La mère parfaite qu'on croyait disparue serait de retour, mais sur les réseaux sociaux, écrit le quotidien français Le Monde. Toujours souriante, mince et sportive, la mère parfaite réussit entre deux réunions à préparer de délicieux muffins maison et à organiser de beaux anniversaires. Ses enfants sont adorables. Mais la mère parfaite existe-t-elle vraiment ?

LA FAUTE DES RÉSEAUX SOCIAUX ?

Les images sur Instagram de blogueuses comme Naomi Davis (lovetaza.com), Joanna Goddard (cupofjo.com), la célèbre Mimi Thorisson (mimithorisson.com) ou même, plus près de nous, Marilou avec Trois fois par jour peuvent nous donner des complexes.

Ces femmes, toujours bien habillées, semblent nager dans le bonheur entre leurs enfants et leurs mille et une activités que l'on voit défiler sur leurs belles photos : promenades dans New York, baignades joyeuses, bricolages splendides et recettes merveilleuses. Elles sont parfaites, se dit-on en chuchotant, puis on se ravise, en se disant que ce n'est pas la réalité.

« Ç'a été long avant que je comprenne que je ne pouvais pas être parfaite. »

- Marja Monette, auteure du blogue La parfaite maman imparfaite

Selon Marja Monette, auteure du blogue La parfaite maman imparfaite, professeure au collège Ahuntsic et mère de deux enfants, la mère parfaite n'a jamais disparu, elle est simplement plus présente que jamais à cause des médias sociaux. Elle remarque qu'on ne voit jamais de maisons en désordre alors qu'elle vit, dit-elle, dans un heureux bordel ! « On est dans une société où l'image est de plus en plus importante. On se compare aux autres, on veut être dans la mouvance, se dépasser... », souligne-t-elle.

Selon Martine Delvaux, professeure à l'UQAM, écrivaine et mère, on a tendance à blâmer les réseaux sociaux parce qu'il y a une diffusion d'images beaucoup plus grande et rapide et que tout est très accessible. Mais la mère parfaite a toujours existé. « Est-ce pire maintenant que ce qu'on voyait dans les films des années 50 et 60 ? », s'interroge-t-elle. L'auteure soulève la question du consumérisme qui était déjà présent après la Seconde Guerre mondiale quand les réfrigérateurs, aspirateurs et lave-vaisselles ont fait leur entrée dans l'espace domestique. « Aujourd'hui, c'est plus sophistiqué, mais on vend aux mères via ces différents blogues beaucoup de produits très attrayants. »

Virginie Duplessy, 39 ans, Française, mère de deux enfants et auteure de La mère parfaite est une mytho, estime qu'on donne toujours la meilleure image de soi sur les médias sociaux.

Mais que cet idéal est bien difficile à atteindre dans la vraie vie. « On ne peut pas avoir des enfants qui sont assortis au canapé et un intérieur tout droit sorti d'un magazine ! Ou alors ce sont des mères obsédées du contrôle ? C'est très narcissique, tout ça. Je ne peux pas imaginer qu'elles existent vraiment, ces mères-là ! », s'exclame-t-elle. Mais existent-elles vraiment, ces mères aux allures parfaites, ou est-ce l'effet des médias sociaux ?

Selon Camille Froidevaux-Metterie, professeure de sciences politiques et auteure de La révolution du féminin (éditions Gallimard), le vrai problème est la visibilité médiatique de ce modèle de maternité qui est aussi un produit marketing d'images idéalisées. « Ces femmes sont aussi les propagatrices de cette perfection, car elles s'approprient ces images en se mettant elles-mêmes en scène, sur Instagram, dans des situations de mères idéales. Des images qui sont terriblement culpabilisantes et déprimantes pour les autres mères normales », dit-elle.

LA PRESSION DE LA PERFORMANCE

Au-delà des médias sociaux, le désir de perfection est bel et bien présent dans le merveilleux monde de la maternité.

On souhaite le meilleur pour nos enfants, on veut avant tout qu'ils soient heureux... et qu'ils excellent dans tout. « C'est un sport national, la performance parentale ! Qui est le meilleur parent ? La meilleure mère ? Le meilleur enfant ? Qui réussit le mieux à l'école et dans les trop nombreuses activités ? », lance Odile Archambault, auteure du blogue Maman a un plan.

« J'avoue que ça m'angoisse et ça me dérange de penser aux attentes envers les parents, les parents omniprésents, les mères qui préparent les meilleurs repas avec les meilleurs aliments... »

- Odile Archambault

« Les super-mères. On entend beaucoup de mères qui se sentent coupables parce qu'elles ne font pas de tartes le dimanche après-midi. Pourquoi se met-on cette pression ? C'est ça, notre époque ? », s'inquiète-t-elle.

Pour la psychologue et auteure Nathalie Parent, ce désir de perfection a toujours existé. « Dans notre ère de performance actuelle, être la meilleure mère possible fait partie de nos souhaits les plus profonds, estime-t-elle. Faire mieux que notre mère, c'est ce qu'on entend souvent, ça nous pousse à nous dépasser, mais en même temps, il y a un piège. » Nathalie Parent estime qu'on idéalise sa mère et qu'on a une image en tête qu'on veut améliorer, mais une image, ce n'est pas réel.

UNE QUESTION CONTEMPORAINE

De son côté, Camille Froidevaux-Metterie, auteure de La révolution du féminin, pense que la question de la mère parfaite est très contemporaine. « Quand les femmes n'étaient que des mères, elles n'avaient pas à réfléchir entre leur vie sociale, leur vie professionnelle et leur vie privée. Elles n'avaient pas à faire de compromis ni de sacrifices, elles étaient dévouées à leur condition maternelle et domestique. La question de la mère parfaite vient avec l'émancipation féminine et la féminisation du travail, avec le fait que les femmes sont devenues des individus qui, désormais, travaillent. Le grand défi repose sur cette dualité. Il y a un soupçon sur la capacité des femmes à assumer leur condition maternelle tout en travaillant », dit-elle.

TOUT MENER DE FRONT

Est-ce que les femmes craignent de ne pas pouvoir tout mener de front ? Sont-elles trop exigeantes ? Oui, répond Camille Froidevaux-Metterie, sans hésiter. « Les attentes sont élevées et les femmes portent tout sur leurs épaules. Nous expérimentons encore cette condition nouvelle de mère et de femme qui travaille, avec son lot d'insatisfactions, de culpabilité et d'inquiétudes », dit-elle.

L'auteure Martine Delvaux partage ce point de vue. Selon elle, les femmes doivent être performantes au travail, mais aussi à la maison. « La conciliation travail-famille n'a pas suivi, il faut s'occuper de tout, de la maison, des enfants, de la cuisine et la pression est forte, et les burn-out existent. »

« Les féministes sont là, elles critiquent ce poids qu'on fait porter aux femmes d'être des procréatrices et éducatrices impeccables, explique Martin Delvaux. Malgré le mouvement de mères indignes, ce qui sous-tend encore aujourd'hui dans la culture dans laquelle on vit, c'est cette obligation que portent les femmes d'être sans tâches et parfaites. »

LA TYRANNIE DU BONHEUR

Enfants et vie domestique doivent rimer avec bonheur. Même après le mouvement des mères indignes et imparfaites qui décrivaient le quotidien chaotique des mères de famille avec humour, il reste qu'il y a une pression à profiter pleinement du bonheur que procurent les enfants.

« "Ne te plains pas, tu as deux beaux enfants en santé ! Tu as de la chance !" Et moi, là-dedans ? Ça devient difficile pour certaines mères de dire : " Je ne vais pas bien ", souligne Odile Archambault, auteure du blogue Maman a un plan. La dépression post-partum est encore taboue. J'en ai fait une après mon premier accouchement, mais c'est difficile de décrire toute la honte que je ressentais parce que je devais être heureuse et que je ressentais une grande détresse. »

Selon Marja Monette, auteure du blogue La parfaite maman imparfaite, les femmes ont de la difficulté à demander de l'aide, car il y a une certaine peur à avouer ses faiblesses.

« Vous en connaissez beaucoup, des mères qui avouent être épuisées ? Il ne faut rien laisser paraître et faire croire que tout va bien, que son bébé fait ses nuits, que l'allaitement va bien, et que c'est le bonheur même si vous ne dormez plus depuis plusieurs nuits. »

- Marja Monette

Il y a une forme de valorisation sociale de la maternité et des valeurs qui sont associées, soutient Camille Froidevaux-Metterie, mère de deux enfants. « Il y a une exaltation de cette condition. Maintenant qu'avoir des enfants est un choix libre, il est présenté comme un accomplissement absolu, comme un accomplissement de la condition féminine. »

« Moi-même, j'ai été recrutée à mon premier poste à l'université en même temps que la naissance de mon premier enfant et tout le monde me disait :  "C'est merveilleux" alors que je vivais un vrai cauchemar ! explique-t-elle. C'est là que j'ai pris conscience de cette double injonction à la perfection. Il fallait aux yeux du monde que je me réjouisse ! »

Odile Archambault, auteure du blogue Maman a un plan, croit que plus une femme a d'enfants, et plus, aux yeux de la société, elle est une mère de qualité. « C'est simple, si elle a quatre ou cinq enfants, c'est vraiment quelqu'un de bien et, surtout, une femme heureuse. Comme si le nombre d'enfants était signe de générosité et de bonheur ! », lance-t-elle.

Le club des Supers Moms

L'animatrice et femme d'affaires Claudia Ébacher, mère de deux adolescents, a lancé le mois dernier Le Club des Supers Moms, une plateforme web qui se donne pour mission de faire rayonner toutes les Supers Moms du Québec. « Je souhaite créer un sentiment d'appartenance pour toutes les mamans du Québec », lance Claudia Ébacher.

Qu'est-ce qu'une Super Mom ? « C'est une mère héroïque, humaine, elle soigne les petits et grands bobos de ses enfants, de sa voisine, de son chum et de ses amis. Une maman, ça en fait beaucoup dans une journée ! », dit-elle.

Un concours a été lancé et une Super Mom est élue chaque mois. Puis, les finalistes des 12 mois se qualifient pour le titre de la Super Mom de l'année. « Je ne vois pas ça comme une concurrence entre mères, au contraire, c'est pour les mettre en valeur, les faire connaître et en plus les gâter avec des cadeaux. » Selon elle, la Super Mom n'est pas une mère parfaite. « Elle fait des erreurs, elle peut avoir des difficultés, être épuisée, car elle est humaine avant tout. »