Que penser d'un médecin qui fume, d'un psychologue en détresse ou d'un prof de français qui ne maîtriserait pas bien... sa grammaire, ses conjugaisons, bref, sa langue et sa matière ? Si, comme nous, vous êtes prompt à juger, lisez ceci. La parole aux cordonniers mal chaussés.

Vous la connaissez certainement. Très présente dans les médias, la sexologue Sylvie Lavallée observe, analyse et conseille les couples québécois depuis des années déjà. Son jugement est simple, clair, net et précis. Elle dit tout haut ce qu'on pense souvent tout bas, analysant la sexualité des gens avec un franc-parler qui fait du bien. Bref, en matière d'intimité, on sent qu'elle s'y connaît.

Or voilà qu'elle vient de publier un ouvrage (Êtes-vous en santé sexuelle ?) à l'intérieur duquel, en guise d'introduction, elle fait une confidence qui pourrait surprendre bien des gens. C'est que, pendant neuf ans, elle a été avec un « plan B » : « une relation stable et confortable », loin de la « relation amoureuse épanouissante » que prêche pourtant l'auteure d'Avez-vous la bonne attitude sexuelle ? « Vers la fin de cette relation, j'avais presque le syndrome de l'imposteur. »

Cordonnière mal chaussée ? « Mal matchée, nuance-t-elle en entrevue. Vous savez, on enseigne le mieux ce qu'on a le plus besoin d'apprendre. » Et elle est loin d'être la seule.

« Il y a des thérapeutes incapables d'être en couple, ou d'assumer leur orientation sexuelle ! »

- Sylvie Lavallée, sexologue clinicienne, psychothérapeute et auteure

Est-ce que ça nuit à leur crédibilité ? « Il y a la profession, le métier, qu'on fait du mieux qu'on peut, répond la principale intéressée, mais à un moment donné, le professionnel est aussi une personne ! »

À sa décharge, n'y a-t-il pas là quelque chose de rassurant, à savoir que même les personnes les mieux outillées du monde peuvent, elles aussi, en arracher dans leur intimité ? Elle acquiesce. « Je ne suis pas parfaite ! Et tant mieux si ça m'humanise ! »

Évidemment, parfois, cette « humanité » est moins sympathique (l'été dernier, un propriétaire d'une entreprise de raccompagnement a été arrêté pour conduite en état d'ébriété, rapportait Le Soleil) voire carrément tragique (une collègue a déjà raconté dans nos pages le parcours d'une art-thérapeute... en psychose). Mais reste que les cas de cordonniers mal chaussés ont tendance à faire généralement sourire. Dernièrement, le collègue Alain de Repentigny révélait que Bernard Derome, animateur du Téléjournalpendant 30 ans, a toujours préféré la radio à la télé !

FAITES CE QUE JE DIS, PAS CE QUE JE FAIS...

Des histoires de clowns tristes, il y en a à la pelle. Claude St-Laurent en est un bel exemple. Professeur d'éducation physique au secondaire, l'homme de 48 ans pesait plus de 140 kg il n'y a pas si longtemps. « De 25 à 47 ans, j'ai pris 2 kg par an. Ça a duré 20 ans », résume l'ex-nageur de compétition, également fondateur du club de waterpolo de Longueuil.

Il ne se le cache pas : un prof de sport obèse, ça choque. « Les gens s'attendent à ce que tu sois plus en forme à cause de ta profession. » En classe, le regard sceptique de ses élèves pesait lourd, parfois.

« Est-ce qu'il va être capable de m'en montrer, lui ? Est-ce qu'il sait de quoi il parle ? »

- Claude St-Laurent

La réponse ? Oui. « Je faisais les activités avec eux, dit-il, je pouvais leur en montrer, donc les gens avaient du respect. »

C'est finalement un commentaire de sa fille, gênée qu'il aille la chercher, qui lui a donné le coup de pied au derrière nécessaire pour qu'il se (re)prenne en main. « Ç'a été un gros déclic », confie l'homme, qui a participé à l'émission Maigrir pour gagner à Canal Vie, et qui a complètement changé ses habitudes de vie depuis. Finies les sucreries, les pâtes et les boissons, place aux légumes verts, à l'eau et aux (plus) petites portions.

Quarante kilos en moins plus tard, il ne pense pas être un enseignant plus compétent pour autant. « Mais je pense que je suis plus allumé, dit-il. Avec mon surplus de poids, j'étais très compatissant avec mes élèves. Maintenant [en matière de poids], je peux mieux les orienter. » Son avis ? Avant de juger, dit-il, rappelez-vous ceci : « On a tous une vie. Avec des forces et des faiblesses... »

EST-CE QUE JE SUIS VRAIMENT À MA PLACE ?

Nous l'avons croisée au Salon de l'amour, Place Bonaventure, le mois dernier. Une jeune intello à lunettes surdimensionnées, qui n'avait pas du tout le profil de l'emploi. Debout devant un présentoir de jouets sexuels roses, mauves, et surtout vibrants, elle nous a confié spontanément : « moi, j'étudie en neurosciences, et mon chum n'aime pas du tout les jouets, alors... » Pour les appréciations, on repassera.

Du haut de ses 20 ans, Athéna (elle a choisi de taire son vrai nom) est aussi le « bébé » de la boutique érotique québécoise où elle travaille depuis l'été et, paradoxalement, la meilleure vendeuse de l'heure.

« J'ai pris un mois pour tout lire sur tous les produits », confie la jeune femme studieuse et cérébrale (qui connaît aussi le site de sa boutique par coeur), qui a troqué un boulot de caissière chez IGA pour faire de la démonstration de vibrateurs, crèmes et autres masturbateurs à domicile.

Vrai, parfois, pour convaincre une cliente, elle ment, cachant son inexpérience. Mais, la plupart du temps, elle répond tout simplement scientifiquement : « c'est impossible de tout essayer, et même si j'avais tout essayé, ça ne veut pas dire que ce que je ressens va s'appliquer à toi », dit-elle, exemples de distances de point G, longueurs de clitoris et autres sensibilités variables à l'appui.

« Si je n'étudiais pas en neurosciences, se serait différent. Les gens se disent : c'est une experte des nerfs ! »

- Athéna, 20 ans, vendeuse dans un sex shop

N'empêche qu'à sa formation, elle avoue s'être sentie « tellement pas à [sa] place », rit-elle. « C'était toutes des madames qui avaient tout essayé, et moi, j'ai juste 20 ans et j'ai rien vécu ! »

Étrangement, cette inexpérience est plutôt un avantage, croit-elle. Car comme elle n'a pas d'avis préconçu sur les jouets, crèmes et autres lubrifiants qu'elle propose, elle est d'autant plus à l'écoute de tous les commentaires qu'elle reçoit. Et Dieu sait si les femmes (parce que oui, sa clientèle est très majoritairement féminine) sont différentes dans ce domaine. « Je pense que ça fait de moi une meilleure vendeuse, parce que je suis beaucoup plus objective ! », dit-elle.

Cordonnière mal chaussée ou pas, qu'importe ? « Je connais mes produits de A à Z », sourit-elle.

À la défense des cordonniers

Les médecins ont-ils le droit d'être malades ? Et les psychologues, déprimés ? Bien évidemment. Malgré toutes leurs qualités, ils ne sont pas moins humains que les autres. Deux experts se prononcent.

Aider les médecins à s'aider

Laurent Marcoux, président désigné de l'Association médicale canadienne : 

Dépressions, épuisements professionnels, suicides, la santé des médecins est une réelle « préoccupation », affirme sans détour Laurent Marcoux. Est-ce à cause de la pression quotidienne, de la nature même du travail qui les met en contact constant avec des gens souffrants, ou des longues heures exigées, toujours est-il que le médecin est un cas type de cordonnier mal chaussé.

« Le cas type, c'est le médecin qui ne prend pas le temps de s'occuper de lui. Qui se néglige, qui se dit que ça va passer, ou qui compense avec de l'alcool, des drogues ou de l'automédication. Qui fait de l'autodiagnostic et de l'automédication. »

Eh oui, c'est préoccupant, dit-il, parce que bien évidemment, le cas échéant, ce médecin est sans doute moins « efficace ». Mais au lieu de les condamner, Laurent Marcoux souligne à quel point il est important que les médecins, eux aussi, s'occupent de leur santé. « Il faut trouver les moyens de supporter nos médecins, dit-il. Le système devrait permettre que les médecins soient capables de se reposer ! Parce qu'on n'a pas une constitution physique et mentale différente. On est des humains ! Nous aussi, on a d'autres exigences que professionnelles. On a des conjoints, des enfants, une famille élargie. Pourquoi soumettre des gens à des stress majeurs de 24 à 48 heures et leur demander d'être aussi performants le lendemain ? À un moment donné, il y a des limites... »

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« On est des êtres humains ! »

Christine Smilga, psychologue, auteure d'un article sur la santé psychologique des psychologues, pour le compte de l'Ordre des psychologues : 

Dans un article publié par Psychologie Québec (Le bien-être psychologique du psychologue), on apprend que les psychothérapeutes ne mettent pas toujours en application les conseils qu'ils donnent à leurs clients, que les psychologues sont d'importants consommateurs de services psychothérapeutiques et que l'Ordre offre même un service aux psychologues aux prises avec des problématiques de suicide. La question est carrément posée : cordonniers mal chaussés ?

« En devenant psychologue, on n'est pas vacciné contre la détresse ! »

« On est des êtres humains, donc on a des périodes difficiles, répond la psychologue, qui signe un article dans le dossier en question. Parce que même si on est outillé, ça ne veut pas dire qu'on va éradiquer la détresse. »

Est-ce si surprenant ? Les psychologues, aussi, se séparent, divorcent et en arrachent.

Paradoxe de la profession : un bon clinicien se doit d'être sensible, « et sa sensibilité fait qu'il peut être souffrant, d'autant plus souffrant ! »

Certains pourront en prime souffrir de « fatigue de compassion » ou encore de « burn-out de compassion », propre à leur profession. « Être traumatisé d'entendre des histoires épouvantables, ça peut être typique des psychologues », poursuit Christine Smilga.

« Ce n'est pas parce que le psychologue a des difficultés dans son couple qu'il ne fera pas un bon thérapeute », fait-elle valoir, soulignant au passage qu'il est toujours plus facile de voir clair dans la vie d'un autre que dans la sienne.

Conclusion ? « On ne peut pas s'attendre à ce qu'un psychologue soit un être irréprochable, tranche-t-elle. Cela fait partie de notre qualité d'être humain. Ce n'est pas une anomalie, vivre de la souffrance. Cela fait partie de la condition humaine ! »