Plusieurs personnes trans sont forcées de garder leurs anciens prénom et désignation de genre sur leurs documents d'état civil ou ceux de leurs enfants dans l'état actuel de la loi. Une situation qui peut entraîner de la discrimination et quantité de malaises au quotidien. Leur cause sera bientôt entendue devant les tribunaux. Témoignages.

Après sa transition, Harely Vescio a obtenu un acte de naissance correspondant à ses nouveaux prénom et genre. «C'était un moment d'euphorie», se rappelle-t-elle. Mais le charme a été rompu lorsqu'elle a posé les yeux sur les nouveaux actes de ses enfants. Il y était encore écrit qu'elle était leur père. «Le moment qui aurait dû être heureux est devenu choquant», déplore-t-elle.

Dans l'état actuel de la loi, Harely doit vivre des malaises fréquents lorsqu'elle présente un document qui la désigne comme un père. Par exemple, puisqu'elle est née au Québec et qu'elle a été éduquée dans une école anglophone, elle a le droit d'inscrire ses enfants dans une telle école. «Pour le prouver, je dois montrer les certificats de naissance où je suis présentée comme le père. Quand une personne voit ça, elle se pose des questions. Ça me out chaque fois. C'est une invasion de ma vie privée et de celle de mes enfants. Personne n'a besoin de savoir qu'ils ont un parent trans.» Elle aimerait plutôt que les documents la nomment comme parent, plutôt que mère ou père.

En 2014, le Centre de lutte contre l'oppression des genres a déposé une requête à la Cour supérieure du Québec pour que soient invalidés certains articles du Code civil du Québec qui limitent ou empêchent les changements d'identité sexuelle et leur reconnaissance. La cause devrait être entendue au début de 2019.

La requête s'attaque aux lois québécoises qui enfreignent la pleine participation des personnes trans à la société civile, explique D.T., porte-parole de la poursuite et éducatrice publique au Centre de lutte contre l'oppression des genres.

«Plusieurs lois et règles nient l'existence complète de certaines personnes. On veut leur assurer ce droit, sans discrimination, sans déni de leur identité.»

Évolution depuis 2014

Depuis quatre ans, les processus juridiques ont permis quelques changements. «Au début du recours, la loi obligeait les personnes trans à avoir entrepris une procédure chirurgicale avant de changer leur désignation de genre, explique Audrey Boctor, l'une des avocates des trois cabinets impliqués dans le litige contre le Procureur général du Québec. Et les jeunes trans de moins de 18 ans n'avaient pas la possibilité de changer leur nom. Ces parties de la loi ont changé, mais il reste encore du travail à faire. On poursuit la procédure, car on ne veut laisser aucune personne marginalisée ou vulnérable derrière.»

La poursuite s'attaque notamment à l'article 59 du Code civil du Québec qui déclare que seules les personnes majeures avec la citoyenneté canadienne et domiciliées au Québec depuis au moins un an peuvent demander un changement de nom sur les documents d'état civil. L'article 71 impose les mêmes critères pour demander un changement de la désignation de genre.

Il y a deux ans, Adrianna Diaz marchait dans la rue lorsqu'une automobiliste l'a heurtée légèrement. Lorsque la police est arrivée sur les lieux, les agents lui ont demandé sa carte d'assurance-maladie. «Je ne voulais pas la sortir, car elle n'avait pas encore été changée», raconte-t-elle. Originaire du Mexique et n'ayant pas la citoyenneté canadienne à l'époque (elle l'a obtenue il y a un mois), elle ne pouvait pas légalement changer son nom et sa mention de genre sur ses papiers. «Je n'ai pas été maltraitée, mais quand j'ai demandé le rapport de police, il était inscrit qu'une voiture avait heurté un piéton, un homme, monsieur Diaz...»

Par ailleurs, son acte de mariage indique que son mari est marié à un homme. «Si quelque chose lui arrive ou si on divorce, j'ai besoin de prouver que je suis sa femme, mais le document indique qu'il est marié à un homme. Imaginez l'embêtement pour obtenir l'assurance vie. Je peux prouver que je suis Adrianna Diaz, mais je ne peux pas prouver que je suis monsieur Diaz, qui est marié avec mon mari.»

Les non-binaires

Le recours entamé par le Centre de lutte contre l'oppression des genres vise également à faire retirer l'obligation pour les citoyens québécois d'être désignés selon leur sexe sur leurs documents d'identité comme le permis de conduire et la carte d'assurance maladie.

«C'est une question de dignité, soutient Florence Ashley, qui se décrit comme une personne non binaire et transféminine. Il y a un manque de reconnaissance de l'identité non binaire.» Ayant étudié le respect des personnes non binaires dans la langue française, Florence observe les impacts négatifs de la situation sur la qualité de vie des gens concernés. «Faute d'option, je préfère accéder aux espaces pour femmes et avoir un F sur mes documents, pour avoir une certaine protection dans l'accès aux services.»

Son désir est de pouvoir choisir la lettre représentant son genre ou d'enlever la mention. 

«L'idéal serait d'enlever les mentions de genre, car il n'y a pas de raison que ce soit inscrit.»

Si certains observateurs avancent que les marqueurs de genre sur les documents d'identité sont utiles dans un contexte médical, Florence réplique que cela pourrait, au contraire, être une source de négligence professionnelle. «C'est dangereux si un docteur présume tout savoir médicalement sur une personne en ce qui concerne le développement sexuel et reproductif du corps, avec cette information seulement. Par exemple, plusieurs personnes trans n'ont pas changé leur mention de sexe, même si elles ont entrepris leur transition ou commencé la prise d'hormones.» Elle cite aussi en exemple une femme trans avec un F sur sa carte d'assurance maladie. «Les médecins ne vont pas penser qu'elle aura besoin d'un examen de la prostate à un certain âge, s'ils se fient juste à ce document.»

Photo Edouard Plante-Fréchette, La Presse

L'acte de mariage d'Adrianna Diaz indique que son mari est marié à un homme. «Si quelque chose lui arrive ou si on divorce, j'ai besoin de prouver que je suis sa femme, mais le document indique qu'il est marié à un homme. Imaginez l'embêtement pour obtenir l'assurance vie.»

Une version précédente de l'article indiquait le nom complet de la personne. La Presse a décidé de ne mettre que ses initiales, car elle est victime de commentaires haineux.