Au Québec, environ 70 % des ruptures viennent des femmes, et c'est la même chose dans les autres pays occidentaux. Pourtant, au-delà du tabou, ils sont encore nombreux à tomber des nues lorsqu'ils voient leur conjointe prendre la clé des champs. Pourquoi ? Intrusion dans la psyché masculine.

En pleine grisaille automnale, il y a un peu plus d'un an, Martin (nom fictif), 37 ans, a accusé le coup : sa femme était tombée amoureuse d'un autre homme.

Ils étaient ensemble depuis 14 ans, mariés depuis 9, et avaient deux petits garçons en bas âge. Il ne l'avait pas vu venir. Il était sous le choc. De perdre son amoureuse ? Pas vraiment, parce que de son propre aveu, il n'y avait plus de sentiment amoureux dans cette relation depuis un moment déjà. Le choc venait plutôt du constat d'être obligé de faire soudainement éclater la petite vie de famille, parce que sa femme l'avait décidé ainsi.

« La rupture a été très difficile à vivre pour moi, et je commence à aller mieux, mais en rétrospective, je réalise que je n'étais pas heureux non plus dans cette relation, raconte Martin. Dans les dernières années, nous étions des colocs. Nous étions toujours brûlés, nous ne faisions qu'écouter la télé. »

Martin pense qu'il aurait probablement un jour pris la décision de la quitter.

« Mais quand ? Est-ce que j'aurais attendu de tomber malade, de devenir dépressif ? C'est un élément qui me trouble sur lequel je réfléchis depuis la thérapie que j'ai faite après ma rupture. »

Moins de questionnements

On dit que les hommes viennent de Mars et que les femmes viennent de Vénus. Il semble que ce soit vrai aussi lorsque vient le temps d'analyser sa relation de couple au quotidien.

Harry Timmermans, médiateur familial accrédité et psychologue qui a fait carrière comme expert à la cour dans des dossiers de garde d'enfant, partage cette analyse. « Généralement, les femmes avant les hommes trouvent que l'union n'a plus de sens, sentent par exemple une injustice dans la répartition des tâches à la suite du virage de la parentalité, voient que le couple n'a plus d'horizon, remarquent que l'ennui s'est installé », explique-t-il.

Par contre, Sacha Genest-Dufault croit que les ruptures amorcées en majorité par les femmes sont davantage vues chez les 30 ans et plus. « Chez les plus jeunes, c'est moins une réalité, et c'est peut-être même le contraire parce qu'avant la trentaine, bien des hommes sont moins en quête d'engagement que les femmes », affirme le professeur et chercheur en travail social à l'Université du Québec à Rimouski, qui a fait sa thèse de doctorat sur les ruptures amoureuses chez les hommes.

L'incontournable communication

Vincent (nom fictif), quant à lui, a été foudroyé à 26 ans lorsque sa copine a brusquement mis un terme à leur relation de trois ans.

« J'avais proposé six mois auparavant de vivre une relation ouverte, raconte-t-il. Je croyais, peut-être naïvement, que c'était la femme de ma vie et que notre couple était assez fort pour pouvoir vivre ça. Après quelques semaines de réflexion, elle m'a dit qu'elle était d'accord. Finalement, elle m'a quitté pour un autre. Ça m'a démoli. Avec le recul, je ne crois pas que c'était quelque chose qu'elle avait envie de vivre, mais qu'elle a accepté par peur de me perdre. Mais elle était beaucoup plus importante à mes yeux que de tenter l'expérience du couple ouvert. »

Pendant ces six mois de relation ouverte, jamais ils n'ont parlé de la façon dont ils vivaient l'expérience.

Martin, un an avant la rupture, a reçu un appel de sa femme en plein milieu d'une journée de travail. Elle voulait parler. Ça n'allait pas. Ce n'était pas du tout dans ses habitudes. Jamais ils ne parlaient de ce qui ne fonctionnait pas.

« Elle avait atteint sa limite, raconte-t-il. On a pris la journée et on a jasé. Nous nous sommes dit que nous allions désormais prendre nos vendredis soir ensemble et faire garder les enfants plus souvent. Ç'a été mieux pendant quelques mois, puis c'est revenu comme avant. »

Harry Timmermans, auteur du livre Les parents se séparent, est catégorique : « Tout divorce signifie qu'il y a eu une communication inefficace. On ne s'écoute pas, on ne se comprend pas, alors on se parle de moins en moins et, à un moment donné, on est rendu tellement loin que ce n'est plus réparable. »

Croisière, rénovation ou thérapie

Il peut se passer une longue période entre le constat de nombreuses insatisfactions dans le couple et la rupture.

« Généralement, la femme ne commence pas par demander le divorce, mais des changements, affirme M. Timmermans. Malheureusement, c'est rarement entendu par les hommes. L'homme a une formidable capacité d'aveuglement afin d'éviter les questions qui le rendent mal à l'aise. Puis, la femme réalise tout un cheminement. Elle se demande si elle peut partir et briser la famille, ou s'il n'y a pas une autre solution. J'estime qu'il se passe souvent deux ou trois ans en absence de changement significatif dans le couple avant qu'elle nomme son désir de séparation. »

Et lorsqu'elle passe à l'action, c'est généralement le choc. Et le déni.

« Il propose de faire la croisière qu'elle a toujours voulue, de rénover la maison, etc., dit M. Timmermans. Plusieurs y croient seulement lorsqu'ils reçoivent la requête de divorce des mains d'un huissier. La femme a alors un bout du cheminement de fait. Elle a déjà envisagé des scénarios alternatifs de sa vie, alors que l'homme perd tous ses repères, tout s'effondre d'un coup pour lui et il est en colère. »

Martin n'a pas proposé à sa femme une croisière lorsqu'elle lui a annoncé qu'elle avait rencontré quelqu'un d'autre, mais une thérapie de couple. Elle a duré trois semaines.

« L'une des premières questions du psychologue était à quelle fréquence nous nous chicanions, dit Martin. Nous sommes partis à rire parce que ce n'était pratiquement jamais arrivé en 14 ans. Ce n'est pas normal. Sans se lancer des assiettes, je crois que c'est sain de faire des mises au point de temps en temps, et on ne le faisait pas. Sinon, il y a bien des choses qu'on glisse sous le tapis. »

Il a tout de même rapidement accepté la séparation et aujourd'hui, lui et son ex-conjointe ont somme toute une bonne relation et les enfants sont en garde partagée.

Martin a depuis fait plusieurs rencontres et il se dit maintenant prêt à se réinvestir dans une nouvelle relation. Il se revoit même cohabiter avec sa conjointe, mais il affirme que le mariage, ce n'est plus pour lui !

Quelques tendances

• Près d'un mariage sur deux se termine par un divorce.

• La grande majorité des séparations sont amorcées par les femmes.

• Les hommes vivraient de hauts niveaux de détresse et présenteraient un taux élevé de symptômes dépressifs immédiatement après la prise de décision du divorce et lorsque celui-ci devient effectif.

• Les hommes laissés ne commenceraient le processus de deuil qu'au moment de la séparation, ce qui les rendrait susceptibles d'entretenir plus longtemps après la rupture un attachement émotionnel persistant envers l'ex-conjointe et des fantaisies de réconciliation.

• Les hommes auraient spécifiquement tendance à l'hyperactivité frénétique ou à la somatisation et à se tourner vers la violence physique ou vers la répression de leurs émotions.

• Les hommes ont peu tendance à aller chercher de l'aide psychologique.

• L'homme vivrait moins de détresse psychologique sur le long terme que la femme à la suite d'un divorce.

• Les hommes se remarieraient plus rapidement que les femmes.

Source : En quoi et pourquoi les hommes et les femmes sont-ils affectés différemment par la séparation conjugale ? C. Cyr-Villeneuve, F. Cyr., Société française de psychologie, 2009.

Comportements préoccupants

Un homme blessé dans sa fierté masculine lors d'une rupture qu'il n'a pas choisie : voilà une situation qui peut être inquiétante, selon Sacha Genest-Dufault, professeur et chercheur en travail social à l'Université du Québec à Rimouski.

« Des hommes vivent la honte, se sentent humiliés, floués même parfois, par exemple par rapport à la garde des enfants, remarque-t-il. Plusieurs s'isolent pour ne rien laisser paraître. Ils peuvent avoir l'air au-dessus de leurs affaires, ou ils sont arrogants et dénigrent leur ex-conjointe. »

Des formations ont été données dans de nombreux établissements de santé pour sensibiliser le personnel aux moyens que les hommes peuvent prendre pour exprimer leur détresse. Mais les aider demeure un défi.

« Les hommes sont moins portés que les femmes à consulter, plusieurs ne disent pas qu'ils ont de la peine et ne montrent pas qu'ils ont besoin d'aide, explique Sacha Genest-Dufault. Ils sont nombreux à seulement montrer leurs émotions à leur conjointe, alors en se séparant, ils perdent aussi cette confidente. Ils se ramassent seuls avec ce qu'ils vivent intérieurement. D'ailleurs, dans environ la moitié des suicides et des tentatives, il y a eu une séparation dans l'année précédente. Ils ont perdu pied. Il faut être sensible aux hommes qui s'isolent, ou qui se mettent à surcompenser dans le travail, l'alcool, les drogues, les relations sexuelles, ou autre chose. »

Quelques ressources: avant qu'il ne soit trop tard

Certains signes ne trompent pas lorsque le couple fonce tout droit vers un mur. En voici quelques-uns à remarquer pour tenter d'agir avant qu'il ne soit trop tard : 

• Les conjoints perdent de l'intérêt à participer à des activités communes.

• Il y a moins de confidences dans le couple.

• Les rapports sexuels diminuent.

• L'un des conjoints manifeste souvent du mécontentement, crie ou pleure.

• Les crises sont ignorées par les conjoints plutôt que nommées, alors que c'est le premier pas dans la recherche d'une solution.

- Avec l'aide de Sacha Genest-Dufault et Harry Timmermans