Peut-on faire un lien entre une visite chez le coiffeur et la prévention de la violence conjugale? Absolument, croient les autorités de l'État de l'Illinois, aux États-Unis. Car sur la chaise du salon, entre une coloration et une mise en plis, les confidences sont parfois sombres...

Tant et si bien que des organismes d'aide aux victimes de violence conjugale ont convaincu les autorités de l'Illinois d'instaurer un programme de formation obligatoire des coiffeurs, esthéticiennes, manucures et pédicures. Le cours d'une heure leur permettrait de déceler les signes de détresse chez leurs clients qui pourraient être victimes de violence conjugale.

«Évidemment, en une heure, on n'a pas le temps d'en dire beaucoup. On en profite pour définir ce qu'est la violence domestique. Parce qu'on n'est pas à la recherche de bleus sur les clients: parfois, la violence est financière, verbale, émotive... Ces choses ne sont pas visibles», explique Kristie Paskvan, fondatrice de Chicago Says No More.

Cet organisme se consacre à la prévention de la violence conjugale et fait partie des groupes accrédités par l'État pour donner la formation. L'objectif est de permettre aux professionnels de l'industrie de déceler une situation potentiellement problématique, et surtout d'aiguiller un client en détresse vers les bonnes ressources.

Au cours des deux prochaines années, tous les professionnels de l'industrie devront obligatoirement suivre cette formation, sans quoi ils ne pourront pas renouveler leur permis de travail. 

«C'est important, parce que la violence conjugale est encore très taboue. Tout le monde peut en être victime, pourtant. Quand on voit toujours la même coiffeuse toutes les six semaines depuis des années, c'est le genre de contexte où l'on peut se confier. Mieux vaut alors outiller ces professionnels.»

Elle illustre alors ces propos par une situation vécue par une coiffeuse qui vient de suivre cette formation: «Une de ses clientes était mariée à un homme qui ne lui donnait aucune liberté financière. Il exerçait un contrôle total sur elle. Il regardait toutes ses factures. Pour avoir de l'argent, elle achetait le plus gros format de détergent à l'épicerie, présentait la facture à son mari, puis échangeait le détergent au magasin pour une boîte plus petite. Elle arrivait de cette façon à se faire ses propres économies, avec la différence de prix entre les deux boîtes.»

Pas question toutefois d'obliger les coiffeurs ou les esthéticiennes à signaler des situations qu'ils jugent inquiétantes. La nouvelle règle a uniquement pour objectif de diffuser de l'information qui pourrait aider les victimes potentielles. «Les études démontrent que ça prend environ une trentaine d'événements agressants pour qu'une personne aille chercher de l'aide. Il faut être réceptif quand il y a des confidences...», note Mme Paskvan.

Et au Québec?

Au Québec, les professionnels en coiffure et en esthétique n'ont pas à se procurer un permis de travail spécifique pour exercer leur métier. Une pareille règle serait donc difficile à appliquer. Dans la formation des futurs coiffeurs et coiffeuses, les enseignants portent toutefois une attention particulière à la relation avec la clientèle, assure Sylvie Chartrand, directrice de la formation professionnelle à la commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, à Montréal. «Des initiatives comme celle [de l'Illinois] portent à réflexion, dit-elle. Par contre, tout au long de leur formation, nos jeunes apprennent ce que c'est, la confiance, l'écoute. C'est ça, être un coiffeur: on développe toute une relation humaine avec le client.»

Elle explique que les enseignants du programme de coiffure sont des professionnels d'expérience qui font partager leur vécu aux élèves, souvent encore adolescents. Parmi ces formateurs, Jacinthe Pilon, conseillère pédagogique et ex-propriétaire d'un salon, croit pour sa part que c'est «l'expérience de vie» qui lui a permis de poser les bons gestes lorsque ç'a été nécessaire. «Oui, j'ai déjà eu des confidences... Quand il fallait que je pose une action, c'était comme un devoir de citoyen pour moi. C'est comme ça que je le voyais.»

Les apprentis coiffeurs qui obtiennent un diplôme d'études professionnelles consacrent 1455 heures à leur formation. «C'est plus que juste couper des cheveux, précise Mme Pilon. On écoute et, parfois, on aide les gens à cheminer. On n'est pas formés pour poser des diagnostics. » Elle ajoute que c'est justement cette réceptivité qui fait le succès des coiffeurs, en général. «On va voir des coiffeurs qui ne font rien d'éclatant et ils vont avoir une bonne clientèle parce qu'ils écoutent. C'est la beauté de ce métier: travailler avec l'humain!»