Quelques mots salaces lancés à la volée, des regards obscènes voire des attouchements: le harcèlement dans les lieux publics vécus par les femmes en Algérie est désormais illégal, mais ces dernières doutent que la loi soit réellement appliquée.

«Mon amour», «beau corps», «charmante», «j'ai envie de te manger», «jolies fesses», «que Dieu te garde», «c'est combien?», énumère Feriel, une mère de famille interrogée par l'AFP.

«Ce sont des commentaires constants, il est arrivé qu'on me suive jusque chez moi et ça fait peur, ce n'est plus de la drague!», s'exclame cette femme de 28 ans.

Halim, un trentenaire qui aborde les filles dans les rues de la capitale en leur murmurant à l'oreille qu'elles sont charmantes, se défend de tout harcèlement: «il faut bien qu'on drague dans la rue, sinon on va le faire où ?!»

Ces actes sont «attendus, normaux», déplore Hanane, 21 ans, qui raconte avoir été attrapée «par le bras de manière insistante». «On sait que ça va arriver quand on sort. On évite de prendre le bus quand il est plein, pour ne pas se faire tripoter». À Alger, des chauffeurs ne tarissent pas de commentaires sur ces «caleurs».

Le harcèlement dans les lieux publics est passible de deux à six mois de prison depuis le vote le 5 mars de la loi criminalisant les violences faites aux femmes.

Mais dans la rue et sur les réseaux sociaux, cette loi suscite des réactions outrées des conservateurs et machistes, et soulève des questions sur son application.

Soutenir la victime

Pour Hanane, elle «est impossible à appliquer: on va dénoncer comment tous les passants que l'on ne fait que croiser?».

Icône du mouvement d'opposition Barakat, la médecin Amira Bouraoui souligne la difficulté de faire valoir les droits des femmes dans une société conservatrice, où la rue est perçue comme un espace masculin.

«Pendant la garde d'hier nous avons reçu en consultation une jeune fille de 20 ans qui s'est fait violer par quatre voyous», racontait-elle dimanche sur Facebook. «Quand on a dit qu'il fallait déposer plainte... elle s'est sauvée».

«Je suis triste de vivre dans le pays où c'est à la victime d'avoir honte et non pas au bourreau», déplore-t-elle.

Militante féministe et avocate, Nadia Aït-Zaï est moins sceptique. «À tous ceux qui disent qu'elle ne sera pas applicable, car il sera difficile d'apporter une preuve, la loi précise que tout moyen de preuve est recevable, donc par témoignage aussi», répond-elle.

«Les gens doivent apprendre à être solidaires et soutenir une personne victime de harcèlement», souligne Nadia Ait Zaï. «Cette loi n'est ni contre les hommes ni pour les femmes, mais elle régule les rapports sociaux», argumente l'avocate.

Signe que les droits des femmes ne font pas l'unanimité, sur les réseaux sociaux circulent des billets tournant en dérision la loi: «pour un ''pssst pssst'', 6 mois de prison», «pour un ''mon amour'', 6 mois de prison», «pour un ''je t'aime comme ma soeur'', peine capitale».

Un faux formulaire à en-tête officielle caricature les droits accordés aux femmes. C'est une pseudo «autorisation de sortie du domicile» que la femme doit signer à son conjoint, mentionnant des heures de sortie et des éventuelles sanctions en cas d'infraction.

Pendant les débats à l'Assemblée nationale, un député a affirmé qu'on ne pouvait «criminaliser un homme qui a été excité par une femme».

«Ça va se retourner contre nous, on va nous reprocher d'être mal habillées», observe Hanane.

De fait, face au harcèlement, le voile apparait parfois comme un rempart. «Il y a une différence entre celles qui le portent et celles qui ont la tête découverte. Il faut aussi savoir ne pas être provocante», conseille Selma, étudiante en Droit.

Pourtant, cela ne décourage pas Youssef, un jeune entrepreneur habitué des boîtes de nuit. «Il y a bien longtemps que le voile a cessé d'être un symbole de vertu», selon lui. «Il permet juste aux filles de duper leur famille».