Dans un numéro récent de la revue Atlantic, l'ex-éditeur Benjamin Schwarz publiait une bombe, dénonçant rien de moins que la mort du charme de l'homo americanus. En gros, écrivait-il, l'homme américain manquerait de nos jours cruellement de classe. Le gentleman est mort. Vive le gentleman ?

On s'en doute, l'essai (The Rise and Fall of Charm in American Men) n'a laissé personne indifférent.

Pour une foule de raisons d'ailleurs. Entre autres, parce que son portrait du gentleman parfait semble drôlement figé dans le temps. Depuis les films en noir et blanc de Cary Grant, se pourrait-il que le gentleman ait évolué et se soit transformé? Et que dire de George Clooney. Pouvons-nous de grâce passer à un autre modèle?

Aussi, plusieurs lectrices ont peu apprécié de se faire dire ce qu'elles devraient regretter. Faut-il vraiment pleurer la mort d'un éternel séducteur, patriarcal à ses heures, souvent carrément manipulateur? 

Invitée sur les plateaux de CBS, l'éditrice du magazine Glamour, Cindi Leive, croit pourtant que oui. Les femmes s'en ennuient. En sondant ses lectrices, des jeunes femmes de 20-30 ans qui ont souvent plusieurs diplômes et une carrière à leur arc (« They're leaning in », disait-elle, faisant écho au livre de Sheryl Sandberg En avant toutes!), elle a réalisé que ces fonceuses se retrouvent aujourd'hui face à d'éternels ados en hoodie, dont la principale occupation est souvent... leur X-box. « Elles rêvent que les gars sortent enfin de leur canapé! » Peut-on vraiment se surprendre de constater qu'elles rêvent aussi d'un gentleman - ou d'un homme, tout court ? demandait-elle.

Tué par la révolution sexuelle?

Oui, le constat est sévère. Injuste. Et très certainement caricatural. Quoique. D'après un sondage récent réalisé par le site Match.com, la première qualité que recherchent les femmes chez un homme est en effet... le respect. D'où la question : où est passé ce gentleman perdu?

« La mort du gentleman est un produit de la révolution sexuelle et de la révolution féministe », croit Harvey C. Mansfield, professeur de philosophie politique à Harvard et auteur de Manliness, un essai à la défense de la virilité. On s'en doute, son texte a lui aussi fait réagir, à sa sortie, en 2006.

Selon le politologue, un gentleman est ici un homme fort, qui n'abuse toutefois pas de sa force. « Il emploie sa force à bon escient, pour être au contraire délicat. » En gros, « il est délicat par principe ».

Dans sa relation aux femmes, le gentleman demeure donc raffiné. Il use de son charme pour séduire. Or, démocratie et révolution sexuelle obligent, les hommes et les femmes étant désormais égaux, cette délicatesse n'a plus de raison d'être, dit-il. Du coup, « nous sommes beaucoup plus francs et directs. Le charme n'est plus un avantage, dans un monde égalitariste. Il n'est plus nécessaire à la conquête ».

Et pourquoi pas? Finie, en effet, la nécessité de protéger la « modestie » féminine, répond-il. « Il n'est plus nécessaire d'être futé, d'avoir de la conversation et de l'humour pour séduire une femme. Les hommes peuvent sauter ces préliminaires et passer directement à l'acte! »

Les grande perdantes

N'en déplaise aux féministes, les femmes seraient ici perdantes, poursuit le professeur. « Même si les femmes sont encore séduites par la courtoisie, celle-ci n'est plus nécessaire. Elle n'a plus de raison d'être, résume-t-il. Et elles sont perdantes. Parce que la séduction les protégeait: [...] Elle leur donnait une occasion de faire des choix. Et le gentleman devait se forcer pour être choisi, justement. »

« Pour une femme, aujourd'hui, se faire ouvrir une porte, on dirait que c'est le bout du monde! », enchaîne Marie-Hélène Leblanc, commissaire indépendante, à l'origine d'une exposition, tout récemment, sur le gentleman justement.

Selon elle, le gentleman est toutefois bien plus qu'un homme courtois. « Pour moi, un gentleman, c'est quelqu'un qui a du goût, de la classe, résume-t-elle, et c'est fondamentalement quelqu'un qui réfléchit. » En un mot : « c'est une attitude ». Laquelle inclut, évidemment, tout ce savoir-vivre courtois.

Et oui, de nos jours, c'est aussi une attitude qui se perd. « C'est sûr que dans un contexte où l'individu est au coeur de la société, l'idée d'avoir une pensée pour les autres, une conscience de son entourage, cela s'exprime moins! »

Pour Lydie Olga Ntap, fondatrice du Musée de la femme, nous sommes aussi loin d'être gagnantes. « Aujourd'hui, les filles ont la drill dans la main, on veut être égales, égales, égales, alors que dans le fond, je pense que les femmes aimaient ça, les gentlemen, dit-elle. On aime ça les hommes qui nous mettent sur un piédestal. Les hommes qui sont protecteurs et raffinés. Oui, on aime ça! »

Certains, d'ex-hommes roses aujourd'hui baby-boomers, osent encore porter le costume classe, tenir une porte, et tirer une chaise. Mais ils sont peu nombreux. Et chez les plus jeunes? Le constat est sans équivoque. « Les relations hommes-femmes sont devenues plus directes, donc moins raffinées », tranche-t-elle.

Un espoir?

N'empêche qu'il y a peut-être de l'espoir. Tout n'est certes pas perdu. Car une question se pose, conclut Lydie Olga Ntap. « Peut-être que nous, les femmes, on n'a pas dit de façon très claire que oui, on aimait ça les gentlemen. Peut-être qu'on n'ose pas le dire non plus. Parce que ce serait avouer une forme de faiblesse. Mais... si on le disait? »