Artiste, explorateur, caméraman, photographe: le plongeur québécois Mario Cyr s'est forgé une solide réputation internationale. La Presse l'a rencontré en marge du lancement de son livre L'aventurier des glaces. Portrait d'un homme qui est fou des mers, des océans et de leurs habitants... au point de leur parler.

Attiré naturellement par la mer, le Madelinot Mario Cyr s'imagine mal ce qu'il aurait pu faire d'autre. Ses yeux s'illuminent au souvenir de sa toute première plongée. «Le 10 juillet 1976. On cherchait des palourdes», se rappelle-t-il. Il enchaîne donc les différentes formations et certifications nécessaires pour devenir plongeur professionnel.

En 1984, alors qu'il agit à titre de guide-plongeur pour une équipe de tournage californienne au large des Îles-de-la-Madeleine, il remplace au pied levé le caméraman frigorifié et boucle le tournage. Une passion naît pour celui qui a désormais le surnom d'Iceman.

Petit à petit, tout en continuant à travailler comme plongeur commercial, gérant d'une boutique de plongée et instructeur, il développe ses habiletés de photographe-caméraman et... sa résistance au froid.

C'est à partir de 1991 que sa carrière de cinéaste sous-marin démarre, alors que le National Geographic lui demande de participer à un documentaire sur les morses. Commence alors une aventure qui l'amènera à plonger dans toutes les mers, avec une forte préférence pour l'Arctique, où il a participé à une quarantaine d'expéditions.

Solitude

«J'ai eu des remords à laisser ma famille pendant de longues périodes», raconte celui qui est notamment parti sur le voilier Sedna pendant 16 mois. «Finalement, je me suis rendu compte que si mes filles étaient tristes pour moi, c'est parce qu'elles avaient pitié de moi, tout seul dans ma petite tente, dans le froid», raconte-t-il en riant. Et c'est sans parler des deux à trois semaines sans se laver!

Même s'il confie ne pas être quelqu'un qui s'ennuie quand il part en expédition, Mario Cyr apprécie néanmoins la fulgurante amélioration des communications. Il se rappelle un tournage, dans les années 90, durant lequel il était complètement incommunicado pendant plus de trois semaines. «J'avais hâte d'arriver au village pour avoir des nouvelles.» Et pas n'importe lesquelles. «En prévision de notre voyage sur le Sedna, j'avais demandé à des amis de m'envoyer les résultats de hockey et les actualités politiques. Mais ça a vite pris le bord: ce qui comptait vraiment, c'est les nouvelles des proches. De ceux que tu aimes.»

Malgré l'éloignement, le plongeur ne changerait rien. Celui qui a déjà été maire de Grande-Entrée, aux Îles-de-la-Madeleine, de 1993 à 1997, peut difficilement passer plus de quelques semaines sans vouloir repartir vivre sa passion.

Vedettes

Oui, il est fou de la mer et de ses habitants. Au point de leur parler quand il les rencontre. «Quand je m'approche d'eux sous l'eau, je leur parle, je leur dis qu'ils sont beaux, que je les aime.» Mario Cyr cherche ensuite ceux qui voudront bien se prêter au jeu de la caméra.

Comme pour les humains, chaque espèce compte des spécimens plus attirés que les autres par la caméra. «Il faut trouver ceux qui sont plus sympathiques, qui font le beau ou la belle devant nous.»

Cela dit, ce n'est pas parce qu'ils sont beaux et sympathiques qu'il ne faut pas se méfier. La plongée avec des animaux comporte son lot de risques.

«Je me fie à mon expérience. Avec le temps, j'ai développé un sixième sens. Quand je vois un ours polaire tout balafré, qui se bat donc probablement souvent, j'attends le prochain!»

Et qu'importe les impératifs de production. «C'est moi qui décide si je vais à l'eau ou pas.»

Il est particulièrement attentif quand il travaille avec des morses. «Ce sont des animaux grégaires. Quand tu filmes un ours, il y en a un. Les morses, c'est 300.» Il y a peut-être aussi un peu de rancune là-dedans: un spécimen de cette espèce lui a déjà disloqué une épaule. Et les épaulards? «Je crois qu'ils nous trouvent trop pâlottes, pas intéressants. Il faut par contre faire attention, car contrairement aux baleines, ils ne t'avertissent pas si tu es trop proche et qu'ils pourraient te faire mal avec leur queue.»

Ce n'est ni un ours ni un épaulard, mais le gel d'une pièce d'équipement qui lui a fait frôler la mort en 2008. Un accident dont il sortira indemne et dont il écourtera la convalescence, trop impatient de participer à un autre tournage.

PHOTO TIRÉE DU LIVRE L’AVENTURIER DES GLACES

Les changements climatiques affligent particulièrement les ours polaires, pour qui il est de plus en plus difficile de chasser les phoques.

Témoin des changements

Au fil de ses 40 expéditions en Arctique, Mario Cyr a vu sur place les effets des changements climatiques. Les ours polaires en sont un exemple éloquent. 

«Ironiquement, les phoques sont plus nombreux qu'avant, mais il y a moins de banquises. C'est de plus en plus difficile pour les ours de les chasser.» Des ours polaires, souvent efflanqués, s'approchent donc de plus en plus des villages pour trouver de la nourriture. 

Ces changements compliquent aussi son travail: «D'une année à l'autre, à pareille date, ce ne sont plus les mêmes conditions. Ça complique la logistique.»

Mario Cyr ne croit pas qu'il faille abandonner.

«On ne peut pas baisser les bras. Il faut modifier les lois internationales. Même si on ne peut pas arrêter ces changements, on peut les ralentir.»

L'environnement est au centre des conférences qu'il donne. «Je ne suis pas un leader écologique, mais un témoin. Je parle de ce que j'ai vu.» Dans L'aventurier des glaces, il choisit de montrer la beauté de l'univers arctique. Ce monde dont il est fou, quitte à risquer l'hypothermie.

«Il faut que les gens voient la beauté de ces endroits. Qu'ils comprennent ce qu'il faut protéger», résume-t-il. C'est pour ça qu'il va continuer à plonger dans cette région, tout en se fixant certaines limites. « Je vais bientôt avoir 60 ans... »

À ceux qui se posent la question: ce n'est pas parce qu'il supporte bien le froid qu'il n'aime pas le chaud. Il a passé ses dernières vacances à faire de la voile aux Bahamas. «Avec un peu de plongée légère», ajoute-t-il. On aurait dû s'en douter!

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L'aventurier des glaces. Mario Cyr / Éditions Cardinal.

À travers des images à couper le souffle, Mario Cyr nous emmène dans ce monde qui le passionne. Il nous raconte les défis et les bonheurs inhérents à la plongée en Arctique, revient sur la petite histoire derrière certains de ces clichés et nous présente ses espèces «vedettes».

PHOTO TIRÉE DU LIVRE L’AVENTURIER DES GLACES PUBLIÉ AUX ÉDITIONS CARDINAL

Habitué à plonger dans les eaux glaciales, Mario Cyr est surnommé Iceman.