Philippe a tout de suite senti que son choix était hors norme. Selon le Conseil du statut de la femme, le quart des hommes québécois restent à la maison au-delà des cinq semaines réservées aux pères. Philippe affirme que c'est une excellente façon d'apprivoiser la paternité. Il se souvient de sa première journée : « Je viens de courir avec mon fils et je réalise que son dîner n'est pas prêt. Je n'ai pas pris de douche, j'ai faim... Ça ne marche pas ! Ça m'a pris une semaine pour me roder. »

Avant de mettre sa carrière en veilleuse, Philippe se heurte à de nombreux clichés. Des collègues lui souhaitent bonne chance avec les couches. Certains amis lui disent qu'il ne sortira plus. Lui-même a peur de se sentir exclu de la société : « Finalement, je n'ai pas ressenti de solitude. C'est certain que le soir, j'étais plus sur Facebook qu'à l'habitude. Mais c'est quand même quelque chose, le développement d'un enfant... Ça me stimulait. »

Pendant son congé, Philippe s'entraîne deux fois par jour. Il court avec Mathéo pendant les siestes. L'objectif est de couronner son congé avec un Ironman, ultime épreuve de triathlon. « C'était ma façon de garder l'équilibre, de ne pas juste être un père à la maison, raconte-t-il. Les gars du club sportif me disaient d'oublier les records personnels avec un bébé. Au contraire, ça m'a motivé à me dépasser. » Il s'inscrit au Ironman de Mont-Tremblant. Le triathlète s'est tellement entraîné avec son fils qu'il se sent léger sans poussette. Il fracasse ses records malgré une température de 35 °C.

La réaction de certains hommes étonne Philippe : « Les gars te font moins de commentaires. Ils t'en passent après, quand il n'y a pas de témoins. » Certains sont envieux, mais d'autres ne s'imaginent pas au foyer. L'économiste Ankita Patnaik a étudié les effets du Régime québécois d'assurance parentale dans le cadre de son doctorat à l'Université Cornell. Elle observe que les hommes qui se prévalent d'un congé de paternité de cinq semaines s'impliquent davantage dans la vie familiale. Philippe est convaincu qu'un nouveau père gagne à passer du temps seul avec son enfant. Selon lui, c'est une immersion dans la parentalité.

RETOUR AU TRAVAIL DIFFICILE

Les mois passent et la complicité entre Philippe et son fils s'installe. Le retour au travail approche. « J'avais entendu dire que les mères pleuraient à la première journée de garderie. Je les jugeais un peu ! Finalement, quand je suis allé conduire Mathéo, je suis revenu à vélo les larmes aux yeux », se souvient Philippe. La séparation était pénible ; il venait de passer cinq mois auprès de son fils.

Le retour au travail a été difficile. Il a vite compris que son absence avait ébranlé sa carrière. Le professionnel des communications et du marketing avait pourtant organisé son départ. Mais à son retour, certains collègues contrôlaient ses dossiers. « J'ai senti ce que les femmes vivent quand elles partent un an », se souvient Philippe, qui perdait sa place dans l'organisation. « Je me suis fait un plan de match. J'ai tourné mon énergie vers ma famille, vers mon sport. » Il a décidé de changer d'emploi et ne nourrit aucun regret. La petite enfance de son fils « ne passera qu'une seule fois ».

Avant le long congé de Philippe, sa conjointe lui faisait un compte rendu quotidien de la progression de Mathéo. Maintenant, il le connaît intimement. « Ça prend une patience, que tu aimes ça, que tu sois bien. Il faut accepter que l'enfant ait le contrôle parfois. Mais quand tu es avec lui chaque jour, tu vois les petits changements dans son attitude, dans ses comportements. Et je pense que lui aussi, il apprend à être avec toi », dit Philippe. Une complicité qui fait la fierté du père, mais qui est déjà source de réconfort pour le fils.

Photo Martin Ouellet, collaboration spéciale

« Ça prend une patience, il faut que tu aimes ça, que tu sois bien. Il faut accepter que l’enfant ait le contrôle parfois », affirme Philippe Jacques.

Photo Martin Ouellet, collaboration spéciale

Philippe Jacques a étiré de cinq semaines à cinq mois son congé parental, une expérience qu'il juge bénéfique tant pour le père que pour l'enfant.