Non, les jeunes ne jouent plus à Pokémon Go ni avec leurs toupies fidget spinners. Ce qui les passionne, c'est faire le « floss » ou le « shoot », des mouvements de danse devenus viraux. Et jouer à Fortnite, le jeu vidéo de l'heure - dont les avatars font des « floss » et des « shoots », vous suivez ? Décodage.

LE MOUVEMENT DE DANSE DE L'HEURE

C'est frénétique et populaire. Dans les cours d'école, la mode est au « floss », un mouvement de danse qui consiste à balancer les bras, poings fermés, tout en se déhanchant. Très, très, très rapidement.

« Floss » est un mot anglais qui peut signifier « soie dentaire » ou « faire son frais ». Les deux sens s'appliquent dans ce cas, puisque le « flosseur » semble généralement fort fier de se passer une soie dentaire imaginaire autour du califourchon.

Ce mouvement a d'abord été remarqué quand Russell Horning, un ado américain alors âgé de 15 ans, l'a exécuté lors d'un passage de la chanteuse Katy Perry à l'émission Saturday Night Live, pour présenter sa chanson Swish Swish.

La performance de l'ado impassible portant un sac à dos - son surnom est le Backpack Kid -, considéré comme l'inventeur du floss, a été vue plus de 16 millions de fois sur YouTube.

Dans un jeu vidéo

Le floss a ensuite été intégré au jeu vidéo le plus prisé du moment, Fortnite, où on peut voir les personnages le réaliser. Fortnite a la particularité d'être gratuit. « Son modèle économique repose sur l'achat d'éléments uniquement cosmétiques : nouvelles apparences de personnages, sacs à dos, emotes... et des danses ! », explique Pierre-Yves Hurel, chercheur et médiateur culturel à l'Université de Liège et au Liège Game Lab, en Belgique.

Pourquoi acheter une danse pour son avatar ? « Dans Fortnite, il est impossible de communiquer verbalement avec ses adversaires, précise Pierre-Yves Hurel. Mais les joueurs peuvent utiliser des emotes [NDLR : animations des personnages] ou ces danses pour s'exprimer. » Un joueur peut ainsi se moquer d'un adversaire faible en dansant devant lui, provoquer une danse à plusieurs, etc.

Plusieurs danses sont offertes : le « floss », bien sûr, mais aussi le « worm » (où le danseur mime un vers ondulant sur le sol), le « fresh » (qui reprend une chorégraphie d'Alfonso Ribeiro, comédien de The Fresh Prince of Bel-Air !) ou encore le « ride the pony » (où l'avatar fait du cheval comme dans le tube coréen Gangnam Style). « Les danses sont payantes et donc le phénomène est aussi analysable en termes de distinction sociale, poursuit Pierre-Yves Hurel. Si j'ai cette danse ou cette apparence d'avatar, c'est que je peux me permettre de l'acheter. Mais aussi que je suis impliqué dans le jeu, que je suis un "bon" ou un "vrai" joueur. »

Danse virale

Le floss est vite devenu viral : tant les adeptes de Fortnite que les fans de Katy Perry et des athlètes professionnels l'ont reproduit, dans la vraie vie comme sur les réseaux sociaux. Les enfants ont suivi. « Le floss est un mouvement très populaire auprès des jeunes depuis quelques mois déjà », confirme Léa Robert, interprète et enseignante en danse urbaine et contemporaine.

« Il ne s'agit pas d'un nouveau style de danse naissant, mais bien d'un unique mouvement, avec un nom bien à lui. Voir les jeunes aussi épanouis et fiers de réussir ce mouvement, ça me fait sourire. »

Pour l'apprendre

Vous voulez «flosser» ? Sur YouTube, on trouve notamment Thomas Goerig-Harvey, 12 ans, alias Thom Soccer, qui explique candidement dans une vidéo comment danser le floss.

« J'ai appris le floss sur YouTube, indique le garçon de Sainte-Ursule, en Mauricie. J'ai regardé des vidéos pour savoir comment le faire et en me pratiquant, j'ai réussi. J'étais très content. »

Cette méthode - reproduire des chorégraphies devant un écran - est devenue universelle. « On apprend de nouveaux mouvements sur YouTube, Instagram et Musical.ly », énumère Marilie Gagné, 11 ans, qui suit également des cours de danse au Centre du Plateau, à Montréal.

Avertissement : à force d'être répété, le floss peut devenir lassant. « Les enfants font le mouvement, autant dans la cour que dans les corridors et classes, mais je les vois rarement le faire sur une longue période, observe Julie Noreau, enseignante dans une école primaire de Montréal. En classe, je leur dis que ce n'est pas l'endroit... »

Prochain mouvement: le «shoot»

La durée de vie du floss sera limitée, prédit Léa Robert. « C'est le genre de mouvement viral qui parcourt YouTube et les médias sociaux pendant un certain temps, mais s'efface aussi vite qu'il est apparu. On peut le comparer au "whip", au "nae nae" ou encore au "dab" qui ont eu des millions de vues sur l'internet et qu'on retrouvait partout dans les cours d'écoles primaires et secondaires. »

Il est à prévoir que bien des buts comptés lors de la prochaine Coupe du monde de la FIFA, qui aura lieu en Russie du 14 juin au 15 juillet, seront célébrés à coups de floss. À moins que les joueurs de soccer n'aient déjà adopté la prochaine tendance - un mouvement appelé « shoot ».

« Le floss, c'est démodé, tranche Augustine Paquet, 12 ans, qui suit des cours de danse au Centre du Plateau. Le shoot, ça, c'est rendu cool ! »

Image tirée du jeu Fortnite

Image tirée du jeu Fortnite

DES MOUVEMENTS DEVENUS VIRAUX

LE DAB

Pour faire le dab, on incline la tête dans le coude, tout envoyant ses deux bras dans la direction opposée. Adoptée par les rappeurs, les sportifs, puis par tout le monde et sa mère.

WHIP ET NAE NAE

« Now watch me whip, now watch me nae nae », dit le jeune Américain Silentó dans son succès Watch Me (Whip/Nae), sorti en 2015. Ce qu'on pourrait traduire par : « Maintenant, regarde-moi faire le whip, maintenant regarde-moi faire le nae nae. » Le whip consiste vaguement à conduire un volant d'une main, genoux pliés, tandis que le nae nae fait saluer. Même Hillary Clinton, alors candidate démocrate à la présidence américaine, a tenté le nae nae en 2015.

SHOOT

C'est BlocBoy JB, rappeur de Memphis, qui a popularisé cette danse à partir de l'été dernier. Pour « shooter », on sautille sur un pied en frappant un ballon imaginaire de l'autre, tout en donnant un coup de poing dans l'air.

C'EST QUOI, FORTNITE ?

Si vous demandez à un ado ce qu'il aime, attendez-vous à entendre Fortnite parmi les réponses possibles. Fortnite, c'est un jeu vidéo gratuit du studio américain Epic Games, qui comptait déjà « plus de 45 millions » d'adeptes en janvier, selon l'Agence France-Presse.

Un premier mode de jeu, nommé Sauver le monde, a été lancé l'été dernier. Mais le vrai succès est venu avec le mode Battle Royale, ajouté au début de l'automne. « Dans ce jeu, 100 joueurs sont parachutés sur une île déserte et doivent s'éliminer jusqu'à ce qu'il ne reste qu'un vainqueur », explique Pierre-Yves Hurel, chercheur et médiateur culturel à l'Université de Liège et au Liège Game Lab, en Belgique.

« Fortnite a un style assez cartoon, qui le distingue fortement des jeux réalistes du même genre (typiquement PlayerUnknown's Battleground). Il a un côté festif. Il dit en permanence au joueur : "Ceci n'est qu'un jeu", ce qui passe par exemple par des danses. »

C'est joyeux, surtout si on oublie - léger détail - que le but est d'assassiner tous ceux qu'on croise à coup de grenades et de bazookas. Aucun sang ne gicle, mais les avatars tressaillent avant de trépasser. « Le dernier survivant gagne », résume Epic Games dans la vidéo de présentation du jeu.

Tirer et construire

Plusieurs pistes expliquent la popularité de Battle Royale, selon Pierre-Yves Hurel. « Il s'inscrit dans un genre vidéoludique déjà lui-même très populaire : le jeu de tir, indique-t-il. Il ajoute à cela des mécanismes de construction qui rappellent Minecraft [autre succès incroyable]. Ce qui fait la différence dans Fortnite, c'est de savoir construire des murs, des escaliers, etc., de manière à prendre l'avantage sur votre adversaire. C'est un des éléments qui permettent de développer un style de jeu et une créativité personnelle. »

Jérémie Lefort, 15 ans, joue à Battle Royale « presque tous les jours, mais pas tout le temps ». Ce qui lui plaît dans ce jeu ? « Les build fights [combats de construction], c'est tellement le best ! », répond-il. De quoi s'agit-il ?

« C'est quand deux joueurs se rencontrent et qu'ils commencent à construire pour éliminer l'autre adversaire, détaille l'adolescent. Tu dois construire des murs et des marches pour te protéger et ne pas te faire toucher par l'adversaire. Ils peuvent monter très haut dans le ciel. »

Parties courtes

« La durée des parties n'est pas trop longue et pas trop courte, fait valoir Vincent Dumas, 28 ans, adepte de Fortnite depuis octobre. Il y a de l'action du début à la fin. »

« Quand vous êtes éliminé d'une partie, c'est pour de bon, observe Pierre-Yves Hurel. Vous ne pouvez pas réintégrer la même partie à nouveau. Cet élément ajoute une intensité très forte à chaque instant de jeu, puisque la joueuse ou le joueur sait qu'en cas d'échec, il devra recommencer une nouvelle partie avec de nouvelles personnes. »

Le 21 mai, Epic Games a annoncé que les compétitions de Fortnite allaient être dotées de bourses de 100 millions US en 2018-2019. Cela donne une idée de la forte rentabilité du jeu.

CAMP FORTNITE

L'engouement est tel que des camps de perfectionnement Fortnite pour les adolescents de 12 à 17 ans sont offerts au cours de l'été à l'Académie Esports de Montréal, située boulevard Saint-Laurent. Contre 300 $ par semaine, on promet « entraîneurs qualifiés, interventions d'experts, psychologie sportive et analyse de vidéo ». Avis aux parents : une heure d'activité physique par jour est aussi au menu. Peut-être est-elle consacrée à reproduire les danses de Fortnite...

Image tirée de Fortnite

Dans Fortnite, les personnages se déhanchent, faisant le « floss » et d'autres mouvements.