À un âge où ses copines jouaient à la poupée, la petite Frédérique a appris à déchiffrer les factures d'électricité. Elle s'assurait le soir que le logement soit chauffé, la cuisinière éteinte, et que personne de mal intentionné n'entre. Elle a materné sa propre mère, puis ses soeurs, nées de pères différents. Veillé à ce qu'elles ne manquent de rien. S'est interposée devant des hommes violents. Tout en espérant qu'à l'école, personne ne s'aperçoive que ses vêtements étaient sales, et qu'elle n'avalait que des bonbons.

Les premières pages de l'autobiographie La petite fille à la balançoire relatent la vie pénible, parfois aux limites du supportable, de Frédérique Bedos, qui deviendra plus tard une célèbre animatrice de télévision en France, au Royaume-Uni et à New York.

Une histoire triste ? Pas tout à fait. La vedette, qui a notamment fait la pluie et le beau temps à MTV et présenté les Victoires de la musique, y raconte plutôt un récit qui finit bien.

Oui, la grave dépression de sa mère - une femme très aimante au départ - lui a volé une partie de son enfance. Mais un couple tout à fait hors de l'ordinaire est entré en scène.

Michel et Marité la prendront régulièrement sous leur aile... elle, et tellement d'autres enfants qu'ils ne les comptent plus.

Lorsque les policiers débarquent chez Frédérique chercher « maman Jeanne », elle se réfugie chez ceux qu'elle finira par appeler papa et maman. Car un jour, elle déménagera pour de bon dans leur grande maison.

À l'exception de la fille biologique du couple, ses nombreux frères et soeurs (ils seront jusqu'à 18) sont tous des laissés pour compte. Ces enfants issus de la guerre, d'un milieu inadéquat ou lourdement handicapés, personne ne veut d'eux. Alors, simplement, le couple les adopte.

Au milieu de cette bande, Frédérique se reconstruira, lentement. En publiant La petite fille à la balançoire, Frédérique Bedos raconte son histoire, jusque-là restée secrète.

Elle y détaille aussi le Projet Imagine, une organisation philanthropique qu'elle a créée pour rendre hommage aux héros obscurs, comme ses parents adoptifs.

En entrevue à La Presse quelques jours avant son passage au Québec pour parler de son livre, l'auteure nous parle de résilience.

Q : C'est un livre au récit très touchant, mais très intime aussi...

Depuis toute petite, j'ai toujours eu honte de mon histoire et je faisais tout pour que les gens ne le sachent pas. J'étais devenue une menteuse professionnelle, non pas par amour du mensonge, mais par survie. J'ai fini par comprendre que mon livre pouvait encourager beaucoup de gens.

Q : Vous tenez aussi à être une et l'autre : la fille de Jeanne et la fille de Marité...

Ma mère m'a donné un flot de tendresse. Maladroitement, mais elle me l'a donné. Ça peut expliquer cette résilience que j'ai eue. Avec ma maman, j'étais une adulte miniature, et chez mon autre maman, j'étais une petite fille parmi d'autres. D'un côté, la pauvreté et, de l'autre, la sécurité. Je vivais ces expériences en simultané. Ça a fait de moi une adulte qui porte un regard plein d'empathie sur beaucoup d'êtres humains différents.

Q : Il ne s'agit pas d'un message d'apitoiement non plus...

À une époque où les médias nous donnent l'impression que tout est foutu, il faut absolument faire entendre la voix inverse et c'est vrai que l'histoire que j'ai pu vivre dans ma famille est une bonne illustration de ces possibilités multiples. Car chaque enfant qui est arrivé dans ma famille était foutu. Mes parents n'ont pas porté ce regard-là sur ces enfants, et ils ont décidé de les prendre et de prendre le risque d'essayer de les faire sortir de cette condamnation. La vie a été plus forte que tout.

Q : Qu'avez-vous hérité de chacune de vos mères ?

De ma maman biologique, j'ai retenu une certaine fantaisie. Ça aussi, le monde en a besoin. Et de ma maman adoptive... je sais tout ce qu'elle m'a donné, mais est-ce que j'en ai hérité ? C'est difficile à dire. Est-ce que je suis capable de donner autant de tendresse ? Ça, je ne le sais pas. Mais je sais que c'est le carburant qui m'a sauvée.

Q : Que voudriez-vous que les gens retirent de votre Projet Imagine ?

Je ne veux pas croire que mes parents adoptifs sont juste une exception. Quand se fait le portrait de ces héros, ce n'est pas des histoires de Bisounours : on voit bien qu'il faut sacrément des tripes pour faire ce qu'ils font. Mais les impacts, on les voit.

La petite fille à la balançoire

Frédérique Bedos

Éditions Transcontinental

24,95 $

Photo fournie par Frédérique Bedos