« Tu es féministe, tu sais. »

L'écrivaine Chimamanda Ngozi Adichie avait environ 14 ans la première fois qu'on l'a qualifiée de féministe.

À l'époque, elle n'avait qu'une vague idée de ce que cela voulait dire. Mais à en juger par le ton employé par l'ami qui lui a lancé le mot au cours d'une discussion enflammée - « le même ton qu'on emploierait pour accuser une personne de soutenir le terrorisme » - elle a compris que ce n'était pas exactement un compliment.

L'anecdote racontée dès la première page du livre Nous sommes tous des féministes (Folio, 2015) donne le ton. Avec humour, éloquence et une approche pratico-pratique, l'auteure nigériane y livre un joyeux plaidoyer féministe que la ministre Lise Thériault gagnerait à lire. Beyoncé l'a popularisé en reprenant des extraits de la conférence TEDX d'Euston qui a précédé le livre de Chimamanda Ngozi Adichie. La vidéo de son discours prononcé en anglais a été vue plus de 2,5 millions de fois.

Couché sur papier, le discours est devenu un best-seller. Le genre de petit livre qu'on trouve près de la caisse, aux côtés des revues à potins et de tous ces magazines qui nous disent comment être belles et minces en 10 étapes faciles. La différence, c'est qu'il s'agit là de 3,95 $ bien investis. Et la traduction française inclut, en plus d'une réjouissante réflexion sur le féminisme, une nouvelle intitulée Les marieuses qui raconte la désillusion d'une jeune Nigériane qui quitte son pays pour aller rejoindre le mari que l'on a choisi pour elle à New York.

En Suède, on a eu la très bonne idée d'offrir gratuitement le livre de Chimamanda Ngozi Adichie à tous les jeunes de 16 ans. On souhaite qu'il serve de base à des discussions sur l'égalité et le féminisme. Une excellente initiative qui mériterait d'être reprise dans nos écoles, que ce soit avec ce texte ou d'autres textes d'ici et d'ailleurs portant sur l'égalité hommes-femmes.

Certains trouveront peut-être étrange qu'un livre portant sur l'Afrique puisse éclairer le débat sur les droits des femmes en Suède, un des pays les plus égalitaires du monde. Il va sans dire que l'histoire des femmes à Lagos est bien différente de celle des femmes de Stockholm ou de Montréal. Il reste que ces histoires particulières mises bout à bout racontent aussi une histoire universelle qui concerne tout autant les hommes que les femmes.

« Partout dans le monde, la question du genre est cruciale », souligne l'écrivaine qui partage elle-même sa vie entre les États-Unis et son Nigeria natal. Et partout dans le monde, le terme « féministe » reste chargé de connotations négatives. On associe encore le féminisme à la haine des hommes ou au désir de les écraser, à un manque d'humour ou d'élégance. Au Nigeria, on a conseillé à Chimamanda Ngozi Adichie de laisser tomber l'étiquette. Car s'y dire féministe, c'est risquer d'être considérée comme une femme qui est malheureuse, faute d'avoir trouvé un mari. « J'ai donc décidé d'être désormais une Féministe Africaine Heureuse qui ne déteste pas les hommes, qui aime mettre du brillant à lèvres et des talons hauts pour son plaisir, non pour séduire les hommes », lance l'auteure sur un ton ironique.

Le féminisme qu'embrasse Chimamanda Ngozi Adichie est d'abord et avant tout une manière de vivre. C'est une manière d'observer le monde aussi et de le remettre en question. « J'ai plus appris en observant les femmes sur les marchés au Nigeria qu'en lisant sur le féminisme », disait-elle récemment dans une entrevue accordée au quotidien Le Monde.

Pour Chimamanda Ngozi Adichie, est féministe toute personne, homme ou femme, qui reconnaît que la question du genre pose problème et que nous devons régler ce problème. Dans la lutte pour l'égalité hommes-femmes, les changements politiques et législatifs sont bien sûr importants. « Mais notre attitude et notre mentalité le sont encore plus », note l'écrivaine.

Comment agir sur les attitudes et les mentalités ? Par l'éducation, d'abord et avant tout. « Notre façon d'éduquer les garçons les dessert énormément », écrit Chimamanda Ngozi Adichie, en faisant référence aux garçons nigérians. « Notre définition de la virilité est très restreinte. La virilité est une cage exiguë, rigide, et nous y enfermons les garçons. » En les convainquant que la dureté est une obligation, on les laisse avec un ego très fragile.

Pour les filles, c'est pire encore. « Nous apprenons aux filles à se diminuer, à se sous-estimer. Nous leur disons : Tu peux être ambitieuse, mais pas trop. » Là encore, Chimamanda Ngozi Aidichie fait référence aux filles nigérianes. Mais impossible de ne pas y voir une parenté avec les stéréotypes sexuels dans lesquels on enferme les garçons et les filles en Occident. L'écrivaine y fait elle-même référence en racontant que ce qui l'a le plus frappée chez plusieurs de ses amies américaines, c'est ce souci constant d'être « aimées ». « On les a élevées en leur donnant à croire que plaire est primordial, qu'il s'agit d'une caractéristique spécifique. Et que cela exclut l'expression de la colère, de l'agressivité ou d'un désaccord formulé avec trop de force. »

Leçon numéro un de Chimamanda Ngozi Adichie : si on veut d'un monde plus équitable où les hommes et les femmes seront plus heureux et plus honnêtes envers eux-mêmes, il faut élever nos fils et nos filles autrement.

Une leçon pour la Journée internationale de la femmes ? Je dirais oui si les voeux du 8 mars n'étaient pas au féminisme ce que les résolutions du 1er janvier sont au conditionnement physique. Souhaitons plutôt que ce soit un objectif de tous les jours.