Bon an, mal an, environ 40 % des Québécois partent en voyage pendant leurs vacances. Les autres restent à la maison, pour des raisons financières (environ le tiers de la population) ou par choix, tout simplement.*

Cette année, Valérie Gauthier et sa fille Adjara, 6 ans, font partie de cette troisième catégorie.

«On a passé les vacances à la maison l'an dernier aussi. Quatre semaines de suite. Honnêtement, c'était mes plus belles vacances à vie», a résumé Valérie Gauthier, assise à la table à manger de son appartement du quartier Hochelaga-Maisonneuve. Pendant ce temps, Adjara jouait avec ses toutous (déguisés en sirène) en écoutant une nouvelle émission du coin de l'oeil.

Pour Valérie, qui est éducatrice en CPE, c'est ça, les vacances: on limite moins le temps d'écran, on fait les commissions le jour même pour le repas du soir (et on achète plus souvent des frites!), on mange à des heures variables... «Pas de stress, très relax, peu de routine», résume Valérie, qui s'apprêtait, ce jour-là, à aller à Brossard avec Adjara pour goûter à la crème glacée de Chocolats favoris. Le duo, qui vient d'emménager dans le quartier, entend découvrir, pendant ses quatre semaines de vacances ensemble, de nouveaux jeux d'eau et de nouvelles piscines et faire quelques sorties excitantes (La Ronde, le Festival de jazz, la plage d'Oka...).

«Pendant l'année scolaire, je trouve qu'on court tout le temps, je vois peu ma fille. Je vais la chercher à l'école, on arrive ici à 5 h. À 7 h, 7 h 30 maximum, elle est couchée. Je partage aussi du temps avec son papa la fin de semaine... Je manque un peu de temps pour me la couler douce avec elle, pour faire ce dont on a envie.»

Mêmes bienfaits?

En matière de vacances, il est évident que les besoins varient d'une personne à l'autre. Certaines ne jurent que par les voyages (décrochage complet de la routine, du travail et des tâches à faire à la maison, découverte de nouvelles choses...). D'autres préfèrent le confort de leur foyer (moins de stress financier, pas de préparatifs, moins de risque d'être déçu...).

Les vacances sont associées à de nombreux bienfaits dans les semaines suivant le retour: augmentation du bien-être, de la créativité, de la performance au travail, diminution des ruminations... Mais obtient-on les mêmes avantages en restant à la maison?

La croyance populaire (sans doute appuyée par l'industrie du tourisme) veut que les vacances passées à l'extérieur de son environnement soient plus bénéfiques sur le plan du bien-être. Mais il s'agit d'une théorie qui est peu appuyée sur le plan scientifique, soulignent des chercheurs finlandais et néerlandais dans une étude publiée en avril dans le Journal of Sustainable Tourism.

Les chercheurs ont comparé l'effet de trois types de répit auprès de 24 travailleurs: un soir de semaine à la maison, un week-end à la maison et un week-end à l'extérieur. Résultat: en matière de plaisir, de bien-être et de fatigue mentale, le week-end à l'extérieur et celui passé à la maison procuraient des bienfaits semblables. N'empêche, pendant un week-end à la maison, les participants avaient moins tendance à s'engager dans des activités sociales et avaient plus tendance à ruminer par rapport au travail et (évidemment!) à faire des tâches ménagères.

«Globalement, les résultats montrent que d'être ailleurs physiquement a des bienfaits qu'on ne peut pas toujours obtenir chez soi», convient David Emmanuel Hatier, candidat au doctorat en psychologie du travail et des organisations à l'Université de Montréal. Par contre, ajoute-t-il, il est possible de tirer son épingle du jeu. «Lorsqu'on est chez soi ou dans sa région immédiate, il y a des façons d'adopter des «patterns» qui sont différents de notre routine quotidienne», souligne le futur psychologue.

«Le facteur distance va jouer beaucoup, mais la distance, ce n'est pas nécessairement juste en kilomètres, ajoute-t-il. C'est un aspect plus psychologique que physique. On peut être à l'autre bout du monde, mais rester très connecté à ce qui se passe dans son quotidien et à son travail...»

Valérie Gauthier, elle, arrive à décrocher. Totalement, dit-elle. «C'est comme une fin de semaine qui s'éternise... Pour moi, c'est l'idéal.»

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* Données fournies par Paul Arseneault, titulaire de la Chaire en tourisme Transat à l'École des sciences de la gestion de l'UQAM

Quatre expériences pour récupérer

Selon David Emmanuel Hatier, la documentation scientifique fait état de quatre expériences qui permettent de récupérer pendant une période de répit : 

1. Le détachement psychologique, c'est-à-dire se détacher mentalement du travail;

2. La relaxation, «caractérisée par un état de faible activation physique et mentale»;

3. Le sentiment de maîtrise, soit l'occasion de relever des défis et d'apprendre autre chose;

4. La maîtrise de son temps libre, c'est-à-dire faire des choses qui ne sont pas imposées.

Quelques conseils pour réussir ses vacances à la maison

Attentes réalistes

Il faut planifier des vacances conformes à nos attentes, à ce qui nous plaît, à ce que nous sommes capables de réussir. «Plus on se met d'attentes élevées, plus on a de chances de les décevoir», souligne Jean-Sébastien Boudrias, professeur en psychologie du travail et des organisations à l'Université de Montréal.

Découvertes

Même si on passe ses vacances dans son environnement habituel, rien n'empêche de sortir des sentiers battus. Pourquoi ne pas visiter un quartier cosmopolite de Montréal? Essayer un sport que l'on n'a jamais fait? «On peut aller rechercher les mêmes bienfaits que si on était à l'étranger», croit David Emmanuel Hatier.

Plaisir

«C'est important, pendant les vacances, de chercher à maximiser le plaisir et la satisfaction, indique David Emmanuel Hatier. Et c'est important, avant, pendant et après les vacances, de minimiser les tracas, les stresseurs. Si on a un gros stress au retour des vacances, c'est dommage, mais l'effet des vacances va s'estomper rapidement.»

Pas de courriels?

Certains peuvent ressentir le besoin de décrocher de leurs courriels, voire de leur téléphone cellulaire, mais ça dépend de la situation de chacun. «Les gens qui ont une conception plus flexible du temps vont probablement être moins importunés par le fait que ce ne soit pas un décrochage total», indique Jean-Sébastien Boudrias.

Photo Bernard Brault, La Presse

Valérie Gauthier et sa fille Adjara, 6 ans, passent leurs vacances estivales à la maison.

Le «staycation», une mode?Les vacances à la maison ont toujours existé, mais le terme «staycation» - un mot-valise formé par les mots «stay» (rester) et «vacation» (vacances)  - est apparu en 2003 sous la plume d'un journaliste américain. Deux ans après les attentats terroristes du 11 septembre 2001.

«Le premier boom du "staycation", ç'a été à la suite des attentats de 2001, indique Paul Arseneault, titulaire de la Chaire en tourisme Transat à l'École des sciences de la gestion de l'Université du Québec à Montréal (UQAM). Dans les mois qui ont suivi, les Américains n'ont plus voulu sortir des États-Unis, n'ont plus voulu sortir de la maison.»

Dès lors, note Paul Arseneault, on a vu apparaître une industrie qui est très, très forte aujourd'hui : celle du cinéma maison, du «home-staging», du jardinage... L'industrie entourant la maison, quoi.

«Dans les Home Depot et les Canadian Tire de ce monde, il y a des meubles de jardin, des barbecues, le kit de patio... C'est le paradis du "ne partez pas en vacances, les amis"», résume Paul Arseneault.

Son collègue Benoit Duguay, professeur au département d'études urbaines et touristiques de l'UQAM, abonde dans le même sens: «Est-ce que le "staycation" est devenu une mode, qui irait un peu avec le "coconnage"? Est-ce que ça ne fait pas chic de dire: "Je reste chez moi"?»

Dans une société de performance où la famille n'est plus ce qu'elle était, les vacances à la maison répondent sans doute à un besoin de relaxer et de se rassembler, croit Paul Arseneault.

«Pendant une période X, il n'y aura pas d'aquaforme, pas de soccer, pas de baseball, pas de gymnastique. On va rester dans cette maison-là, qui coûte d'ailleurs de plus en plus cher».

Paul Arseneault souligne que le «staycation» demeure moins populaire auprès de la génération Y, friande de voyage.

Mode ou pas, besoin ou pas, ce ne serait pas étonnant que bon nombre de Québécois réduisent leurs budgets de vacances dans les prochaines années, croit Benoit Duguay. «Si les taux d'intérêt montent [NDLR: la Banque du Canada a relevé il y a trois semaines son taux directeur, ce qui entraîne une hausse des taux d'intérêt], avec les taux d'endettement actuels, les gens vont avoir de la difficulté à respecter leurs obligations financières. Dans un contexte comme celui-là, ce ne serait pas surprenant de voir les gens annuler leurs vacances. On va appeler ça du "staycation", mais en réalité, ce sera du "no vacation".»

Photo Thinkstock

Dans une société de performance où la famille n'est plus ce qu'elle était, les vacances à la maison répondent sans doute à un besoin de relaxer et de se rassembler, croit Paul Arseneault.