données personnelles afin de savoir à quoi elles vont servir. De plus, il veut que les personnes qui ont l'intention de disparaître numériquement puissent le faire complètement, car pour le moment, il est très difficile de supprimer son profil. Et même son compte fermé, comment être certain que les images, textes et autres indications sont bel et bien hors de portée?

Suicide virtuel

Pourtant, il existe une solution pour simplifier la vie à ceux qui ont décidé d'en finir une fois pour toutes. Le site web Suicide Machine propose le suicide virtuel en 52 minutes, alors qu'il prend normalement 9 heures et 35 minutes pour supprimer toutes ses données manuellement.

D'origine hollandaise, les auteurs de ce site se décrivent comme des penseurs expérimentaux, médiatiques, technologiques et critiques du quotidien avec une pratique artistique. Leur démarche n'est pas une attaque frontale, mais plutôt une évaluation prudente des réseaux sociaux. «Nous souffrons d'une saine paranoïa pour penser que des réseaux sociaux devraient être examinés de façon plus critique, dit Gordan Savicic, l'un des fondateurs du site. La plupart des modèles économiques de réseaux sociaux sont basés sur l'analyse marketing et font de la publicité basée sur les activités des utilisateurs. On ne sait pas ce qui arrive si un utilisateur décide de supprimer son propre contenu. Tout ne disparaît pas automatiquement et il peut rester des copies. Dans ce cas, appartiennent-elles toujours à Facebook?», prévient Gordan Savicic.

Tout a commencé par une soirée dans un club de Rotterdam où le concept était de faire un suicide virtuel collectif. Boire un verre, remplir un formulaire et faire pendre au bout de la corde son alter ego numérique. Par la suite, Gordan Savicic a automatisé le processus complet pour le rendre disponible en ligne. Depuis l'ouverture du site, en décembre 2009, plus de 3000 personnes ont mis un terme à leurs différentes vies sur Facebook, My Space, Linkedin et Twitter. Plus de 230 000 amitiés se sont désintégrées et 390 000 twits ont été réduits en poussière. Facebook a tenté d'interdire l'accès à Suicide Machine, mais pour le moment, le site reste actif et permet chaque jour la fin de centaines de profils. Mais pas complètement non plus. Pour garder une petite trace dans cet univers narcissique, les nostalgiques peuvent laisser leurs dernières paroles dans le Who's Who des suicidés sociaux: Noooon, je ne regreeeeeette rien!!!