Dans la bande-annonce de la populaire série You, de Netflix, le personnage principal, un jeune et charmant libraire, prononce cette phrase, mi-innocente, mi-lourde de sens, finalement à glacer le sang : « Il faut que je sache qui tu es vraiment. » Autopsie du harceleur obsessif, dit stalker en bon français, en quatre temps.

Le harceleur dans l'imaginaire populaire

Tirée du roman de l'Américaine Caroline Kepnes, adaptée pour Netflix par Greg Berlanti (à qui on doit Riverdale), la série You raconte l'histoire d'un jeune libraire, Joe (Penn Badgley), prêt à tout, mais vraiment tout, pour que la cliente de ses rêves, Beck (Elizabeth Lail), tombe amoureuse de lui.

Il fouille son compte Facebook (public), dévore son Instagram, commente ses photos (et ses amitiés, toutes plus ou moins louches à ses yeux) et finit par trouver son adresse, le tout en deux clics et trois mouvements. Il l'espionne sans gêne dans son intimité la plus intime, rentre à son insu chez elle et finit par carrément lui voler une petite culotte.

Pure fiction, vous dites ? La série, dont on attend une seconde saison (apparemment en production), n'est pas sans rappeler l'affaire Kevin Parent : le procès de Renée Toupin a révélé récemment que la dame aurait harcelé le chanteur pendant des années, étant allée jusqu'à s'introduire une nuit par effraction chez lui, pour se retrouver assise à ses côtés sur son lit. Il faut dire que des cas de harcèlement du genre surgissent régulièrement dans les médias. Rappelons le cas récent de la soeur d'Eugenie Bouchard, apparemment harcelée jusqu'à Londres par un admirateur, ou encore celui d'Alec Baldwin, avec la comédienne Geneviève Sabourin.

Le harceleur dans la vraie vie

Dominick Gamache est psychologue, professeur à l'Université du Québec à Trois-Rivières et chercheur au Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles (CRIPCAS). Avant de lui parler, l'auteure de ces lignes a vérifié son profil Facebook, ainsi que sa page sur le site de l'université. « Suis-je une "stalkeuse" ? », lui a-t-on demandé. Il faut dire que les réseaux sociaux rendent l'espionnage sinon tentant, du moins drôlement facile, accessible, et surtout efficace. « Non, dit-il en riant au bout du fil. Je ne me sens pas menacé ! »

« Fouiller des informations publiques, c'est une chose, explique-t-il plus sérieusement. Fouiller chez moi, pendant que je suis absent, c'en est une autre. La différence, c'est le sentiment de menace chez la victime. Ainsi que l'aspect répétitif du comportement. » 

Il mène d'ailleurs actuellement une recherche sur le sujet, afin de documenter et mesurer la prévalence de tels harceleurs au sein de la population. Son hypothèse ? « On a tous en tête les cas de stalkers médiatisés, mais on pense que les manifestations de harcèlement obsessif, il y en a beaucoup plus qu'on croit dans la vie de tous les jours ! » Il cite les cas de conjoints (ou ex-conjoints) qui fouillent les courriels, contrôlent les allées et venues ou limitent les fréquentations, « des cas qui peuvent passer sous le radar, mais quand même causer beaucoup de dommages ».

Troubles et motivations

Qui sont ces harceleurs ? Si l'on sait que, dans la très grande majorité des cas, les harceleurs sont des hommes, les victimes, des femmes (« mais ce n'est pas systématique », nuance Dominick Gamache), qu'ils connaissent leur victime, qu'est-ce qui peut bien les mener à faire de tels gestes ? Quand passe-t-on de la simple curiosité à la surveillance obsessive ? Deuxième hypothèse du chercheur : il n'y aurait pas de profil type de harceleur obsessif potentiel, mais bien un éventail de profils possibles.

De manière générale, ceux-ci souffriraient de deux types de troubles distincts : des troubles psychotiques ou des troubles de personnalité. Le premier cas est le plus souvent associé aux cas de stalking (dans 20 % à 30 % des cas, selon les études). On assiste ici à une perte de contact avec la réalité et à des délires dits érotomaniaques, visant des personnalités, des célébrités ou des personnes de pouvoir. Le harceleur est « convaincu que la personne est secrètement amoureuse » de lui.

Ce sont bien évidemment les cas les plus médiatisés. Pour les cas de troubles de personnalité, moins connus, mais potentiellement tout aussi agressants, différents scénarios sont possibles : personnalité limite et peur de l'abandon (« le harceleur pourrait s'agripper à quelqu'un après une rupture »), personnalité narcissique (« ne tolère pas le refus, cherche le contrôle sur l'autre ») ou enjeux psychopathiques à la Joe Goldberg (le personnage principal de la série You Parfaite en français). « C'est le profil plus prédateur qui veut dominer la victime, indique Dominick Gamache, qui n'a toutefois pas vu la série. Heureusement, ces derniers ne représentent pas la majorité des cas : seulement 1,67 % selon une étude, mais jusqu'à 15 % selon une autre. »

Impact sur les victimes

L'impact sur les victimes de ces stalkers n'est évidemment pas à négliger. Au Royaume-Uni, où on estime que 700 000 femmes sont ainsi harcelées chaque année, un organisme (Paladin) a été mis sur pied il y a plusieurs années pour les soutenir, tant mentalement que juridiquement. C'est que ce type de harcèlement, qu'il soit virtuel ou carrément physique, peut provoquer des symptômes qui s'apparentent à ce que l'on observe chez les victimes d'abus ou de violence conjugale : stress post-traumatique, anxiété, dépression. Sans parler des cas de violence parfois physique.

D'après L'Enquête sociale générale (ESG) de 2014 sur la sécurité des Canadiens, le tiers des victimes d'un partenaire connu ont déclaré avoir été violentées physiquement, 42 % ont été menacées et 42 % ont carrément craint pour leur vie. Si l'on conseille évidemment ici à toutes les victimes de consulter, trop souvent, elles ne le font pas. « Les gens n'ont pas toujours conscience qu'ils ont été victimes d'un acte criminel », déplore Dominick Gamache.

Aux États-Unis

18,7 % des gens ont été victimes au moins une fois de stalking.

68 % des victimes sont des femmes.

76 % des victimes connaissaient leur harceleur.

Source : Spitzberg, B.H., et Cupach, W.R. (2014), The Dark Side of Relational Pursuit : From Attraction to Obsession and stalking (2e éd.), Routledge

Au Canada

8 % des femmes ont été victimes de harcèlement criminel au Canada.

5 % des hommes ont été victimes de harcèlement criminel au Canada.

70 % des gens connaissaient leur agresseur.

Source : Statistique Canada

PHOTO FOURNIE PAR DOMINICK GAMACHE

Dominick Gamache, chercheur au Centre de recherche interdisciplinaire sur les problèmes conjugaux et les agressions sexuelles