Vous cherchez l'âme soeur sur le web? Ne vous méfiez pas seulement des arnaqueurs financiers, de ces riches héritiers du Nigéria dont on parle dans les médias. Car d'autres manipulateurs sévissent aussi: les arnaqueurs du coeur. Avec de faux profils, ils s'amusent à vous faire croire en un vrai avenir, une vraie histoire. Mais ils risquent surtout de vous faire vivre une vraie déception.

Maxime a 38 ans. C'est un grand et imposant gaillard à la démarche assurée. Son regard doux laisse toutefois deviner une sensibilité certaine. Fragile? Probablement. Fragilisé en tout cas. Et il y a de quoi. Il faut dire qu'il revient de loin, Max.

Attablé dans un petit café du Vieux-Montréal, il ne se fait pas prier pour se raconter. Des détails? En voulez-vous, en voilà. Les confidences sont visiblement libératrices.

C'était il y a près de 10 ans. Mais à voir l'émotion dans son regard, c'était hier, quelque part. «J'étais célibataire depuis deux ans, alors je me suis inscrit sur Réseau Contact», commence-t-il.

Séduit par une conversation

Le plus grand site de rencontres du Québec regorge de profils de femmes célibataires. Mais c'est une description sans photo qui a attiré son attention. «Je le trouvais intéressant, ce profil, se souvient-il. C'était une super belle description et ça m'a accroché. Il n'y avait aucune faute d'orthographe, il y avait de l'humour, c'était très, très bien écrit. Oui, c'était une très belle description», répète-t-il doucement. Il envoie donc un message à son auteure. Elle s'appelle Joannie. Et elle lui répond aussitôt.

«On s'est échangé nos photos. Elle devait faire 5 pi 10, une grande fille aux cheveux blonds, aux yeux bleus, mince, 24 ans. Oui, je la trouvais cute.» Ils s'échangent ensuite leurs numéros de téléphone cellulaire. «La première fois qu'on s'est parlé, il devait être 23 h 30. On a raccroché à 4 h du matin!» Ils parlent de tout et de rien, de leur vie, leur famille, leur travail. «On s'est raconté des trucs très personnels. Et les conversations étaient vraiment toujours très intéressantes!»

Une conversation en entraîne une autre. Puis une autre. Pendant cinq ans, ils se parlent presque quotidiennement. Ils s'appellent toujours très tard. Tantôt elle, tantôt lui. Et, toujours, la discussion s'étire dans la nuit.

Non, la relation n'est pas exclusive. Max fait d'autres rencontres dans ses temps libres. Mais jamais rien de sérieux. Entre autres parce que sa Joannie, il la sent sincère. Et parce qu'il entrevoit dans leur histoire un potentiel «sérieux».

Des rendez-vous manqués

Pourtant, malgré une complicité évidente, il y a un hic. Majeur. «On ne s'est jamais rencontrés», laisse tomber Max.

«Elle a toujours annulé nos rendez-vous. Une fois, elle a eu un truc familial. Sinon, c'était le travail, le travail, le travail. Elle était en début de carrière, elle travaillait 70 heures par semaine.» Un jour, Max décide d'aller voir son profil sur le site de son ordre professionnel. «Mais là, je n'ai trouvé aucune Joannie. J'aurais dû allumer...»

Il lui parle de sa découverte au téléphone, et elle lui répond simplement qu'elle vient de payer sa cotisation, que sa demande n'a sûrement pas encore été traitée, bref, qu'elle n'est pas sur le site pour toutes sortes de raisons administratives. «Je lui ai dit que j'avais des contacts à la GRC, et que si je voulais savoir si c'était vrai, je pourrais. Elle est montée sur ses grands chevaux. J'aurais vraiment dû allumer.»

Mais non, il n'«allume» pas. Il faut dire que les conversations sont «vraiment stimulantes», et qu'il est en train de tomber amoureux. «Oui. J'avais des sentiments pour cette personne. Je croyais que c'était réciproque.» Il y croit tellement qu'il parle de sa Joannie à ses amis. Sans préciser, toutefois, qu'il ne l'a jamais rencontrée. «J'avais honte. Vraiment honte...»

Amère déception

Et puis, à force de voir ses rendez-vous annulés, il a fini, cinq ans plus tard, par se «tanner». Son ami de la GRC lui donne un sérieux coup de pouce, en recherchant pour lui les coordonnées, grâce au numéro de cellulaire, de la fameuse Joannie en question. Et surprise: non, elle ne s'appelle pas Joannie. Ouch. «Quand j'ai réalisé après cinq ans que je m'étais fait avoir, je me suis senti complètement désabusé. De mon côté, j'avais été franc. Mais elle? Si elle m'a donné un faux nom, probablement qu'une grande majorité de tout ce qu'elle m'avait dit était faux aussi.»

Il accuse le choc difficilement. «Je suis tombé au fond du baril, avoue-t-il. J'ai interrompu mes études. J'étais complètement à terre. Qu'on ait pu me faire ça? Pendant cinq ans? Je ne me suis jamais cassé la gueule comme ça. » Sa dépression dure un an. «Tranquillement, j'ai remonté la pente, dit-il. J'ai pensé me venger. Mais j'ai laissé tombé. Ç'aurait été me rabaisser à son niveau».

S'il raconte aujourd'hui son histoire, c'est dans l'espoir d'éviter que d'autres grands romantiques comme lui ne tombent dans le panneau du catfishing (comme on a baptisé le phénomène, à la suite de la diffusion en 2010 d'un docu-fiction, Catfished, sur la question).

Depuis, Max n'est jamais retourné sur Réseau Contact. Mais il a rencontré quelqu'un. Une fille en chair et en os, cette fois.

Drague 2.0 : guide de survie

Pas de doute: la drague sur le web est directe, salée, et souvent d'une grande intensité. L'écran, la distance, le virtuel, quoi, ça désinhibe. Comment faire pour ne pas se faire avoir et tomber de haut, alors?

La sociologue Andrea Baker a écrit un livre sur les relations entamées en ligne (Double Click : Romance and Commitment Among Online Couples). Elle confirme: «La drague sur le web invite à une plus grande ouverture de la part des individus, tout particulièrement des hommes, qui se sentent ici plus à l'aise que dans le face-à-face.»

De par le média lui-même, accessible à tout moment, de jour comme de nuit, un simple échange peut rapidement devenir intense. «C'est à cause de tout le temps qu'on peut y investir!»

D'où l'importance d'être sur ses gardes. Pour éviter de se faire avoir par un imposteur, un petit, moyen ou grand menteur, les sites de rencontre suggèrent quelques trucs. En résumé:

1. Méfiez-vous des profils trop parfaits

Non, Brad Pitt n'est pas sur Réseau Contact. Si vous tombez sur son sosie, ou quelqu'un dont le descriptif semble trop beau pour être vrai, c'est probablement le cas : oui, il est trop beau; non, il n'est pas vrai.

2. Méfiez-vous des conversations trop flatteuses

Dès le deuxième message, votre correspondant vous trouve trop belle, trop gentille, trop extraordinaire et vous promet la lune? C'est louche.

3. Méfiez-vous des prétextes

Zut, elle ne peut pas vous rencontrer à cause d'un rendez-vous imprévu chez sa tante, son dentiste, ou son vétérinaire? Une fois, ça va. Deux fois? De nouveau : c'est louche.

4. Sortez rapidement du virtuel

Ici, il y a débat. Plusieurs sites de rencontre suggèrent en effet à leurs utilisateurs de ne pas attendre trop longtemps avant d'instiguer une rencontre. De passer rapidement du virtuel au réel. Pourquoi? Pour éviter les déceptions et avoir l'heure juste le plus rapidement possible. 

D'un autre côté, les recherches de la sociologue Andrea Baker indiquent que les relations commencées sur le web qui se sont avérées les plus solides sont au contraire celles où la rencontre a été le plus retardée. « Moi, je crois plutôt qu'il vaut mieux prendre le temps d'échanger pour apprendre à se connaître vraiment, défend-elle. Parce que ce qu'on est, c'est plus important que ce dont on a l'air... »