Y aurait-il quelque chose de thérapeutique dans le geste d'enlever des mauvaises herbes ou un truc apaisant dans le fait de planter des végétaux? Et, quand on plonge les mains dans la terre pour prendre soin d'une fleur fragile ou d'un arbuste capricieux, est-ce qu'on est aussi en train de prendre soin de soi?

Les bienfaits du jardinage

Si on se fie aux photos de bonheur étalées jour après jour sur Facebook sur lesquelles les gens se photographient une tasse de café à la main, devant leur jardin fleuri en disant « ça, c'est la vraie vie! », on a spontanément envie de croire que les fleurs, les végétaux et la nature nous font du bien.

Bien sûr, les bienfaits physiques du jardinage sont indéniables. Selon les données de la Revue de la littérature sur les bienfaits des produits de l'horticulture ornementale sur la santé et l'environnement, 30 minutes de jardinage permettraient de brûler entre 125 à 200 calories. Mais bien plus encore, les végétaux ont un effet réel sur le... bien-être. 

Selon cette même étude, les jardiniers auraient une perception plus positive de la satisfaction de vivre que les non-jardiniers et évalueraient leur état général à un meilleur niveau. La réduction du stress est aussi observée et vient conforter l'idée de certains pouces verts qui affirment chasser leur anxiété en se défoulant sur leurs mauvaises herbes. La nature prend soin de nous? Oui... et non! On prend davantage soin de nous quand on est en contact avec elle. Une force de transposition dont on ne se rend pas compte, mais qui calme nos tourments, soulage divers maux et redore notre estime de soi. 

Saine échappatoire 

« On est très rarement dans le présent. Les émotions négatives et le stress sont liés au fait qu'on est souvent en train de ruminer le passé ou encore on anticipe quelque chose de négatif. Le jardinage nous ramène dans le moment présent, c'est pourquoi c'est une activité aidante pour certains », estime Bianca D'Antono, professeure agrégée au département de psychologie de l'Université de Montréal et chercheuse à l'Institut de cardiologie de Montréal. L'attention que requiert le jardinage permet au lâcher-prise d'opérer. « On y arrive, car on est attentif à ce qui se passe maintenant et aussi parce que notre esprit est absorbé dans une tâche répétitive qui devient apaisante », note Lucie Mandeville, psychologue spécialiste de la psychologie positive. Voilà pourquoi le jardinage est considéré comme une activité méditative, mais en mouvement, un peu comme le sont certains arts martiaux et le yoga.

Un pouvoir thérapeutique? Presque. Quand les émotions nous submergent, un tour au jardin peut être efficace pour faire un ménage en soi principalement parce que jouer dans la terre nous détourne de nos soucis. « D'abord, on centre notre attention sur une tâche qui demande une certaine concentration. Ensuite, en la dégageant suffisamment longtemps de nos problèmes, on arrive à voir la situation autrement et à agir dans le meilleur intérêt au lieu de réagir spontanément », explique Bianca D'Antono. D'autant plus que les travaux manuels sont satisfaisants, car leurs résultats sont concrets et visibles. Plus on arrache de mauvaises herbes, plus il y a de l'espace, plus la platebande est belle. Et inconsciemment, bien des jardiniers ont l'impression de transposer ce ménage végétal dans leur vie intérieure.

Acte de création

Cultiver des fleurs incite aussi à se raccorder à la temporalité. « On suit davantage les valses des saisons. On s'harmonise au rythme du temps. Cette communion à la nature nous fait comprendre qu'on en fait tous partie. On donne et on reçoit, on prend soin de quelque chose qui nous redonne. On met en terre, on donne de l'amour et de notre temps, etc. », note Mélanie Grégoire, chroniqueuse horticole et porte-parole du parc Marie-Victorin.

Jardiner est également un acte de création. Puisque nous sommes habitués à vivre dans un monde rationnel où la productivité est l'ultime but et où l'organisation règne, le jardinage vient contrebalancer le tout en exigeant qu'on réveille notre imagination. « Pour certains, ils ont enfin l'opportunité de laisser leur côté créatif s'épanouir. En créant, ils contribuent à l'embellissement autour d'eux tout en ayant le sentiment d'appartenir et de redonner à quelque chose de plus grand », évoque Bianca D'Antono. « C'est extrêmement gratifiant. En semant une petite graine, on a accès à l'enfantement dans une moindre mesure. On a le sentiment de faire partie de la nature, d'être connecté à quelque chose de plus grand, d'y contribuer et d'y avoir même un certain pouvoir. Et enfin, un pouvoir sain! Celui de créer pour nous et aussi pour notre environnement. On est à la fois un artiste et un créateur et ça, dans notre vie de tous les jours, on n'a pas toujours accès à ce type de valorisation et de réalisation », constate Lucie Mandeville. Coup de pouce (vert?) pour l'estime de soi!

S'ancrer dans le temps

Prendre conscience du temps qui passe est un autre bienfait. « Un enfant grandit beaucoup entre 0 et 10 ans, c'est pourquoi les oncles et les tantes qui ne le voient pas souvent s'exclament « Ah! Tu as bien grandi! ». À petite échelle, avec les semences, c'est la même chose. On les voit pousser, changer et grandir tout au long de l'été, ça devient une fierté », note Marie-France Larochelle, conseillère horticole au Jardin botanique de Montréal.

Plus encore, vivre plus près de la nature nous offre des repères. « On voit l'évolution des plantes, mais plus encore. Les sons ne sont pas les mêmes. Les oiseaux chantent, mais ce ne sont pas les mêmes tout au long de l'été. Les cigales arrivent avec les chaleurs. Tout ce qui marque le temps devient rassurant », dit Marie-France Larochelle.

Semer une graine, c'est aussi entretenir l'espoir. C'est croire que la nature va opérer. C'est oser imaginer demain. C'est voir ce qui n'existe pas encore. « Tout ce qu'on fait est souvent basé sur le visuel. On juge beaucoup par l'apparence de ce que nos yeux captent et que notre cerveau analyse. Pourtant, notre mémoire olfactive, par exemple, est très puissante et fidèle. Beaucoup de nos souvenirs sont associés à des odeurs: les petites fraises, le gazon frais coupé, etc. On se souvient plus de quelque chose quand on y a touché ou goûté. Plus on fait intervenir de sens, plus on va découvrir, plus on retient des choses », souligne Marie-France Larochelle. Au Jardin botanique à Montréal est aménagée la cour des sens, un espace où les visiteurs sont invités à laisser leurs yeux à l'entrée et à réveiller leurs autres sens. Des animateurs - dont deux non-voyants - proposent une visite étonnante et multi sensorielle. Les visiteurs peuvent toucher, sentir les fleurs et même y goûter! « Beaucoup sortent de cette cour totalement émus par leurs découvertes! », raconte la conseillère horticole de l'endroit.

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Cultiver plus que des fleurs...

Évidemment, pour espérer voir fleurir son jardin, il est nécessaire de cultiver sa propre patience. Les gestes d'aujourd'hui n'auront pas un effet immédiat. Les plants mis en terre n'offrent pas de garantie quant à la production de fruits. L'instantanéité n'est pas au rendez-vous. C'est un long labeur fait d'espoirs de futures récoltes et de souvenirs des trucs utilisés les années précédentes.

Mais tout au long des mois de jardinage, il y a le bonheur d'apprendre, de communiquer et de transmettre autant ses connaissances qu'un bout de soi. « Il y a souvent beaucoup d'histoires autour des plantes et des jardins, de leurs noms ou des anecdotes. On raconte que s'il y a une allée pour entrer dans un jardin, c'était pour nous permettre de quitter un monde pour entrer dans un autre, un peu comme une transition. Il y a des fleurs que l'on appelle des bains d'oiseaux parce que leurs feuilles se remplissent d'eau quand il pleut et ensuite les oiseaux peuvent venir s'y poser. Mais au-delà des anecdotes, il y a aussi notre propre histoire! Pendant un souper, on est content de montrer nos plantes à nos invités. Elles font partie de nos vies », raconte Mélanie Grégoire.

Même que les fleurs deviennent un prétexte à socialiser. Elles rallient les gens autour d'un même intérêt, mais servent aussi de brise-glace pour entamer une discussion avec les autres. « Quand notre récolte de tomates est grande, on en offre aux voisins. C'est alors une source de joie et de fierté à la fois, mais aussi une manière d'entrer en contact avec eux », observe Marie-France Larochelle qui, il y a quelques années, a reçu une note dans sa boîte aux lettres alors qu'elle venait d'emménager dans son nouveau quartier. Sa voisine l'avait vue jardiner et elle lui proposait de lui donner un de ses rosiers. Ce petit geste tout simple a été la base d'une grande amitié.

Les fleurs, les plantes, les végétaux et la nature exigent qu'on les traite avec respect et douceur tout en demandant de croire aux lendemains. La métaphore avec nos propres vies peut s'appliquer. « On ne jardine pas de manière agressive. Ainsi, si nous, on ne va pas bien, on doit aussi se traiter avec délicatesse. Une projection peut s'établir en quelque sorte », précise Lucie Mandeville.

Et pour ceux qui n'ont pas le pouce vert, les bienfaits seraient tout aussi appréciables. « Être capable d'être présent n'est pas seulement dans l'action, mais aussi dans la contemplation. Le caractère éphémère des fleurs nous oblige à les observer là, tout de suite. On doit prendre le temps de les admirer quand elles sont ouvertes et arrêter d'attendre. Cet exercice nous ramène à l'instant présent et au lâcher-prise pour ainsi renouer avec les plaisirs », considère Lucie Mandeville. Même marcher pieds nus dans le gazon ou prendre une marche dans le quartier tout en étant plus attentifs aux mélanges de couleurs dans les rocailles des voisins a un effet sur notre sentiment de bien-être. 

L'étude sur les bienfaits des produits de l'horticulture ornementale stipule que même la vue d'un paysage naturel plutôt qu'un paysage urbain depuis la fenêtre d'un bureau et la présence de plantes d'intérieur joueraient un rôle positif sur le bien-être physiologique des employés en plus d'augmenter la productivité, de diminuer l'anxiété et de réduire l'absentéisme. Tout notre mode de vie retire les bienfaits de ces contacts avec la nature.

Sarcler son jardin, bichonner ses frêles pousses, tailler une haie, c'est bien ça aussi prendre soin de son jardin intérieur...

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Lexique quotidien

À la lumière des témoignages de nos experts, voici un parallèle non scientifique, mais tout de même plausible entre le jardinage et les effets sur le quotidien.

Aménager les plans d'un nouveau jardin = Favoriser la créativité et l'imagination

Repérer et reconnaître les végétaux = Stimuler la mémoire

Arroser les fleurs = Méditation active

Arracher les mauvaises herbes = Faire le ménage en soi

Tondre la pelouse = Raviver les souvenirs olfactifs de l'enfance + se détacher de ses problèmes

Montrer son jardin à des amis = Effet positif sur l'estime de soi

Recevoir des compliments sur son jardin = Redorer sa confiance en soi

Voir une plante défier les aléas d'une météo violente = Savoir qu'on peut réchapper à des conditions difficiles