On peut rester sourd à certaines causes. Mais aveugle? Pas sûr. C'est ce que nous avons constaté lors d'une manifestation, le mois dernier, au centre-ville de Montréal, quand deux militantes de la cause animale ont pris un bain nues, sous le regard curieux et parfois concupiscent des passants.

«J'aimerais bien être dans la baignoire entre ces deux filles.» Rieur, Reyda, la cinquantaine, regarde du coin de l'oeil Chloé Kodrun et Nives Brkic. Les deux jeunes femmes sont en tenue d'Ève dans une petite baignoire installée à l'angle des rues Sainte-Catherine et University.

Les tétons recouverts de petits morceaux de scotch, elles sont bordées de mousse, et cachent leurs rondeurs derrière des pancartes rondes rappelant l'équation faite par l'association de défense des droits des animaux PETA, en cette journée mondiale de l'eau: il faut autant d'eau pour produire 1 steak que pour prendre 50 bains. «Go vegan», conclut PETA.

Pendant près d'une heure, les passants dégainent leur téléphone et immortalisent l'instant. Certains prennent la pose, tout sourire, aux côtés des deux jeunes femmes.

Cheveux lâchés, les deux militantes grelottent sous la pluie fine depuis une bonne vingtaine de minutes au moment où Reyda et ses collègues passent devant elles. Évidemment, l'installation a retenu leur attention. Mais ont-ils compris leur message? «Eh bien, c'est simple, c'est pour être végétarien!», répond, sans hésitation, Reyda. On lui fait remarquer que c'est plutôt d'être végétalien qu'il s'agit. «Oh non, ça, c'est débile», rit-il, avant de s'éloigner.

Ce n'est pas la première fois que PETA utilise la nudité de ses militantes pour attirer l'attention des médias et des passants. Plusieurs campagnes, au Canada et autour du monde, ont mis en scène des femmes en sous-vêtements à la manière des « anges » Victoria's Secret pour militer contre le cuir.

Un corps beau et instrumentalisé

Chloé, Nives et leur baignoire ont quant à elles visité Ottawa avant de venir à Montréal, puis à Québec. Le Ottawa Sun, Radio-Canada et Sun News ont notamment souligné leur passage.

Un coup d'éclat? Pas certain: l'idée de se dévêtir pour la bonne cause n'a en effet rien de nouveau.

Mis en scène dans les mouvements féministes, le corps nu a aussi été vu dans des manifestations de vélo, ou encore dans les «manufestations» étudiantes de 2012. Les seins nus des Femen s'invitent quant à eux régulièrement dans les lieux de culte, les lieux de pouvoir ou les lieux publics autour du monde.

Mais là où les «manufestations» étudiantes montraient des corps de tous genres et de tous âges, les initiatives de PETA notamment mettent en scène des femmes correspondant aux canons de la beauté: jeunes, belles. C'est d'ailleurs souvent un argument de vente auprès des médias, le dernier communiqué de PETA invitant ainsi à voir «deux demoiselles» prendre un bain.

«Bien franchement, ça m'apparaît problématique. Pas la nudité comme moyen de revendication en soi avec une multitude de physiques, mais la plupart du temps, il s'agit de jeunes femmes qui vont être belles selon les standards des médias de masse, regrette Aurélie Lanctôt, jeune féministe et étudiante en droit à McGill. Même si cela donne une attention médiatique, on tombe dans le piège de l'instrumentalisation du corps de la femme.»

Mais PETA se défend de n'utiliser que des jeunes et jolies femmes. «Nous avons des hommes et des femmes parmi nos militants, et nous respectons tout le monde», répond la militante de PETA Emily Lavender.

S'abreuver du sexisme

«Un homme nu, personne ne veut voir ça», tranche quant à lui Joy, 29 ans, croisé à proximité de la baignoire, alors qu'il prenait une photo. Originaire du Liban, il sourit: «Au Liban, on a des bombes, ici, des femmes nues.»

Se mettre nu est peut-être de plus en plus fréquent. Mais cela n'en reste pas moins un geste transgressif. A fortiori quand il s'agit de jeunes femmes qui amènent dans la rue un physique et une nudité exploités dans les publicités, la mode, le cinéma ou la télévision, estime de son côté Diane Pacom, professeure de sociologie à Ottawa. «C'est évident qu'il y a un côté voyeur, dit-elle. Mais ça attire aussi les journalistes. Les filles, se mettant nues, comprennent le pouvoir de leur corps. Il y a quelque chose d'artistique là-dedans. Imaginez la puissance de ces filles: elles s'abreuvent dans le sexisme de la société et le tournent en dérision.»

Bref, si la tendance «à poil» gagne en popularité, elle ne perd pas en subversion. Cela suffit-il à faire entendre le message?

Pas sûr, mais cela y contribue sans doute un peu.