Que ce soit en camping, au chalet ou à la campagne, le feu de camp attire... la musique. Palmarès des meilleures chansons de circonstance et explication du phénomène par des musiciens, dont Paul Piché.

Dis-moi, c'est quoi ta toune ?

Quelle chanson grattez-vous à la guitare ou chantez-vous autour du feu? Nous avons lancé la question sur le site web de La Presse. Voici une sélection des chansons les plus souvent citées.

Les vieux classiques

PAUL PICHÉ  Réjean Pesant

BEAU DOMMAGE Harmonie du soir à Châteauguay

RICHARD DESJARDINS Le chant du bum

PLUME LATRAVERSE Jonquière

GASTON MANDEVILLE Le vieux du Bas-du-Fleuve

Les classiques plus récents

LES COWBOYS FRINGANTS Les étoiles filantes

JEAN LELOUP I Lost my Baby

MES AÏEUX Chanson à boire

DANIEL BÉLANGER Sèche tes pleurs

PEARL JAM Last Kiss

Les chansons folk/rock

BOB DYLAN All Along the Watchtower

NEIL YOUNG Heart of Gold

JOHN DENVER Country Roads

KANSAS Dust in the Wind

JOHN LENNON Imagine

Les classiques romantiques

FRANCIS CABREL Petite Marie

ZACHARY RICHARD Lac Bijou

LES BB Tu ne le sauras jamais

PLAIN WHITE T'S Hey There Delilah

MICHEL SARDOU Laisse-toi prendre

Les futurs classiques *

LISA LEBLANC Aujourd'hui, ma vie, c'est d'la marde

PATRICE MICHAUD Mécaniques générales

PHILIPPE BRACH Né pour être sauvage

LES SOEURS BOULAY Fais-moi un show de boucane

VINCENT VALLIÈRES À hauteur d'homme

* Les chansons de cette catégorie ont été choisies en fonction de leur popularité, par notre collègue Émilie Côté, journaliste spécialisée en musique.

Photo Bernard Brault, Archives La Presse

Paul Piché

Quand musique et flammes font bon ménage

« L'humanité n'a pas vu le monde dans un quatre et demie », aime dire Steve Paquet pour justifier ses « sorties » en canot, guitare en bandoulière, dans les réservoirs d'eau les plus éloignés des grandes villes du Québec, où il compose tranquillement ses chansons autour d'un feu de camp. « Ça nous appartient, ces lieux-là, insiste-t-il, on y a droit autant que les ours! »

L'auteur-compositeur-interprète, qui a grandi à Amqui, en Gaspésie, part chaque été dans ces terres reculées et parfois inhospitalières qui bordent de grands réservoirs d'eau. D'une à deux semaines, accompagné ou seul, mais toujours avec sa Seagull 1991 dans un étui étanche. « Loin des SEPAQ, des ZEC et des pourvoiries. Avec une carte. Sans savoir où je vais dormir. Inventer ses journées », dit-il.

Steve Paquet, qui fabrique lui-même guitares et canots, affectionne particulièrement les régions du nord de la Mauricie et des Laurentides, aux abords des réservoirs Kempt, Baskatong, Pipmuacan.

À la fin du jour, il allume son feu - en tipi ou en carré -, laisse son esprit divaguer et se met à jouer ses « tounes de bois ». Les 10 pièces qu'il a créées au fil de ces sorties au grand air paraîtront dans un album intitulé Le réservoir où chaque chanson a été inspirée d'un plan d'eau (et d'un coin de pays) qu'il a visité. C'est ce qu'il appelle son folk géographique.

S'il se trouvait réuni avec des amis, il n'hésiterait pas à jouer ses propres tounes. « Ce sont celles que je trouve les mieux adaptées parce qu'elles ont été créées dans le bois, mais ce n'est pas tout le monde qui connaît les paroles... »

TOUT PART DE LA CUISINE

Difficile de dater l'origine de la musique de feu de camp. Peu (ou pas) de spécialistes se sont penchés sur la question...

La musicologue Sandria P. Bouliane, spécialisée dans la chanson québécoise, affirme toutefois que dès le début de la colonisation, les feux extérieurs et la musique ont fait bon ménage. Et c'est dans la cuisine que tout aurait commencé.

« Les veillées de cuisine », qui ont eu lieu jusque dans les années 40, ont façonné cette tradition, croit-elle. « Au moment des récoltes, parents, amis et voisins se réunissaient le soir autour d'un repas chaud. Par la suite, ils s'asseyaient autour du poêle à bois, ils se racontaient des histoires, des blagues, et ils chantaient des chansons. »

Violoneux, accordéonistes et guitaristes amateurs s'y mettaient, surtout durant la pause des mois d'hiver. « Les chansons à répondre sont privilégiées - pensez à La ziguezon! - parce qu'elles sollicitent la participation de tous », précise la musicologue. Dès les années 30 et 40, la Société Saint-Jean-Baptiste organise des soirées le 24 juin où la chanson francophone est célébrée.

Autre moment charnière de la musique de feu de camp : l'apparition, au tournant du XXe siècle, des camps de vacances et du scoutisme. 

« Avec les colonies de vacances, il y a un apprivoisement de la nuit par les jeunes, qui font des feux et qui se sécurisent en chantant ensemble. Ce mouvement-là, au coeur duquel se trouvent les jeunes, fait de la nuit un temps de plaisir. »

- Sandria P. Bouliane, musicologue spécialisée dans la chanson québécoise

Les années 60 et 70, marquées par la période hippie et le retour à la terre, enrichissent le répertoire de la musique de feu de camp francophone, d'inspiration française, estime Sandria P. Bouliane. Les « protest songs » du folk américain sont grattées dans les villes et les campagnes. Bob Dylan est chanté autant que Gilles Vigneault, Beau Dommage et Paul Piché.

DES CHANSONS QUE TOUT LE MONDE CONNAÎT

Qu'est-ce qui fait une bonne toune de feu de camp? Ce sont justement des chansons que les gens connaissent, répond Steve Paquet. « Elles doivent être très rythmées au pic, comme I Lost my Baby de Jean Leloup, ou alors avec un peu d'espace, pour qu'on entende le crépitement du feu. En fait, ce sont des chansons démocratiques en ce sens que tu n'as pas besoin d'être un grand musicien pour pouvoir entertainer tes campeurs. »

Quand on lui fait remarquer que ses pièces se trouvent au sommet du palmarès des pièces de feu de camp les plus souvent citées par les lecteurs de La Presse, le chanteur des Cowboys Fringants, Karl Tremblay, feint l'étonnement et se réjouit. « C'est parce que ça fait 20 ans qu'on est dans le paysage! lance-t-il. On a fait notre carrière comme ça, de bouche à oreille, pis le bouche à oreille, ça part du bord du feu », laisse-t-il tomber en riant.

« C'est sûr que c'est flatteur, poursuit-il, surtout que depuis quatre ou cinq ans, on voit qu'il y a de plus en plus de jeunes qui viennent à nos concerts, donc on sent qu'il y a une nouvelle génération qui nous écoute. » 

« C'est sûr que les tounes des Cowboys s'y prêtent bien. Ce sont des chansons guitare/voix qui se chantent bien en groupe autour du feu. On a aussi un son acoustique. Tu as une guitare, un violon, tu peux jouer du Cowboys Fringants. »

- Karl Tremblay, chanteur des Cowboys Fringants

Karl Tremblay avoue que lorsqu'il se retrouve autour d'un feu avec des amis, il ne chante pas. « Quand on est musicien, on ne joue pas de musique tant que ça quand on est autour d'un feu, on n'a pas tendance à jouer ou à chanter. Nos amis n'osent peut-être pas non plus nous le demander... » S'il devait choisir des pièces à chanter, quelles seraient-elles? « Ça, c'est difficile à dire, répond Karl Tremblay. Du Paul Piché, du Beau Dommage, ça sonne feu de camp. Mais aussi du Neil Young ou du Bob Dylan. En tout cas, ce serait de la musique racine, des pièces guitare et voix à la base. »

PAUL PICHÉ, LA RÉFÉRENCE

Paul Piché. Son nom revient tout le temps. Sans doute le chanteur le plus souvent cité par nos lecteurs, jeunes et moins jeunes. Il fallait donc lui parler.

« Ça me confirme que ce n'est pas un mythe, nous dit Paul Piché en rigolant. Les gens m'ont toujours dit qu'on chantait mes tounes autour du feu. » 

« Honnêtement, c'est flatteur, parce que ça veut dire que je suis dans la vie des gens. Il y a quelque chose de très rassembleur dans cette image-là de gens qui chantent autour du feu et rassembleur au niveau du coeur aussi. »

- Paul Piché

Comment explique-t-il ce phénomène? « Je ne sais pas... Depuis le début, je vois que les jeunes sont toujours là. J'ai l'impression que c'est comme une initiation d'écouter du Paul Piché à un moment donné. Peut-être pour le côté révolté ou résistant quand on est jeune, en tout cas, ça me ravit. J'ai beau être un chanteur engagé, je chante mes émotions, je chante la vie, l'amour, la mort, la solidarité, donc, je trouve ça l'fun de savoir que les gens chantent mes chansons. »

Est-ce que Paul Piché chante du Paul Piché? « Un peu, répond-il, amusé. Je le fais parfois pour faire plaisir à des amis, mais sinon je vais chanter du James Taylor, John Denver, Jacques Brel, Gilles Vigneault, Pauline Julien, des chansons qui s'accompagnent bien à la guitare. On dirait qu'on porte plus attention aux mots de ces chansons-là quand on les chante autour du feu. »

MUSIQUE TRADITIONNELLE À L'ANNÉE

Chanson française ou québécoise, chansons à répondre, folk américain ou musique gitane, la musique de feu de camp ratisse large. David Simard, qui fait de la musique traditionnelle avec le Cirque Alfonse, est amateur de reel, chansons à répondre, turlutes et autres chansons du terroir.

« C'est vrai que la musique se greffe souvent au feu de camp », nous dit le musicien qui a grandi au Lac-Saint-Jean et qui se rappelle des veillées où il chantait du Beau Dommage, Plume Latraverse ou Richard Desjardins. « Malheureusement, on associe la musique traditionnelle à des événements comme la Saint-Jean ou le jour de l'An, mais moi, j'en fais à longueur d'année », indique le musicien, qui s'apprête à sortir un album de « chansons de bûcherons ».

« Dans l'acte de chanter autour du feu, il y a aussi un sens de la passation, croit Steve Paquet, qui se souvient d'avoir été initié à la musique autour du feu quand il était au primaire. On amène la musique aux jeunes dans les camps. Le feu de camp, ce n'était pas juste une activité, c'était une façon de dire : c'est comme ça qu'on fait les choses. »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, archives LA PRESSE

Karl Tremblay, chanteur des Cowboys Fringants