Qu'est-ce qui est si intéressant pour que vous vous plongiez dans votre téléphone intelligent pendant un souper entre amis? Est-ce la peur de manquer quelque chose? À l'heure où le téléphone intelligent est le prolongement de nous-mêmes, il est très impoli de l'utiliser à table, selon des spécialistes de l'étiquette interrogés.

Scène de la vie quotidienne: à table, lors du souper en famille, un petit bruit lointain signale l'arrivée d'un texto. Puis un autre. La tentation est trop forte, vous vous levez et allez vérifier quelle est la teneur du message.

La même scène peut se reproduire au restaurant, où des amis sont réunis. Toute la tablée discute et refait le monde quand soudain, l'un d'eux interrompt la conversation pour répondre au téléphone. Est-ce impoli? «Évidemment, c'est même déplacé et inconcevable», estime Julie Blais Comeau, spécialiste de l'étiquette. «Au cours d'un souper ou d'un lunch, il ne faut absolument pas mettre l'appareil sur la table, car c'est comme si une troisième personne s'était invitée. Il faut donc le ranger et l'éteindre complètement. Même le mettre en mode vibration, c'est impoli. La vibration va attirer notre attention et nous déranger.» Voilà, c'est dit.

Il y a par contre quelques exceptions à la règle. Si vous attendez un appel très important, il faut prévenir les invités. «Si vous avez un proche à l'hôpital, ou si vous attendez un appel urgent, vous l'annoncez dès le début du souper. Lorsque l'appel urgent survient, quittez la table et avisez la personne avec qui vous êtes de la durée approximative de votre absence.»

Jason Gay, journaliste au Wall Street Journal, invoque une exception : si vous avez des enfants en bas âge (moins de 9 ans) et qu'ils sont avec une gardienne qui sort de prison, vous pouvez garder le téléphone sur la table!

Perdre l'art de socialiser

Depuis 2002, l'Américaine Jacqueline Whitmore fait du mois de juillet le mois de la courtoisie au téléphone cellulaire aux États-Unis. «Les gens passent en premier, la technologie en deuxième, que ce soit bien clair!, s'exclame-t-elle. Ça doit être notre priorité. Les téléphones sont partout et il faut réfléchir à la façon dont on se comporte. Je veux inciter les gens à être plus respectueux. Je pense qu'on a besoin de plus d'un mois par année pour le leur faire comprendre, mais c'est un début.»

Certains restaurants chic qui ne souhaitent pas que leurs clients partagent leur repas en envoyant des photos de leurs plats sur les médias sociaux commencent à interdire l'utilisation du téléphone cellulaire à table.

Jacqueline Whitmore estime que nous sommes en train de perdre l'art de converser et de socialiser. «Quand on se lève le matin, on allume son téléphone et si on a un message ou un courriel négatif, on sera de mauvaise humeur peut-être toute la journée! C'est fou à quel point ce petit outil technologique régit nos vies.» Notre comportement s'améliorera-t-il avec les années? Elle n'est pas très optimiste. «Malheureusement, les téléphones sont de plus en plus intelligents et sont une source intarissable de divertissement. C'est le meilleur des compagnons, et c'est bien cela le problème. On ne peut plus s'en passer! Au restaurant, on voit des familles dont les enfants jouent avec un téléphone ou un iPad. Ils sont occupés et calmes, c'est comme une gardienne», déplore-t-elle.

Ce qui devient inquiétant, c'est que, au-delà de l'étiquette, il est de plus en plus difficile de vivre pleinement le moment présent. «C'est une nouvelle attitude qu'ont créée les téléphones intelligents et les réseaux sociaux, constate Julie Blais Comeau. On a peur de manquer quelque chose, on veut savoir ce qui se passe ailleurs. On a des choix à faire. Pourquoi se laisser interrompre ? Faut-il toujours répondre au téléphone? Non! Laissez la boîte vocale faire son travail pour profiter de la vie! Si vous fréquentez des gens qui ont tendance à être accros à leur appareil, il faut leur dire qu'ils doivent profiter de la soirée avec les personnes qu'ils aiment.»

Un petit conseil: évitez l'effet d'entraînement. Il suffit qu'une personne, à table, utilise son téléphone en raison d'une urgence pour qu'un autre convive, tout d'un coup décomplexé, sorte son appareil. En moins de trois minutes, c'est toute la tablée qui a plongé la tête dans le virtuel.

Un nouveau jeu: combien vaut un appel?

Empilez tous les cellulaires au centre de la table. Le premier qui cède à la tentation de répondre à un texto ou à un appel doit payer l'addition pour l'ensemble des convives! C'est un peu comme jouer à The Price Is Right: combien vaut un appel? Est-ce qu'il vaut le prix de l'addition totale?

Témoignages d'accros

PIERRE BRASSARD ANIMATEUR, HUMORISTE, COMÉDIEN

«Mon iPhone me sert parfois de réveil, mais j'essaie de le brancher dans une autre pièce pour ne pas être trop dépendant. Pour ce qui est des soupers entre amis, ça dépend des gens avec qui je suis. Mon téléphone n'est jamais loin, il est dans ma poche. Je sais que ça reste impoli, mais quand la personne devant moi sort le sien, je l'utilise aussi. On n'a pas le sentiment que c'est impoli, c'est devenu un geste normal et presque une drogue!

«Il y a des applications que je fréquente tellement que je les ai changées de place dans mon appareil pour ne pas être tenté. En famille, on dirait qu'on se relâche plus et qu'on utilise son téléphone sans gêne. Ça reste de l'impolitesse, bien sûr, mais quand tu sors ton téléphone pour montrer une photo, on dirait que c'est un prétexte. Sinon, je vais aux toilettes, je regarde deux, trois trucs et je sors!

«Au cinéma, c'est un fléau, c'est la luminosité des petits écrans qui gêne, c'est terrible.»

« Oui, c'est la peur de manquer quelque chose, et c'est devenu un automatisme de regarder ce qui se passe ailleurs. C'est se dire aussi: "J'existe même quand je suis en train de faire autre chose!" On est content de savoir ça! Tu as du fun dans ton souper, mais tu continues d'exister ailleurs en même temps et tu es content!»

«La priorité, c'est la personne qui est en face de soi, c'est certain. Si je sens une vibration quand un texto entre, même si c'est tentant de regarder, je suis capable de résister.»

MARIE PLOURDE CONSEILLÈRE D'ARRONDISSEMENT, DISTRICT MILE-END

«Je suis hyper branchée, j'ai deux cellulaires, un pour le travail et l'autre personnel, mais il y a des moments qui sont sacrés, comme les soupers en famille ou entre amis. Les textos, courriels et autres peuvent attendre. Je n'utilise absolument pas mes deux appareils. Je veux aussi montrer l'exemple à ma fille, c'est très important à mes yeux.»

«Je pense que c'est un manque de respect d'utiliser son téléphone à table. Ça me dérange. Pour moi, c'est un désengagement personnel et un refus du contact avec les autres. À force de vérifier si tu manques quelque chose ailleurs et de te projeter dans le virtuel, tu manques le moment présent.»

«Je vais l'utiliser pour prendre ou montrer des photos pendant la soirée, mais c'est tout. Il faut savoir le mettre de côté et s'en passer.»

«Si jamais je l'entends vibrer de manière constante, c'est qu'il y a une urgence et je décroche. À titre professionnel, s'il arrive quelque chose dans mon district, c'est certain que je dois être joignable.»

«Mon téléphone est toujours en mode vibration. Pas besoin de le faire savoir à tout le monde quand un courriel, un texto ou un appel entre avec des sonneries bruyantes et différentes chaque fois, on dirait qu'on est dans une machine à boules!»

FRANÇOIS LAMBERT HOMME D'AFFAIRES

«Le téléphone prend vraiment trop de place dans ma vie, j'en suis conscient. Je dors avec mon iPhone! Le soir avant de me coucher, je fais le tour, je regarde les réseaux sociaux, Twitter, Facebook, je vérifie le cours de la Bourse. Et comme il me sert de réveil, dès le matin, c'est reparti!»

«La priorité est la personne qui est en face de moi, mais on dirait qu'aujourd'hui, tout est au même niveau: le texto, l'appel, le courriel et la personne avec qui tu es... Elle devrait être la plus importante, mais ce n'est pas le cas. C'est vrai que ça fait du bien de se faire rappeler à l'ordre parce que c'est très impoli. Je l'utilise quand je suis en rendez-vous, je l'avoue, même s'il y a une personne en face de moi dans un restaurant. Et je trouve ça très déplacé quand la personne avec qui je suis prend un appel ou envoie un texto devant moi. Je me dis que c'est insultant et je me promets de ne plus le faire. Mais évidemment, je recommence!»

«Quand je suis avec mes deux garçons de 11 et 13 ans, je leur dis de lâcher leurs appareils (mon aîné a un cellulaire; le plus jeune, un iPod). Le pire, c'est que je ne suis pas un exemple, je ne le fais pas moi-même! Je donne comme excuse que je suis parent. Il faut vraiment que je me désintoxique de cet appareil.»

«En réunion, quand je suis avec des collègues que je connais bien, on est tous avec nos téléphones en train de regarder plein de choses. C'est contre-productif parce que, pendant ce temps, on n'écoute pas.»

«On a toujours l'impression qu'on manque quelque chose, c'est ça le problème, alors que je sais en plus que je perds du temps à regarder toutes sortes d'applications.»