«Hello everybody, how are you?», demande l'enseignante. «I'm fine, thank you», répondent en choeur les élèves de cette école publique de Madrid, l'une des centaines de la capitale espagnole à dispenser un enseignement bilingue et tenter ainsi de combler de graves lacunes en langues étrangères.

Ce mardi, c'est la rentrée dans le primaire à Madrid. Ils sont presque 500 enfants de six à onze ans, sourire édenté et sac à dos neuf, à échanger, en espagnol, leurs souvenirs de vacances dans le brouhaha de la cour du collège du Docteur Tolosa Latour, dans le quartier ouvrier de Vallecas.

Mais une fois en classe, ils passent à l'anglais. La langue dans laquelle, depuis dix ans, sont dispensées plusieurs matières, sciences, éducation physique, art ou musique, en plus des quatre heures d'anglais comme langue étrangère.

Soit un peu plus de la moitié des 22 heures et demie de cours hebdomadaires, qui donnent à des milliers d'enfants de Madrid, y compris à ceux de familles défavorisées, de plus grandes perspectives d'avenir professionnel.

«I went to the beach» (Je suis allé à la plage), «I played with my tablet» (J'ai joué avec ma tablette), racontent ces élèves de cours moyens à leur enseignante, Beatriz Polo, qui les accueille d'un grand «Welcome» inscrit sur le tableau.

Aux questions plus difficiles, certains hésitent, répondent en castillan. Mais la jeune femme, une Espagnole de 27 ans, diplômée d'anglais, persévère.

«L'idée est que les enfants commencent à communiquer en anglais dès la première année de primaire ou même dès la maternelle», souligne la directrice de l'école, Maria Dolores Villalba, qui supervise cette rentrée dans les couloirs décorés de dessins intitulés «Climate Change» (Changement climatique) ou «Art In The Stone Age» (L'art à l'âge de pierre).

«Cela représente beaucoup d'heures, beaucoup de cours, et ils apprennent tranquillement», raconte-t-elle. «Ces enfants auront des possibilités que leurs parents n'ont pas eues», ajoute la directrice qui, en 2004, a participé au lancement de ce programme pionnier mis en place par le gouvernement régional dans 26 établissements.

Aujourd'hui, 335 des 791 écoles primaires publiques de la capitale espagnole et ses environs, 96 des 309 écoles secondaires et 161 collèges privés subventionnés ont adopté ce système.

Des effets pervers?

L'objectif est de combler un manque historique: 56% des Espagnols ne parlaient aucune langue étrangère en 2006, selon un baromètre de la Commission européenne, au sixième rang des pays de l'Union derrière l'Irlande (66%), le Royaume-Uni (62%), l'Italie (59%), la Hongrie et le Portugal, tous deux à 58%.

Pour Antonio Cabrales, un universitaire espagnol enseignant à l'University College London, l'apprentissage des langues en Espagne, en particulier de l'anglais, «est depuis toujours un problème».

En Espagne, il est ainsi possible de passer la majorité des diplômes universitaires sans parler aucune langue étrangère.

Décidés à renverser la tendance, plusieurs gouvernements régionaux ont lancé des initiatives similaires, même si ce système suscite des critiques.

«Cette très forte immersion provoque l'échec de nombreux élèves», en particulier ceux dont les parents ne peuvent pas les aider, s'indigne Yolanda Juarros Barcenilla, professeur d'anglais dans une autre école.

«Il n'est pas possible de faire apprendre les noms des os du corps ou des plantes en anglais à un enfant qui ne connaît pas cette langue», affirme-t-elle.

Même si elle reconnaît que le niveau des professeurs «s'est beaucoup amélioré» depuis 2004, elle regrette que leur anglais «manque de fluidité et de richesse», «ce qui entraîne une baisse de niveau dans les matières concernées».

Antonio Cabrales, coauteur d'une étude du système bilingue, est d'accord sur le fait qu'il existe «un impact négatif sur les enfants dont les parents n'ont pas fait d'études supérieures».

Ceux-ci obtiennent des résultats «nettement moins bons» que les autres dans les matières dispensées en anglais, remarque-t-il.

À la porte de l'école du Docteur Tolosa Latour, José Manuel Calderon, un ouvrier de 40 ans, préfère ignorer ce débat, en ce jour de rentrée pour son fils de huit ans, Miguel. «Nous l'avons changé d'école pour qu'il apprenne l'anglais», témoigne-t-il, un peu tendu. «Parce qu'aujourd'hui, c'est indispensable pour tout».