Les projecteurs sont braqués sur la lutte féminine depuis quelques mois. Pourquoi ? Parce que Netflix présente GLOW, série inspirée des Gorgeous Ladies of Wrestling, une émission culte qui a marqué les années 80. Et voilà qu'on s'intéresse à l'émergence des femmes lutteuses, et à leur croisade pour être reconnues au même titre que les Rougeau, The Rock ou Hulk Hogan. Exploration d'un monde méconnu.

«C'est plus qu'un sport, c'est un mode de vie»On jurerait un délire imaginatif d'un créatif de Netflix qui aurait abusé d'une substance illicite.

Ruth, actrice sous-employée (interprétée par Alison Brie), se rend à une audition pilotée par un réalisateur de séries B, puis se fait engager pour participer à un projet d'émission de lutte à la distribution 100 % féminine. Au fil des épisodes de cette série créée pour Netflix, Ruth et les filles de GLOW, en léotards, en collants et les cheveux crêpés, endossent des alter ego stéréotypés comme Liberty Belle, Beirut, Fortune Cookie, Machu Picchu.

Ruth et ses consoeurs s'entraînent comme si elles se préparaient pour les Jeux olympiques, peaufinant leur personnage et sculptant leurs abdos, s'exerçant à se jeter les unes sur les autres à bout de bras sur le plancher et à se malmener...

Il faut savoir que les Gorgeous Ladies of Wrestling qui ont pris d'assaut Netflix ont fait fureur pendant quatre saisons et 104 épisodes échelonnés de 1986 à 1990. Contre toute attente, ces fausses lutteuses sont devenues des stars du petit écran, invitées à tous les talk-shows de l'époque, et un phénomène de culture populaire spontané.

«Ici, au Québec, on n'a pas connu GLOW, parce que l'émission n'était pas diffusée sur nos écrans. En revanche, il y a eu les Déesses du ring», évoque en entrevue téléphonique le journaliste et spécialiste de lutte Pat Laprade, qui vient de publier (en collaboration avec Dan Murphy) l'ouvrage Sisterhood of the Squared Circle - The History and Rise of Women's Wrestling.

Grâce à la magie de YouTube, il est d'ailleurs possible de retrouver quelques minutes de ces Déesses du ring. Avis aux oreilles sensibles : les commentaires rétrogrades et misogynes écorchent davantage que le crêpage de chignon arrangé avec le gars des vues...

Une vie de lutteuse

Depuis 1997, la Québécoise Wounded Owl LuFisto se produit sur la scène internationale de lutte féminine professionnelle. Vivre de la lutte, dit-elle en entrevue, implique un entraînement draconien, des blessures, être souvent loin de ses proches... «C'est plus qu'un sport, c'est un mode de vie. Si on veut réussir, il faut s'y consacrer à 100 %», explique la jeune femme qui, entre deux galas, a pris un peu de temps pour répondre à nos questions.

C'est vers 14 ans que cette native de Sorel a commencé à développer sa passion pour la lutte.

«Le lutteur Undertaker me fascinait tellement que je ne décrochais plus de mon téléviseur. Grâce à un ami, j'ai découvert les talents féminins comme les Québécoises Vivianne et Luna Vachon. Mais c'est surtout la lutte féminine japonaise qui a attiré mon attention, avec des lutteuses comme Bull Nakano, Akira Hokuto et Mamami Toyoto.»

Passer du temps sur son personnage, dépenser pour des costumes flamboyants, concevoir sa propre marchandise et sa publicité, cumuler du kilométrage, dormir dans des hôtels parfois douteux, dans sa voiture ou sur des planchers d'aéroport... Tout cela fait partie du destin d'une lutteuse, comme le raconte la série GLOW, que Wounded Owl LuFisto a évidemment regardée.

«J'ai aimé la série, surtout parce qu'une de mes partenaires [et parfois adversaire], Awesome Kong [Kia Stevens], y avait un rôle important [celui de Welfaire Queen]. J'aurais toutefois aimé voir plus d'action sur le ring, donc j'espère qu'il y aura une deuxième saison.»

De muscles, de guts et de paillettes

S'ils consacrent à GLOW un généreux chapitre, Pat Laprade et Dan Murphy s'intéressent surtout aux origines et à l'évolution au gré des décennies de la lutte féminine, dans une description historique qui commence avec les amazones de l'Antiquité. Les auteurs rapportent qu'à la fin du XIXe siècle, «les femmes lutteuses défiaient les normes sociales et les notions de la féminité».

À travers plus de 400 pages archi-documentées, on fait la connaissance de véritables pionnières comme Mildred Burke, des Fabulous Moolah, de Mae Young, des catcheuses de side shows qui ont ouvert la voie pour les femmes dans ce sport dès les années 20 et 30. Laprade et Murphy ne sont pas économes en détails, en parlant des alliances (sentimentales, financières, professionnelles) entre managers opportunistes et lutteuses motivées, établissant une parenté entre le monde de la lutte et celui du cinéma. Il y avait même quelque chose de féministe dans tout cela, écrivent les auteurs de Sisterhood of the Squared Circle.

«Les femmes fortes avec du pouvoir et des muscles bien définis devenaient des sex-symbols. Alors que les suffragettes défendaient le droit de vote aux États-Unis, un petit groupe de femmes démontraient que le "sexe faible" pouvait se mesurer athlétiquement contre les hommes, défiant ainsi les rôles de genres établis.»

Si la lutte féminine a longtemps été dans l'ombre, c'est parce qu'il y avait un malaise social à voir deux femmes qui s'affrontent, explique Pat Laprade. «En lutte amateur, par exemple, cela a pris du temps pour qu'il existe une division féminine: c'est seulement en 2004 que les femmes ont pu participer aux Jeux olympiques. Je ne sais pas pourquoi, c'est une vieille mentalité dont on a de la misère à se débarrasser.»

À la lutte comme au théâtre

«Un théâtre extrême.» C'est ainsi que Pat Laprade résume l'essence profonde de la lutte. «Plus que dans toute autre forme d'art, on veut que la foule, que le public interagisse avec ce qui se passe sur le ring. Le but de la lutte, c'est de créer une histoire à travers des combats qui vont donner une émotion et faire réagir la foule.»

Quant aux rapports avec les spectateurs, qui sont partie prenante de ce qui se joue sur le ring, la liberté d'expression est de rigueur. Pourvu qu'un certain sens du décorum soit respecté, comme l'indique la lutteuse Wounded Owl LuFisto.

«Le plus important est le respect. Respect de notre travail, de notre personne en tant qu'athlète qui met son corps en danger chaque fois qu'il monte sur un ring pour procurer émotions et divertissement. Cela dit, les grands amateurs de lutte féminine sont généralement très respectueux.»

PHOTO FOURNIE PAR LE DIFFUSEUR

La parution sur Netflix de GLOW, série inspirée des Gorgeous Ladies of Wrestling, une émission-culte qui a marqué les années 80, a braqué les projecteurs sur la lutte féminine.

Trio infernal au UnityLes cheveux longs s'agitaient dans toutes les directions et les «bitches» et autres mots durs virevoltaient entre les cordes du ring, lors de la première prestation féminine de l'événement Scarred 4 Life.

Il y a deux semaines, le Club Unity tenait à guichets fermés le plus gros gala de l'année de la ligue IWS. Au beau milieu de cette soirée riche en bottes qui frappaient le sol, en expressions de rage et en vols planés, tant sur le ring que dans la foule, un trio aux cheveux longs, aux habits moulants et au maquillage gothique a offert une prestation de rudesse féminine.

La recrue Kathryn Van Goth (d'Hochelaga-Maisonneuve) s'en est prise à la vétérane Stefany Sinclair (originaire du Saguenay), alors que Veda Scott, venue des États-Unis, a elle aussi encaissé les coups des deux Québécoises.

Stefany Sinclair a été proclamée grande vainqueure de ce furieux échange entre une blonde, une rouquine et une brune. Pour le plus grand bonheur des nombreux fans de lutte venus remplir le Unity.

C'est confirmé: l'avenir est prometteur, pour la lutte féminine.

Photo Catherine Lefebvre, collaboration spéciale

Il y a deux semaines, le Club Unity tenait à guichets fermés le plus gros gala de l'année de la ligue IWS.