Ça s'est passé un certain 23 juin 1958. Deux couples, alors, se sont mariés, dans la même cérémonie, grande et festive, pour multiplier le plaisir et diviser les coûts. Ils célèbrent il y a deux semaines leurs 60 ans de mariage. Leur histoire en cinq temps.

La rencontreNous les avons rencontrés le mois dernier. Un beau mercredi après-midi ensoleillé. Lise et Robert Sauvé d'un côté, Jacques (frère de Lise) et Régina Bourbonnais de l'autre. Nous sommes chez Lise et Robert, aujourd'hui âgés respectivement de 82 et 85 ans. Ce que nous ne savons pas encore, c'est que nous sommes aussi dans leur toute première, seule et unique maison commune, dans une petite rue tranquille de Laval.

La rencontre se déroule dans la bonne humeur. Nos quatre octogénaires ont visiblement envie de se raconter. Ils ont un sens de l'humour aiguisé et, surtout, le fou rire facile. Ils ne se privent pas pour nous glisser quelques détails croustillants, clins d'oeil en prime. Pas de doute, ici, ça respire le bonheur.

C'est qu'ils savent aussi qu'aujourd'hui, leur longévité détonne. Sort de l'ordinaire. Et ils ont de quoi être fiers. D'ailleurs, ils la célèbrent religieusement chaque année, et de manière plus festive tous les 10 ans. Samedi, ça promet d'être gros.

Mais avant d'en arriver au récit des festivités, commençons par le commencement: leur rencontre. Où est-ce qu'on se rencontrait, dans les années 50? Sur une piste de danse. Pas bien différent d'aujourd'hui, finalement, Tinder en moins, quelques sets carrés en plus. Ils se souviennent d'ailleurs du lieu: Green Valley, en Ontario. C'est que les quatre sont plus ou moins originaires du coin.

C'était l'époque où l'on s'invitait à danser, racontent-ils. Quand on demande aux dames si leurs prétendants étaient de bons danseurs, elles pouffent de rire: «Non!»

Les fréquentationsÀ l'époque, les quatre travaillaient à Montréal et vivaient en pension, en chambre ou chez un frère. Lise avait un boulot dans une usine, Robert était apprenti plombier, Jacques était ouvrier et Régina, bonne dans une maison privée. Les fins de semaine, ils rentraient chez leurs parents, en Montérégie, et c'est là, surtout, qu'ils se «fréquentaient».

Ce qu'ils faisaient? «On allait marcher! Vous savez, on n'avait pas d'argent...», confie Régina, d'une voix douce.

N'empêche que, déjà, ils le savaient: un jour, ils allaient se marier. «On savait qu'on se marierait. On était faits l'un pour l'autre. Moi, je n'ai jamais eu d'autre chum», poursuit Régina. «Et moi non plus, je n'ai jamais eu d'autre blonde, enchaîne Jacques. C'est comme s'il n'y en avait eu rien qu'une sur Terre.» Leurs déclarations ont quelque chose de solennel. On se demande s'ils devinent à quel point ils sont beaux.

Toujours est-il que les quatre tourtereaux se sont «fréquentés» comme ça deux ans, avant de se décider à se marier. «Deux ans après, il m'a demandé en mariage», précise Lise. Oui, c'est vite, selon les standards d'aujourd'hui. Mais clairement pas pour l'époque. «Ce n'est pas si vite que ça!», rétorque Robert, l'air entendu.

Si vous voulez savoir quand ils se sont embrassés la première fois, ils n'en ont malheureusement pas la moindre idée. Cela fait quand même «quelques années», rient-ils.

La préparationAvant de passer aux choses sérieuses, nos deux couples ont dû suivre les fameux cours de «préparation au mariage». À ce moment-ci, la discussion s'enflamme. De toute évidence, quelque chose vient les chercher.

Cette fois, ils se souviennent précisément où ça se passait: à l'église Saint-Arsène, rue Christophe-Colomb, à Montréal. «Mais je n'ai pas trouvé ça si valable que ça! Ce n'était pas complet. On aurait pu nous parler de vie sexuelle.» Tous acquiescent: «Personne n'en parlait! C'était tabou!» Devant notre surprise face à tant de confidences, ils en rajoutent. «On attendait beaucoup de ces cours, on aurait voulu qu'ils nous expliquent c'était quoi la sexualité!», lance Robert. «Et qu'ils nous expliquent c'est quoi vivre ensemble. On ne savait pas à quoi s'attendre.» Au lieu de quoi ils ont eu droit à des cours de religion, d'économie sociale. «Mais de la sexualité? Non», déplore Jacques.

Une fois le fameux cours terminé, les filles ont magasiné ensemble leurs robes de mariage rue Saint-Hubert (et oui, 60 ans plus tard, elles les ont encore), les gars sont allés louer un costume chez Classy, le lieu de référence en matière de location, depuis 1919.

Le mariage (et l'après)Mais pourquoi ont-ils choisi de se marier en même temps, au fait? «Probablement pour des raisons économiques», croit Lise, dont un autre frère avait également célébré en double, deux ans plus tôt. Apparemment, c'était fréquent à l'époque. Quand on vient d'une famille de dix, qui a les moyens de fêter en solo?

Les quatre se souviennent bien de la cérémonie et nous la racontent, photos à l'appui. Il devait y avoir entre 200 et 300 personnes: la famille, les amis et tout plein d'enfants. Ils nous racontent le (géant) gâteau de mariage, leur arrivée en décapotable et la «valse des mariés». Tous rient en se souvenant de leur maladresse sur la piste de danse.

Ils se souviennent vaguement du menu, mais une chose est sûre: «c'était bar open», rigole Robert.

Le plus drôle reste à venir: le voyage de noces. Il fallait s'y attendre: les quatre devaient partir ensemble. Ils ont aussi pris une seule et unique voiture, prêtée par un beau-frère. C'est qu'ils devaient se rendre à Mont-Tremblant, y passer la semaine. Seulement voilà, l'auto a fait défaut (un pépin de «pompe à gaz») et les nouveaux mariés se sont retrouvés, pour leur nuit de noces, ça ne s'invente pas... dans un hôtel du boulevard Saint-Martin! Tout le monde éclate de rire. On ne peut pas s'empêcher de leur demander si la nuit a été «romantique». «On l'espère», répond Robert, fanfaron. Mais Jacques le corrige en riant de plus belle: «On lui a déjà dit qu'on ne savait rien!»

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

Le faire-part

La vie après le mariageLise et Robert ont finalement eu trois garçons. Régina et Jacques? Idem. Les deux familles ont longtemps continué de se réunir les fins de semaine, pour jouer aux cartes dans la ferme familiale du père de Lise et de Jacques. Ils ont fait plusieurs voyages, d'abord avec les petits (Hampton Beach, Ocean City, Vancouver), puis sans eux (Venezuela, Hawaii, Écosse).

À l'heure de la consommation rapide et des amours qu'on dit jetables, on les écoute parler et on ne peut s'empêcher d'être surpris par leur longévité, à tous les niveaux: longévité du couple, du domicile, de l'amitié, mais aussi du travail. Lise a travaillé 18 ans en bijouterie, Robert a été 45 ans plombier, Régine a travaillé 26 ans dans la même école primaire et Jacques, quant à lui, a été inspecteur municipal 32 ans dans la même municipalité. Cette «longévité» a même déteint sur leurs enfants. «On est six garçons, tous mariés depuis longtemps. Comme si la longévité, c'était dans le sang de la famille. Comme si ça faisait partie de l'ADN», confie Éric (fils de Lise et de Robert, dernier-né des «Sauvé brothers»), présent lors de la rencontre.

Intrinsèque ou pas, cette longévité, ils l'aiment et la célèbrent. Samedi, c'est au Château Vaudreuil que ça se passe. «On reçoit et ça va être en grand», assure Lise. «Sont mieux de mettre leurs cravates!», enchaîne Robert. Enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants sont attendus de pied ferme.

Bien sûr que la vie n'a pas toujours été aussi rose. Mais ils ont su, toujours, s'adapter. «On a tous nos cheveux», dit Jacques, qui a toujours le mot pour rire. Plus sérieusement, «on vit au jour le jour, et aujourd'hui ça va bien!», enchaîne Robert.

Son secret? Par un charmant lapsus, il conclut: «Il faut trouver le moyen de mettre du vin dans son eau!»

Photo Hugo-Sébastien Aubert, La Presse

La traditionnelle photo de mariage, le 23 juin 1958