Quitter le groupe L'Oréal pour enseigner le yoga en entreprise? Fuir le milieu de la santé pour ouvrir un café de quartier bio? Faire le choix d'une seconde profession qui correspond à ses valeurs et passions les plus profondes n'est pas toujours chose facile. Pour plusieurs, les doutes, l'incertitude, l'inconnu et la peur d'échouer sont au rendez-vous... Portraits inspirants de gens pour qui l'appel a été plus fort que tout.

À 0,02 millimètre du cancer généralisé

Corinne Galarneau, 30 ans, devient à la suite d'un cancer de la peau cofondatrice du concept www.trainerworkout.com.

La voix enrouée, Corinne raconte son histoire au téléphone. «Pardon, je n'ai plus de voix. J'ai parlé toute la semaine avec des investisseurs au Startup festival de Montréal», lance-t-elle d'emblée. Son concept, trainerworkout.com, est une plateforme pour assister les entraîneurs sportifs dans le suivi de leur clientèle. «On veut aussi créer un bottin pour que les gens puissent trouver leur entraîneur par le sexe, l'âge, le parcours, la qualité de l'information», explique-t-elle.

De l'équilibre au déséquilibre

Corinne a toujours été très sportive. Sa silhouette athlétique témoigne de son assiduité. «Je ne suis pas très grande, je mesure 5 pi 4 po, mais j'ai toujours été dans le football, le surf, la boxe. J'aime la performance. » De 2007 à 2013, la jeune «athlète de coeur» travaille au Cirque du Soleil en tant que conseillère principale en relations publiques. «J'adorais mon travail. Je voyageais à travers le monde, j'avais une belle routine de vie. Le travail, les voyages, l'entraînement. Mon équilibre était parfait», se souvient-elle. Or, la jeune femme fait partie de la première vague de mises à pied du Cirque. Un choc. Elle trouve alors un autre emploi dans une agence de marketing, et c'est là qu'elle perd pied. «Beaucoup d'heures supplémentaires, de stress. Je me suis mise de côté et j'ai cessé de m'entraîner, j'étais super malheureuse», raconte-t-elle. Puis, comme un signal d'alarme extrême, un cancer de la peau...

Sauvée par une intuition

«Je prenais un verre de vin avec un ami et je remarque qu'il a un pansement sur le bras. Je lui demande ce qu'il a, il me répond qu'il se fait enlever des grains de beauté au laser. C'est purement physique, il trouve ça inesthétique», raconte Corinne. Elle a aussi un grain de beauté, mais dans le dos. Bénin, certes, mais disgracieux. Et si elle le faisait enlever? Son ami lui conseille d'aller au privé. Sinon, elle attendra deux ans. Elle obtient un rendez-vous en clinique privée la semaine suivante. «J'ignore pourquoi encore à ce jour j'ai pris rendez-vous ce jour-là pour me faire enlever un grain de beauté bénin dans une clinique privée et payer 300$», dit-elle, consciente que ce geste lui a sûrement sauvé la vie. Le dermatologue retire son grain de beauté et inspecte le reste du corps. Tout va bien. Au moment de quitter le cabinet, elle réalise qu'elle n'a pas retiré ses bas pour lui montrer ses pieds.

«J'avais un grain de beauté sur mon petit orteil...» Elle cogne au bureau, le dermato refuse de la faire entrer car il attend son autre patient. Elle insiste. Il accepte et regarde son orteil. Il n'aime pas ce grain de beauté et décide de l'enlever. Deux jours plus tard, elle apprend qu'il s'agit d'un mélanome. Un cancer de la peau très avancé. Ils n'ont pas réussi à le retirer complètement au laser et elle a rendez-vous avec un chirurgien plasticien le lendemain. «J'étais à 0,02 millimètre que le cancer s'attaque aux ganglions sentinelles et devienne un cancer généralisé...»

Une prise de conscience

Corinne prend soin de sa peau, n'a jamais fait d'UV en cabine, a toujours mis de la crème solaire... «Peut-être pas toujours sur les orteils», avoue-t-elle. Persuadée que son cancer est dû au stress, elle décide de quitter son emploi et de prendre soin d'elle. Plus de sport, une meilleure alimentation. «Je suis partie en Colombie et j'ai fait ma certification pour devenir entraîneur.» Aidée d'un homme qui a été son mentor et qui l'encourage à suivre sa passion, elle décide de devenir «entraîneur entrepreneur».

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Corinne Galarneau se dit aujourd'hui en phase avec ses aspirations.

Aujourd'hui, Corinne a 30 ans et sa vie est en phase avec ses aspirations. Si elle a eu peur de se lancer? «Il y a de l'angoisse monétaire et des sacrifices que je dois faire. Mais l'adrénaline me donne de l'énergie.» Aucun retour en arrière possible. C'est trop enrichissant. «Ce projet, c'est mon bébé à moi. Et je m'y accroche comme à ma vie.»

«On méritait de le faire pour nous»

Danièle Gagner et Jacques Paquin, ex-préposés en santé aujourd'hui propriétaires d'un café bio dans Villeray.

Un pied au Café Berri et on se sent comme à la maison. Les énormes baies vitrées inondent la pièce de lumière naturelle. Le mur de pierres, les poutres en pruche et l'éclairage artistique donnent à l'espace un soupçon d'ambiance bobo. Au centre, une grande table à pique-nique blanche invite aux tablées chaleureuses. Au mur, le menu du jour comprend trois plats concoctés avec amour avec des produits locaux, bios, de saison, sans oublier l'incontournable grilled-cheese au fromage La Station de Compton.

Avec fierté, Jacques et Danièle, couple en affaires et dans la vie, dévoilent les dessous de ce nouveau chapitre de leur vie. «Nous étions préposés dans le réseau de la santé, ça faisait quelques années que nous voulions quitter. La souffrance du milieu. Les conditions de travail. La qualité de vie. On rêvait d'avoir notre entreprise dans le domaine de l'alimentation. Pour moi, le repas a toujours été le pilier de mon équilibre. Je retrouve mon ancrage dans le partage du repas, que ce soit avec mon chum ou des amis», raconte Danièle.

«On met à profit notre passion»

Faire du sport, bien manger, atteindre un régime de vie le plus sain possible a toujours été une ligne directrice pour le couple. «Avant, j'enseignais la danse. Jacques étudiait pour devenir acupuncteur. Nous nous sommes rencontrés au travail», raconte Danièle. Le bio est venu progressivement. Les carottes, les céréales, puis les farines...

Loin d'être sectaire, le couple sélectionne les produits du mieux qu'il le peut, en fonction de ses connaissances. «On se tient au courant via l'Environnemental Working Group, qui publie chaque année une liste des produits les plus contaminés et les moins contaminés. On utilise des produits bios, mais aussi locaux du marché Jean-Talon avec certains producteurs qui ne sont pas certifiés, mais dont nous avons la certitude qu'ils n'utilisent pas de pesticides. En ce moment, nous travaillons avec les produits Bio Locaux», ajoute Jacques.

Un lourd passé nécessaire

Qu'est-ce qui pousse un couple à tout quitter et repartir à zéro? Qu'est-ce qui fait qu'on prend la décision là, maintenant, et non l'année précédente? Jacques se lance: «C'est dommage de dire ça, mais il fallait se rendre à un extrême. Notre travail ne nous apportait plus rien. On est allé au bout. Il fallait que l'on se sorte de là. Nous n'avions plus le choix.» Au bord du précipice, Jacques et Danièle décident d'arrêter de se faire souffrir. «On en valait la peine. Ça valait la peine de le faire pour nous parce que nous sommes de bonnes personnes», ajoute-t-il avec authenticité et profondeur.

Aujourd'hui, le duo d'entrepreneurs possède son propre café. Ça roule, les gens sont heureux. «On ne peut pas effacer le passé. Ça fait partie de notre histoire. C'est là que j'ai rencontré l'homme de ma vie. C'est là que nous sommes allés explorer nos limites. On se demande pourquoi on a attendu si longtemps, mais en même temps, rien n'aurait pu se faire avant...», avoue Danièle. «On fait partie des gens qui réalisent leur rêve. Avant d'en faire partie, tu lis les histoires dans les journaux, et tu te demandes comment ils font, tu les trouves tellement courageux. Comme si ce n'était pas accessible. Et puis, un jour, ça le devient. Tu réalises que tu es en train de faire un grilled-cheese pour quelqu'un et que c'est ta nouvelle vie.» Les repas, les couleurs, la bonne compagnie, le bonheur.

Le Café Berri, 426, rue Faillon Est, Montréal

PHOTO IVANOH DEMERS, LA PRESSE

Daniele Gagner et Jacques Paquin sont partenaires dans la vie et en affaires.

De la performance au yoga

Jennifer Kruidbos, 32 ans, ex-l'Oréalienne aujourd'hui professeure de yoga en entreprise.

Jennifer ressemble à un soleil. Une chevelure blonde de Suédoise, des yeux lumineux, un sourire radieux. Elle arrive vêtue en Lolë de la tête aux pieds, marque dont elle est la fière ambassadrice. La veille de l'entrevue, elle donnait une classe de yoga en entreprise dans les bureaux de Sid Lee. Le soir, un cours de yoga avec balle de massage au Studio Breathe, dans Griffintown.

Passionnée, elle me raconte son parcours. Son programme en communication, sa maîtrise en gestion du stress qui l'amène à faire un voyage en Chine pour élargir ses horizons sur la notion de santé et de bien-être en entreprise. «Tous les matins, les gens de la compagnie venaient faire leurs "Jumping Jacks" ou se peser sur la balance! Dans les haut-parleurs, il y a une voix qui disait: "La santé et l'exercice sont bons pour vous, gardez un corps en santé!" » Au retour, elle commence chez L'Oréal, souhaitant secrètement voir cette approche dans son travail. Mais la réalité est différente. «Notre culture en Amérique du Nord, du moins il y a cinq ans, c'était: café, café, café, stress, stress, deadline...» Jennifer fait comme tant d'autres et se perd dans la performance. Un an et demi plus tard, c'est l'épuisement professionnel.

Le yoga, point positif

Dans ses périodes les plus stressantes, le yoga aide Jennifer à garder son énergie. «C'est vraiment en période de stress que j'ai vu tout le positif du yoga.» Après son surmenage, elle décide de faire une formation de 200 heures pour devenir professeure de yoga. «Pour moi, c'était la chose la plus positive dans ma vie. Le seul endroit où je me sentais bien», raconte celle qui rêvait secrètement d'enseigner depuis 2007. «Je m'étais toujours freinée, je me disais que ce n'était pas un vrai boulot.» Elle fait tomber ses propres barrières et tente le tout pour le tout. Son but? Faire vivre aux gens tout le bien-être qu'elle ressent lorsqu'elle fait du yoga. Elle s'inspire de son expérience en Chine et de son parcours professionnel pour créer un nouveau concept de yoga en entreprise. Selon elle, les gens sont trop occupés et n'ont pas le temps de se rendre à la salle de yoga. Elle décide d'amener le yoga dans le milieu de travail et commence à enseigner dans les bureaux de Sid Lee, Cossette, Standard Life...

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Jennifer Kruidbos enseigne le yoga.

«J'invite les gens à bien manger, à être conscients de leurs pensées, explique la jeune entrepreneure. Sont-elles négatives? Positives? Si nous sommes très fatigués, allons-nous nous pousser encore plus loin pour les autres?»

Vaincre ses peurs

«Tout est arrivé très vite. Je pense que c'est parce que j'ai suivi mon instinct... et que j'étais dans un chemin authentique... Avant ça, je ne m'étais jamais vraiment arrêtée pour réfléchir à ce que je voulais vraiment dans la vie. Ce qui me nourrissait profondément et qui avait du sens pour moi.» Le plus dur? Vaincre ses propres doutes. «Ma première cliente fut mon mentor. Elle croyait en moi. Elle me disait toujours: "Jen, tu aimes ça, tu es bonne, ne lâche pas. Si c'est ta passion et que tu aides les gens, fonce!" Je pleurais, je ne savais pas quand allait arriver mon prochain chèque de paye... Mais le yoga m'a aidée à rester dans le moment présent et à rester forte. Après, tout s'est ouvert à moi. Aujourd'hui, je n'arrive toujours pas à croire que c'est mon travail. Les rencontres sont stimulantes, je vois le changement se matérialiser sous mes yeux et les gens prendre conscience de leur corps et de leur santé. Je suis en phase avec ce que je suis et je veux faire ça pour le reste de ma vie...»

Namasté.