Terminator, Z6PO, Blade Runner: l'imaginaire hollywoodien regorge de robots plus ou moins amicaux qui ont donné vie au mythe de l'androïde susceptible un jour de supplanter son créateur. On en est encore loin, mais au Japon, on y croit.

En matière de robotique industrielle, aucun doute: le pays du Soleil levant fait la course en tête, mais certains savants songent en plus à des «créatures» qui, tels de parfaits «maîtres d'hôtel» ou «dames de compagnie», se mettraient au service d'une population vieillissante.

Quelque 300 sociétés viennent d'ailleurs de se regrouper pour former un consortium afin de développer d'ici à 2020 une centaine de robots ultra-sophistiqués pensés comme des amis ou assistants.

Quant au premier ministre Shinzo Abe, il veut carrément organiser en 2020 des Olympiades des robots, en parallèle aux JO humains à Tokyo.

Le combat homme-robot n'est pas loin.

«Les ordinateurs ont déjà surpassé les capacités humaines. Les robots aussi vont devenir plus intelligents», dit ainsi à l'AFP Hiroshi Ishiguro, un des grands spécialistes nippons de la robotique.

Ishiguro y croit tellement qu'il a déjà créé son double, un androïde à son image. Il affirme qu'il l'envoie à sa place pour des conférences à l'étranger. «Cela me fait gagner du temps», prétend ce Pygmalion futuriste.

Pour créer son jumeau truffé d'électronique, le professeur Ishiguro a utilisé du caoutchouc et du silicone et a sacrifié de ses propres cheveux pour garnir le crâne de sa copie.

«Si nous avons assez de connaissances sur les hommes, alors nous pourrons créer plus de robots d'aspect humain», explique-t-il.

Androïde de ménage

Et demain, des scientifiques nippons en sont persuadés, il y aura des humanoïdes serveurs dans des cafés, des androïdes de ménage ou hôtesses d'accueil...

Bref, le Japon démiurge se frotte désormais à la frontière de la science-fiction, avec en filigrane cette rivalité de l'homme et de la machine qui fait les délices d'Hollywood. Il n'est que de se rappeler le film «2001 l'Odyssée de l'espace» et de l'affrontement à mort entre HAL 9000 et l'astronaute Dave Bowman.

Mais, aux confins de la science et de la fiction, où s'arrête l'illusion et l'exploit technique, où commence l'anthropomorphisme?

On n'en est certes pas encore aux androïdes de Blade Runner, film culte de 1982 dans lequel en 2019, Harrison Ford est chargé de traquer et tuer des robots visuellement identiques aux hommes.

Beaucoup d'humanoïdes d'aujourd'hui restent cependant encore aisément reconnaissables, tel par exemple Pepper, ce petit robot créé par la société française Aldebaran Robotics en collaboration avec le groupe japonais de télécommunications SoftBank: Pepper parle, prétend analyser les émotions, a une tête deux bras, des mains, mais reste un corps de plastique blanc, sans la moindre ambition de chair et d'os, bref d'«incarnation».

En revanche le professeur Ishiguro est l'«heureux papa» de deux «androïdes femelles»: Kodomoroid et Otonaroid. Ces deux «personnes», saisissantes d'humanité au premier abord, vont travailler au Musée national des sciences et de la technologie de Tokyo (Miraikan) au contact des visiteurs pour recueillir de précieuses informations sur les réactions des humains face à la machine, données qui seront ensuite analysées par le professeur Ishiguro.

Tu aimeras ton androïde

Derrière ses petites lunettes rectangulaires fumées, ce dernier ne croit pas une seconde au scénario hollywoodien d'une prise de pouvoir par la machine: «l'androïde n'est pas notre ennemi», assure-t-il.

Mieux encore, il fait cette inquiétante prophétie: «une fois que nous serons devenus amis, alors la frontière entre l'homme et le robot disparaîtra».

Pour Masahiro Mori, un autre spécialiste japonais, plus la machine ressemble aux gens et plus les gens se sentent à l'aise avec. Jusqu'à un certain point toutefois appelé «la vallée de l'étrange»: quand les robots deviennent trop humains, ils finissent par inquiéter.

Le professeur Ishiguro pense, lui, avoir traversé cette vallée et pour lui le malaise face à l'androïde ne touche que les personnes âgées.

L'institut national des sciences et technologies a d'ailleurs conduit des études sur les réactions humaines face à un robot androïde et les résultats sont largement positifs.

«Nous avons par exemple utilisé des androïdes avec des enfants souffrant de troubles autistiques, et sur 85 sujets seuls quatre ont dit qu'ils avaient peur», témoigne Yoshio Matsumoto, chef du département robotique.

Pour Ishiguro, ça ne fait guère de doute: dans un avenir qu'il ne précise pas, tout le monde au Japon aura un androïde comme aujourd'hui un portable.

Et petit à petit, à l'en croire encore, les gens vont développer des relations avec leurs androïdes, s'y attacher comme s'ils faisaient partie de la famille.

Et c'est là que les problèmes moraux et/ou éthiques vont s'imposer à l'humain.

«On hésitera à les débrancher», dit Ishiguro qui pousse la réflexion encore plus loin: «imaginez que vous perdiez votre fille dans un accident de la route et que je créé un androïde à son image. Vous allez probablement l'aimer et l'accepter comme un être humain», prédit-il.