Au Québec, 2015 est définitivement l'année du soccer au féminin. Les activités de promotion pour le sport se multiplient. Dès le 6 juin, les yeux du monde entier seront rivés sur les joueuses des 24 équipes de la Coupe du monde féminine de la FIFA qui se déroule dans plusieurs villes canadiennes, dont Montréal, au Stade olympique.

Le soccer est le sport le plus pratiqué au Québec. Plus que le hockey. On compte près de 200 000 joueurs fédérés, dont 40% de filles et de femmes. Au Canada, c'est 824 181 joueurs, dont 41% de femmes. Dès 4 ans, les petites filles peuvent s'initier en suivant des cours dans leur quartier. Certaines atteignent de très hauts niveaux tandis que d'autres découvrent le soccer dans des ligues de garage à 45 ou 50 ans. C'est ça la beauté du soccer. En plus d'être accessible, il touche toutes les générations.

Sylvie Béliveau, 51 ans, est une pionnière du soccer féminin au Canada. Elle a occupé tous les postes: joueuse, entraîneuse adjointe, puis entraîneuse en chef de l'équipe canadienne féminine. Elle a aussi dirigé des équipes collégiales et universitaires, et a été intronisée au Temple de la renommée de l'Association canadienne de soccer. Elle est aujourd'hui responsable du programme de développement des joueurs à Soccer Canada et membre du groupe d'étude technique de la FIFA.

Elle vient d'une famille de sportifs et toute petite, à Sherbrooke, elle avait envie de jouer au soccer. Le problème, c'est qu'il n'y avait pas de cours offerts aux petites filles. «J'ai commencé à jouer dans une équipe officielle à 12 ans», se souvient-elle. Elle se réjouit de l'accès qu'il y a aujourd'hui pour les petites filles dès 4 ans.

Après la Coupe du monde, elle s'attend à une hausse importante des inscriptions à l'échelle nationale comme il y en a eu en 2012, après la médaille de bronze de l'équipe féminine canadienne aux Jeux olympiques de Londres.

Francis Millien, qu'on surnomme Monsieur Soccer, a participé activement au développement de ce sport au Québec depuis les 30 dernières années. Il évoque l'apport des immigrants dans l'essor du ballon rond. Il se souvient que dans les années 60 et 70, les immigrants des différentes communautés se retrouvaient entre eux pour jouer au soccer la fin de semaine dans les parcs de Montréal. «Les clubs ethniques sont devenus des clubs locaux et municipaux avec des Québécois de souche qui participaient aux mêmes parties de soccer. Tout le monde jouait ensemble et c'est ça qui a contribué au développement du soccer. Il y a eu un grand mouvement et à partir du moment où les municipalités se sont impliquées, les petites filles ont eu accès aux mêmes installations que les garçons». Le développement passe aussi par les installations qu'il a fallu créer. «Plus il y a d'activités et plus il y a des gens qui veulent y participer. Plus il y a de terrains de soccer et plus il y a de monde pour y jouer» constate-t-il.

Le soccer a longtemps été perçu comme un sport de garçon dans les pays européens comme l'Italie, la France, la Grèce alors qu'ici, il a tout de suite été accessible autant aux filles qu'aux garçons. «À l'école, on pratique les mêmes sports qu'on soit une fille ou un garçon, c'est notre côté nord-américain. Les portes d'entrée sont les mêmes. D'ailleurs, je dirais que jusqu'à 11 ou 12 ans, les filles ont bien souvent plus d'aptitude physique que les garçons en terme de mobilité et de mouvement. Elles sont meilleures même ! Il faut les voir!», estime Francis Millien.

«À mon époque, les femmes qui étaient des athlètes étaient recrutées dans d'autres sports parce qu'il y avait des opportunités. On leur promettait une équipe nationale, des Jeux olympiques, le plus haut niveau, ce qui n'existait pas au soccer. On a perdu des joueuses, car quand tu as des habiletés sportives, tu peux très bien les transférer dans un autre sport», rappelle Sylvie Béliveau qui était entraîneuse adjointe en 1986 lorsque la toute première équipe nationale canadienne de soccer féminin a été mise sur pied. La première Coupe du monde féminine a eu lieu en 1991.

«C'était méconnu à l'époque le soccer féminin. On parle un peu de l'histoire en ce moment parce que le Canada reçoit la Coupe du monde, mais autrement, on ne parle jamais du soccer féminin. Nos vedettes féminines de soccer sont quasi inconnues sauf peut-être la capitaine de l'équipe Christine Sinclair. La médaille de bronze remportée par les Canadiennes aux Jeux olympiques de Londres a fait toute une différence. La petite fille qui voit ça, ça lui donne un petit coup au coeur et un objectif accessible. Avant je parlais d'un rêve. Moi j'ai rêvé à ça à 14 ans, mais aujourd'hui c'est possible.»

Francis Millien, directeur général du site de Montréal pour la Coupe du monde féminine de la FIFA, ne cache pas qu'un des legs visés par la Coupe du monde, c'est de créer un engouement chez les jeunes qui n'ont pas encore découvert le soccer. «Le fait de voir les meilleures joueuses au Stade olympique et de voir quel bon spectacle elles donnent, ça ne peut qu'être une motivation supplémentaire à toutes celles qui débutent.»

«Il faut vendre le soccer féminin pour faire en sorte que les médias en parlent, continuer de le développer, avoir des ligues de haut niveau et préparer les prochaines générations de joueuses internationales», estime Sylvie Béliveau.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Sylvie Béliveau au premier plan qui donne des explications et Danièle Sauvageau à l'arrière avec les lunettes de soleil.

L'entraîneuse hors pair

On aimerait toutes avoir Lyne Beauregard à ses côtés. La rencontrer, c'est l'adopter. Elle a une énergie débordante, un tempérament de fer et beaucoup de courage, car la vie ne l'a pas toujours épargné.

Cette mère de famille s'est lancée dans le soccer grâce à ses trois fils. «C'est devenu ma passion. Je me suis impliquée à titre de maman "coach", j'avais un peu d'avance sur les autres, car j'avais un baccalauréat en éducation physique. Les équipes n'étaient pas bien organisées alors au lieu de me plaindre, je me suis dit mets-toi les mains dedans et vas-y!», raconte-t-elle sur le superbe terrain synthétique du nouveau centre de soccer intérieur de Montréal qui n'avait pas encore été officiellement inauguré lors de notre rencontre. De fil en aiguille, Lyne Beauregard s'est mise à entraîner des équipes masculines pendant une dizaine d'années, a obtenu sa licence officielle d'entraîneuse et a même mené certains joueurs jusqu'au plus haut niveau, comme Samuel Piette qui joue aujourd'hui en Europe. 

Un exploit pour celle qui s'est taillé une place dans un monde d'hommes. Encore aujourd'hui, il y a peu de femmes qui deviennent des entraîneuses de soccer. «J'ai été entourée d'hommes extraordinaires et encore aujourd'hui, quand je me pose des questions ou que j'ai besoin de conseils, je cogne à la porte de mes collègues masculins.» Lyne Beauregard entraîne en ce moment des jeunes filles qui ont entre 10 et 13 ans. Elle est directrice technique féminine de la région de Montréal-Concordia. Elle développe les talents féminins de demain, celles qui feront partie des équipes du Québec, voire du Canada.

«Dans les écoles, on travaille fort pour mettre en place le soccer, que ce soit le midi où on y organise des parties, ou après l'école, il y a des cours où on peut s'inscrire. On voit que ça se développe et que des clubs se forment. Beaucoup de parents s'impliquent aussi. Tout ça fait en sorte que nous avons des outils pour développer les jeunes joueuses. On voit aussi qu'il existe de plus en plus de programmes de Sport-études, car on sait que chez les filles, les études c'est une priorité.»

Lyne Beauregard énumère les nombreuses vertus du soccer. La motricité est développée, la course, les réflexes. Les filles peuvent s'appuyer sur l'une et l'autre et développent ainsi l'esprit d'équipe et la solidarité. «Il faut mettre les filles en confiance très jeunes, car elles retiennent souvent davantage ce qu'elles n'ont pas réussi. Il faut mettre en valeur leurs qualités et leurs réussites, c'est important.»

Lyne, très émue, avoue que le ballon rond l'a sauvé. En août 2011, elle a perdu son fils de 17 ans, Nicholas Antonelli, de manière tragique. Il revenait à pied d'une fête, il a été fauché par une voiture conduite par un jeune chauffard qui avait bu et qui revenait de la même soirée que lui. «Le soccer m'a sauvée dans les moments les plus difficiles de ma vie. Lorsque mon fils est mort, j'ai eu tellement de soutien des joueurs et des joueuses. Elles ne veulent pas que j'arrête de "coacher" et que j'accroche mes crampons, c'est tellement valorisant de savoir ça. J'ai un devoir de transmission à titre de pédagogue et je souhaite voir les jeunes filles progresser. C'est très inspirant.»

Ce qui manque aujourd'hui? «Des modèles féminins. Les jeunes joueuses doivent pouvoir s'identifier. Pas à Cristiano Ronaldo ou à Lionel Messi, mais à des joueuses comme Christine Sinclair ou des Québécoises qui font partie de l'équipe canadienne comme Marie-Ève Nault, Josée Bélanger et Rhian Wilkinson. On veut voir des maillots féminins sur les filles. Ça se peut ça! On aimerait voir des matchs féminins à la télévision. Je sens qu'il va y avoir un impact après cette Coupe du monde. Elles vont être dans notre cour au Stade olympique chez nous! Je vais emmener mes joueuses! On va regarder les plans de match après ensemble! Les Sports-études vont déborder après ça! On a les infrastructures, on a les terrains, on a des programmes, on a des joueuses, on a des possibilités de pouvoir jouer au niveau professionnel. »

Elle est heureuse de constater que le plaisir de jouer au soccer est partout. «C'est ce qui est fabuleux. Être dehors et vivre des beaux moments avec ses enfants, sa famille, ses amis et voisins. Il y a aussi de belles relations pères-filles qu'on voit au soccer. C'est vraiment très touchant.»

Photo André Pichette, La Presse

L'entraîneuse Lyne Beauregard